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CABALE

Il avait toutefois inséré la traduction latine de l’un de documents primitifs, le Sepher Iezirah, p. 869-872. Le jésuite Kircher (✝ 1680), dans une œuvre considérable mais peu critique, l’Œdipus ægyptiacus, Rome, 1652-1654, crut que la cabale se réduisait à une simple combinaison de nombres et de lettres. Un autre travail aussi érudit et aussi peu critique fut la Kabbala denudata seu doctrina Ebræorum transcendentalis et metaphysica atque theologica, 2 in-fol., t. i, Sulzbach, 1677 ; t. ii, Francfort, 1684, de Knorr de Rosenroth (✝ 1689). Ce dernier, bien qu’influencé par un but apologétique, avait ajouté aux traités des cabalistes modernes trois des plus anciens fragments du Zohar, et, à défaut de textes complets, beaucoup d’extraits et des analyses détaillées : c’était un progrès. Forcément il fallait remonter aux sources et consulter les documents originaux. Les textes existaient ; ils avaient été publiés ; ils furent même successivement traduits en latin. Postel, au xvie siècle, avait donné la traduction du Sepher, Abrahami patriarchæ liber Iezirah, Paris, 1552, et Voysin, au xviie siècle, celle du Zohar avec des commentaires : Disputatio cabalistica … adjectis commentariis ex Zohar, Paris, 1685.

L’enquête pouvait donc être tentée ; commencée à la fin du xviie siècle, elle a été poursuivie jusqu’à nos jours, soulevant un grand nombre de problèmes d’ordre philosophique et religieux, qui ont été tour à tour discutés. Dès la fin du xviie siècle, Wachter s’inscrivit en faux contre les prétendues affinités qui existeraient entre la cabale et le christianisme. Un abîme, disait-il, les sépare ; car la cabale, en niant la personnalité de Dieu et en divinisant le monde, n’est au fond qu’un panthéisme ; et c’est là qu’il accusa Spinosa d’avoir puisé son système. Der Spinozismus im Judenthum, Amsterdam, 1699. Poussant plus loin ses recherches, il crut s’être mépris et en rejeta la cause sur l’œuvre des cabalistes modernes et déclara la cabale une tradition ancienne, digne de respect. Elucidarius cabalisticus, Rome, 1706. À la suite de Bœhme, on vit Schelling, Hegel, Schlegel, en Allemagne, Rordage, en Angleterre, et, plus récemment, Saint-Martin, en France, s’intéresser à la cabale, à propos de théosophie. C’est surtout le côté philosophique qui attira l’attention. En Allemagne, en particulier, on considéra la cabale comme la science capable de concilier la raison et la foi, la philosophie et la théologie. Au xixe siècle, on serra encore de plus près l’examen des divers problèmes qu’elle soulève. Tandis que Freystadt, Kabbalismus und Pantheismus, Kœnigsberg, 1832, niait tout rapprochement entre la cabale et le panthéisme, Tholuck, partant de ce fait que la doctrine de l’émanation avait été connue des Arabes en même temps que la philosophie d’Aristote, Commentatio de vi quam græca philosophia in theologiam tum Mahumedorum tum Judseorum exercuerit, Hambourg, 1835, et remarquant une certaine parenté entre quelques idées cabalistiques et le mysticisme arabe, fit de celui-ci la source de celles-là. De ortu cabbalæ, Hambourg, 1837. C’est ainsi que peu à peu le terrain se déblayait et que s’accusaient des traits de ressemblance ou des points de divergence entre la cabale et les divers systèmes de la philosophie ancienne. Le moment arriva où l’on put enfin décider, en connaissance de cause, si elle était une œuvre originale ou composite, si elle formait un système lié ou une juxtaposition d’éléments hétérogènes, s’il fallait la tenir pour un effort de haute spéculation métaphysique ou pour une doctrine intérieure à l’usage des amateurs de combinaisons, des théosophes et des occultistes. Franck contribua pour une large part à la solution de ces diverses questions par son ouvrage, La kabbale, Paris, 1843 ; 2e édit., 1889, qui est une œuvre critique et vraiment scientifique. Ses conclusions n’ont pas été infirmées par le Midrasch ha-Zohar, de Joël, ou Die Religionsphilosophie des Sohar und ihr Verhältnis zur allgemeinen jüdischen Theologie (éclaircissements critiques sur la Kabbale de M. Franck), in-8o, Leipzig, 1849. Ces deux derniers ouvrages, les plus remarquables parus sur la matière, ont eu le tort d’embrasser tout le mysticisme juif, alors qu’il importait surtout de préciser le moment où ce mysticisme prend le nom de cabale, pour le définir exactement. C’est à ce point de vue délimité que s’est placé M. Karppe dans sa thèse de doctorat ès lettres : Étude sur les origines et la nature du Zohar, Paris, 1901 ; et c’est le résultat de cette enquête que nous allons essayer de consigner ici.

II. Nature, objet, méthode, histoire de la cabale. — Étymologiquement, cabale, קַבָּלָה, vient de קִבֵּל, et signifie réception, par extension tradition. Ce terme fut primitivement employé pour désigner l’enseignement oral par opposition à la loi écrite. Le Pentateuque, en effet, était censé ne pas renfermer dans sa totalité, ou du moins d’une manière suffisamment explicite, la loi divine : d’où la nécessité soit de le compléter, soit de l’expliquer par une interprétation judicieuse et autorisée, empruntée aux explications que Moïse avait dû recevoir sur le Sinaï, dans ses entretiens avec Dieu, et transmettre de vive voix aux anciens, explications qui de ceux-ci seraient passées aux prophètes, et des prophètes aux membres de la Grande Synagogue.

Ainsi comprise, la cabale venait au secours de la loi écrite, s’appuyait toujours sur le texte biblique et passait pour une interprétation légitime de la Thora. Pour résoudre ensuite les problèmes nouveaux et répondre aux questions qui ne cessaient de se poser, on continua à invoquer le texte sacré, car c’était un gage indispensable d’orthodoxie ; mais on en vint peu à peu à le solliciter ; on se contenta de rapprochements littéraux et on étaya des prescriptions qui avaient bien l’air de reposer sur la lettre, mais qui cadrèrent de moins en moins avec l’esprit de la Bible. Du reste, à défaut de texte scripturaire, on avait la ressource de faire appel aux secrets confiés par Dieu à Moïse, à la tradition orale, à la cabale. La méthode n’était pas sans danger. Exploitée d’abord par les rédacteurs du Talmud, puis par les Amoraïm, porte-parole ou interprètes de la Mischna, et les Seboraïm, ceux qui font des suppositions, elle donna lieu à de tels abus qu’elle suscita pendant des siècles les réclamations des caraïtes. Mais ceux-ci eurent beau rejeter tout commentaire qui ne s’appuyait pas formellement sur la Bible, leur opposition n’enraya pas le mouvement. C’est ainsi qu’àcôté de la Mischna, code officiel rédigé par Juda le Saint, d’où on avait soigneusement écarté tout ce qui ne cadrait pas avec la doctrine juive, les Beraïtot recueillirent diverses conceptions que leur caractère non officiel avait fait rejeter. De même, à côté des questions juridiques, ou Halachah, la Haggadah, ou traité des questions morales, servit d’asile à tout ce qui n’avait pu trouver place ailleurs et devint un mélange incohérent de toutes les philosophies et de toutes les sciences. Enfin les Midraschim augmentèrent encore de nouveaux matériaux cette œuvre composite, sans y mettre ni plus d’ordre ni plus de méthode. C’est vraisemblablement sous l’influence des esséniens que les auteurs du Talmud accueillirent certaines conceptions étrangères. Leur spéculation roulait en particulier sur des questions cosmogoniques, à l’occasion des premières pages de la Genèse, et sur des questions métaphysiques, à l’occasion de la vision d’Ézéchiel. Et déjà la métaphysique de l’essence divine et la doctrine de l’émanation sont entrevues ; l’angélologie, la théurgie, l’arithmologie y sont même développées quelque peu : c’est connue le germe informe, l’ébauche hésitante, l’esquisse de ce qui aura son développement dans le Zohar. Or, après la clôture du Talmud, du temps des Gaonim, les chefs spirituels des académies de