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CABALE

compose des mots avec les lettres des divers noms de Dieu ; on combine artificiellement les chiffres et les signes, et on présente tout cela comme autant de moyens infaillibles soit de procurer la santé, la richesse, le savoir, soit d’exercer un pouvoir mystérieux sur les éléments. Le Sepher Raziel, Amsterdam, 1601, est devenu l’arsenal le plus riche qu’on puisse imaginer en talismans, en amulettes, en philtres, en formules magiques, où puiseront à pleines mains les occultistes. Enfin, avec l’Espagnol Abulafia, la cabale touche à l’incohérence et à la folie. Ce mystique exalté, qui se croyait le Messie, ne craint pas d’appliquer à la divinité le dualisme sexuel. Il représente Dieu sous la forme d’un grand androgyne et entre dans des détails licencieux qui rappellent ceux du culte phallique. Plus profondément que ses devanciers il étudie la nature et le rôle des Sephiroth, gardant par là un point de contact avec la philosophie ; il prétend même découvrir en elles les dogmes chrétiens, en particulier celui de la Trinité ; mais, renchérissant sur Ibn Esra, Nachmanide et Éléasar de Worms, il s’attache surtout au mysticisme des lettres et des nombres, qu’il appelle la Science par excellence, la révélation vraie du mystère divin. S’y adonner, disait-il, c’est cesser d’être un cabaliste ordinaire, devenir un prophète, s’unir à Dieu pour ne faire plus qu’un avec lui. Ainsi l’exaltation mystique, l’inspiration prophétique, l’union avec Dieu, sont le résultat d’une simple combinaison arithmétique. Pour mieux réussir, il est bon de recourir à l’ascèse ; il faut s’enfermer dans la retraite, mourir au monde, affranchir son esprit des soins vulgaires, et là, vêtu de blanc, recueillir son âme, rassembler toute sa puissance intérieure sur un point, et, alors seulement, prononcer les lettres des noms divins sur un rythme voulu, avec des modulations déterminées, avec des inclinaisons de corps précises, jusqu’à ce que l’esprit soit troublé et le cœur embrasé. Karppe, op. cit., p. 804.

C’est à la fin du xiiie siècle que Moïse de Léon, en publiant le Zohar, livre le principal document de la cabale, le document révélateur du secret de son existence, de sa nature, de sa méthode, de ses spéculations aussi étranges qu’hétérodoxes ; il importe de l’étudier après le Sepher Iezirah pour avoir une idée exacte de la doctrine cabalistique.

III. Principaux documents. — 1o Le Sepher Iezirah ou Livre de la création. — Parmi tant d’autres œuvres qui ont précédé la publication du Zohar, le Sepher Iezirah, Mantoue, 1562 ; trad. latine de Postel, Paris, 1552 ; de Rittangel, Amsterdam, 1612, a droit à une mention spéciale, non seulement à cause de sa singularité, mais surtout à cause de l’influence qu’il a exercée sur certaines conceptions de la cabale. C’est un petit traité sans titre, sans nom d’auteur, d’à peine trois ou quatre pages, rédigé en un hébreu mêlé de termes chaldaïques, où l’on chercherait vainement le moindre mot emprunté au grec, au latin ou à l’arabe. D’origine très ancienne, mais difficile à préciser. Saadia le regardait comme l’un des plus anciens documents de l’esprit humain ; il est certainement antérieur au ixe siècle, car Agobard, en 829, semble y faire allusion dans une lettre à Louis le Débonnaire. Quelques cabalistes l’ont attribué à R. Akiba, mais sans preuves ; car le Talmud, qui exalte ce rabbin, ne lui prête aucune théorie spéciale sur la Genèse. Il est rédigé en phrases sentencieuses et énigmatiques, sous la forme d’un monologue, dans lequel Abraham, le patriarche, expose la manière dont il a compris la nature et s’est converti à la croyance du vrai Dieu.

En voici le résumé : Tout se ramène aux dix premiers nombres ; tout est exprimé par la parole, c’est-à-dire par les diverses combinaisons auxquelles donnent lieu les vingt-deux caractères de l’alphabet hébreu : ces dix nombres et ces vingt-deux lettres constituent les trente-deux voies merveilleuses par lesquelles Dieu a fondé son nom et créé le monde. Un, c’est l’esprit de Dieu, la sagesse éternelle, identique au verbe ou à la parole ; Deux, c’est le souffle qui vient de l’esprit, l’air ou le signe matériel de la pensée et de la parole ; Trois, c’est l’eau qui vient du souffle ou de l’air et qui, sous une torme épaissie, condensée, sert à former la terre, les ténèbres, les éléments grossiers du monde ; Quatre, c’est le ieu qui vient de la partie subtile et transparente de l’eau, et constitue le trône, les roues célestes ou globes de l’espace, les séraphins et les anges, les palais de Dieu ; Cinq, Six, Sept, Huit, Neuf, Dix représentent les quatre points cardinaux et les deux pôles.

Les vingt-deux lettres, signes nécessaires pour l’expression de la pensée et de la parole, procèdent de l’esprit, auquel elles servent d’intermédiaire ou de canal pour se manifester. Elles se résolvent dans un élément matériel et se trouvent à la limite qui sépare le monde intellectuel du monde physique. Leur présence ou empreinte dans l’univers révèle l’intelligence suprême. Divisées en trois ordres, elles se retrouvent partout : les trois mères représentent, dans la composition de l’univers, les trois éléments : l’air, l’eau et le feu ; dans la division du temps, les trois saisons : le printemps et l’automne, l’été, l’hiver ; dans le corps humain, les trois parties : la tête, le cœur, l’estomac. De même les sept doubles désignent les sept planètes du ciel, les sept jours de la semaine, les sept portes du corps. Trois mères et sept doubles font dix, nombre qui rappelle les dix noms de Dieu et les dix Sephiroth. De même encore les douze simples marquent les douze signes du zodiaque, les douze mois de l’année, les douze membres ou attributs du corps. Dix et douze font vingt-deux, la somme dernière, le résumé de tout. Mais que l’on considère l’univers, le temps ou l’homme, tout se ramène à l’unité ; et à leur tour, l’univers, le temps et l’homme se ramènent à l’unité par excellence, à Dieu.

Que peuvent bien signifier de tels symboles ? C’est ce qu’il est difficile de savoir, tant la pensée du rédacteur se dérobe sous ce langage énigmatique. Le rôle des nombres rappelle quelque peu le pythagorisme ; celui des lettres l’ait penser au système du gnostique Marcos, dont parle saint Irénée ; mais il n’y a là que de vagues analogies. Et tandis que Franck prétend que le Sepher Iezirah aboutit au panthéisme, M. Karppe affirme qu’il n’en contient pas la moindre trace. op. cit., p. 162.

2o Le Zohar ou livre de la lumière. — Le Zohar ou Livre de la lumière, in-fol., Crémone, 1558 ; in-4o, Mantoue, 1558-1560 (l’édition d’Amsterdam reproduit celle de Mantoue avec sa pagination ; c’est celle que nous citerons ici), est le code de la cabale, la bible des cabalistes. Le mot Zohar paraît pour la première fois à la fin du xiiie siècle et sert à désigner une collection de fragments d’homélies, de dialogues, de dissertations, aussi dissemblables de fond que de forme, qui accusent des époques et des rédactions différentes, d’où l’impossibilité de l’attribuer, dans son entier, à Simon ben Jochaï, l’auteur de deux morceaux connus sous le nom de Grande et Petite assemblée. Simon vivait, en effet, au iie siècle, et le Zohar contient un grand nombre d’allusions à des faits postérieurs. Son éditeur responsable est Moïse de Léon. Celui-ci s’est-il contenté de faire œuvre de compilateur, ou bien, à côté de fragments déjà existants, a-t-il inséré des morceaux entiers de sa composition, et lesquels ? L’état actuel de nos connaissances ne permet pas de trancher ces questions. Vraisemblablement Moïse de Léon a fait à la lois œuvre de compilateur et d’auteur.

Quoi qu’il en soit, le Zohar est le point d’aboutissement de la littérature cabalistique et comme le précipité d’idées et de doctrines éparses, incohérentes, hétérogènes et hétérodoxes, depuis longtemps en circulation parmi certains docteurs juifs. Il se donne pour la science par excellence qui, dans le texte de la Bible et