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CONTEMPLATION
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l’inertie ? n’est-ce pas aussi tenir la porte ouverte aux illusions les plus dangereuses ? Telles sont les ques-’lions que celle âme se pose avec angoisse. Nous répondons que l’illusion n’est pas fort à redouter dans la circonstance présente. Rien de plus facile, en effet, que de discerner ici la vérité de ce qui n’est que sa caricature. Dans la contemplation, on se sent occupé et comme rempli de Dieu ou des choses de Dieu ; et l’on sent aussi que cette concentration de toutes les facultés sur un seul objet n’a rien de commun avec la rêverie vague qui accepte sans contrainte et sans réaction toutes les images qui se présentent à l’esprit. Il serait donc déraisonnable de considérer cette façon si simple et si élevée de traiter avec Dieu comme une perte de temps. Regardons-la plutôt comme une grâce de choix, comme une de ces faveurs auxquelles on est tenu de répondre par une humilité très profonde sans doute, mais aussi par une sincère gratitude.

D’après le P. de Caussade, on peut comparer l’activité que nous déployons dans ces états d’oraison à celle qui se trahit chez une âme passionnée lorsqu’elle se repose dans la vue et la jouissance de l’objet de sa passion : « Il faut savoir, dit-il, que l’esprit et le cœur ne se reposent pas à la manière du corps, mais plutôt en continuant leur action d’une manière plus simple, plus douce et qui charme notre âme. Ainsi, quand un avare laisse reposer son esprit et son cœur, c’est-à-dire ses pensées et ses affections dans ses richesses, comme l’ambitieux dans les objets qu’il ambitionne, et chacun dans ce qu’il aime, ni les uns ni les autres ne laissent pas pour cela d’agir : ils ne sont nullement oisifs, mais, au contraire, fort criminellement occupés. Or, si la corruption de la nature peut opérer ce long et criminel repos en des créatures dont on se sera fait de vaines idoles, faut-il s’étonner que l’habitude, qui est une seconde nature, et la grâce, encore plus forte, puissent opérer le saint repos d’esprit et de cœur que les bonnes âmes trouvent en pensant à Dieu, leur véritable centre, en goûtant Dieu, leur unique trésor ? » Instruction sur les états d’oraison, Perpignan, 1741 ; Paris, 1892, 1895, part. II", dial. prélim.

6° Serait-ce une témérité présomptueuse que de désirer la grâce de la contemplation acquise et de la solliciter de Dieu ? Non certes : « On n’est ni téméraire, ni présomptueux, dit Gerson, parce qu’on désire un genre d’oraison qui doit nous faire aimer Dieu de tout notre cœur. Les ecclésiastiques, les religieux, tous ceux, en un mot, qui se sont consacrés à Dieu, ont même le devoir de s’adonner à la contemplation. » De monte contempl., c. xxviii. « Lorsqu’une âme, dit à son tour Alvarez de Paz, s’est corrigée de ses défauts et qu’elle a triomphé de ses inclinations désordonnées ; lorsque de plus elle s’est longtemps exercée à méditer, elle peut et doit ambitionner de monter plus haut, s’essayer à la contemplation et renouveler avec humilité ses tentatives. .. Ayons à cœur de ne pas demeurer toujours des enfants ; devenons des hommes par la pratique généreuse de la mortification et acquérons ainsi le droit de tendre à une oraison plus élevée. » De inquisilione pacis, 1. V, part. II, c. xiii.

Les âmes les mieux préparées à la contemplation hésitent souvent à s’engager dans cette voie nouvelle : elles répugnent à s’écarter des sentiers battus. C’est au confesseur qu’il appartient de dissiper leurs scrupules et de stimuler leurs lenteurs. Mais c’est d’un confesseur prudent et instruit que nous réclamons ici l’intervention. Un confesseur qui professe pour ces élats spéciaux d’oraison un scepticisme railleur, ou se tient à leur égard dans une ignorance systématique, serait un guide plus nuisible qu’utile.

7° A quel signe un confesseur reconnaîtra-t-il qu’une âme est mûre pour la contemplation acquise ? D’abord, à une quasi-impossibilité pour cette âme de faire orai son selon les procédés qui jusqu’à ce jour lui avaient été familiers. Ainsi, lorsqu’une personne de bonne volonté, et qui aime l’oraison, ne réussit plus, en dépit de tous ses efforts, ni à méditer, ni à multiplier les affections ; lorsque cette impossibilité n’est pas le résultat d’une épreuve passagère, d’une sécheresse momentanée, mais un état permanent et qui dure depuis un temps notable, il y a toute présomption pour juger que le moment est venu de passer à l’oraison de simple regard. S’opiniâtrer à demeurer dans les degrés inférieurs d’oraison serait aller contre la volonté formelle de Dieu ; à tout le moins serait-ce perdre son temps.

Une autre marque non moins positive est désignée par Courbon sous le nom de disposition à l’unité : « C’est-à-dire qu’une simple pensée et une simple affection suffisent à nous occuper durant un temps notable. Alors on ne se sent plus porté à cette multitude de pensées qu’on avait autrefois, ni à cette foule d’actes qu’on avait l’habitude de produire ; mais il commence à se laire dans l’âme une espèce de silence ; tout y est plus tranquille, tout s’y passe à plus petit bruit. Ce ne sont plus ces affections véhémentes et passionnées, ces désirs et ces mouvements tout sensibles ; il n’y a plus rien que de doux et de paisible. C’est là un signe que Dieu conduit l’âme peu à peu à l’oraison dont nous parlons, et qu’il la prépare à ce saint exercice. » Instructions sur l’oraison, Paris, 1685, 1874, part. IIe, 5e instruction.

8° Ce serait une erreur de croire que la contemplation acquise ressemble à une fête perpétuelle et de s’imaginer qu’elle est une source intarissable de joies et de consolations spirituelles. Parfois, il est vrai, l’âme qui contemple s’élance vers Dieu avec une joyeuse ardeur ; elle se sent comme soulevée, portée au-dessus d’elle-même. Son intelligence cesse d’être harcelée par les distractions, et une paix ineffable règne dans sa volonté. Il n’est pas rare que cette paix rejaillisse jusqu’aux facultés sensibles : tout conspire alors à fonder dans cette âme le règne de Dieu ; tout en elle est dans l’allégresse.

Il est certain que lorsqu’elle revêt cette forme si consolante, la contemplation apparaît extrêmement enviable. Au risque de paraître cultiver le paradoxe, disons cependant qu’il est une sorte de contemplation accompagnée d’ennui, de sécheresse, de désolation, qui est de beaucoup préférable à la première. L’excellence de cette contemplation où la souffrance a fait place à la joie, devient d’ailleurs évidente lorsqu’on sait qu’elle est un commencement d’initiation à la vie mystique, comme le vestibule de cette vie, et qu’au travers des fentes de la cloison filtrent déjà quelques rayons de la lumière dont l’âme sera inondée bientôt dans la contemplation infuse.

La contemplation qui a perdu tout caractère joyeux, consolant, pour revêtir cette forme habituellement douloureuse, a été longuement décrite par saint Jean de la Croix, qui l’a appelée du nom de nuit des sens, dénomination que l’usage a consacrée. Essayons de préciser les caractères de cet état si intéressant d’orai>on.

Plusieurs éléments entrent dans sa composition. C’est d’abord une aridité habituelle dont l’âme soutire beaucoup. On se trouve impuissant à méditer ; le moindre raisonnement coûte un effort inouï, ou devient même impossible, et l’imagination, frappée d’une sorte d’atonie, ne peut plus rendre aucun service à l’intelligence. « Lorsque le Seigneur introduit l’âme dans la nuit obscure, il lui refuse toute satisfaction et ne la laisse s’attacher à aucune chose, pour dégager et purifier en elle la partie inférieure. C’est alors un signe presque évident que le dégoût et la sécheresse ne proviennent pas de fautes ou d’imperfections récemment commises. L’âme se trouve dans l’impossibilité de faire usage de l’imagination pour s’exciter à discourir