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BULGARIE

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quand ils voulaient y mettre le prix. Gagnant sans cesse du terrain, ils savaient opposer aux champions du parti bulgare les héros de leur propre parti. Grégoire de Tirnovo, Raphaël le Cretois, Denys de Chio, Philothée de Naoussa ne le cédaient en rien comme intelligence et comme vigueur aux candidats ochridéens que nous venons de citer, et ils avaient sur eux, en fait de ressources pécuniaires et de machiavélisme, une supériorité incontestée. Certes ! ce n’était pas, comme on l’affirme souvent, afin de payer ses dettes que le Phanar poursuivait avec tant d’esprit de suite l’accaparement du patriarcat d’Ochrida. Les partisans des Bulgares, Jirecek, Geschichte der Bulgaren, p. 470, le soutiennent encore sans preuves à l’appui, tandis qu’il est démontré par les nombreuses quittances et feuilles de compte qu’a publiées M. Gelzer, que la métropole d’Ochrida et ses évéchés suffragants rapportaient à cette époque plus de dettes que de revenus. Mais l’existence des patriarcats nationaux et indigènes était pour le Phanar « une épine dans l’œil » et c’était à l’arracher qu’il employait toutes ses énergies. La sujétion des orthodoxes de l’empire ottoman en Europe ne lui paraissait pas complète, tant qu’il restait ailleurs qu’à Constantinople la moindre parcelle d’autonomie ecclésiastique. Depuis la destruction de l’empire byzantin, 1453, toute sa politique religieuse consistait à faire rentrer l’Église orientale dans les cadres qu’avait arrêtés le concile de Chalcédoine, 451. Quatre patriarcats à la disposition des Grecs : Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, et une Église autocéphale, Chypre. En dehors de cela, rien de plus. La destruction des Églises nationales, serbe ou bulgare, comme Ipek et Ochrida, s’imposait en conséquence et le contentement des Grecs, on peut bien le dire, ne fut entier que lorsque ces deux Églises furent incorporées au patriarcat œcuménique. De là, ces démissions et ces dépositions continuelles, qui jalonnent l’histoire du patriarcat ochridéen aux XVIIe et xviiie siècles et dans lesquelles on retrouve toujours la main des Grecs ; de là, ces jugements contradictoires et qui nous étonnent si fort, portés à quelques années d’intervalle sur le même patriarche. Selon que triomphe le parti bulgare ou le parti phanariote, la même personne est élevée aux nues ou vouée aux gémonies. Les Turcs eurent tort de se faire complices des entreprises criminelles des Grecs. Sous prétexte d’anéantir ce qui pouvait survivre encore de désir de revanche dans le cœur des patriotes bulgares, ils les livrèrent, pieds et poings liés, aux Byzantins, leurs plus mortels ennemis. Dans leur politique à courte vue, ils s’imaginaient ainsi extirper de chez les vaincus toute velléité d’indépendance, tandis qu’ils ne firent qu’attirer sur leurs propres têtes la haine séculaire que les Bulgares nourrissaient contre les Grecs, et acculer les opprimés au désespoir, en leur refusant tout motif d’espérance.

Le parti national venait de triompher en déposant le phanariote Philothée de Naoussa, 6 juillet 1718, qui fut même privé de la dignité sacerdotale. Cette revanche éclatante prise sur le Phanar, qui s’était permis le même procédé à l’égard de l’indigène Théophane, en 1676, fut bientôt suivie d’une autre victoire avec l’élection de l’autochtone Joasaph de Corytza, le 6 février 1710. Sûr de la confiance de ses fidèles, celui-ci put, durant son long pontificat, 6 février 1719-22 octobre 1745, remettre de l’ordre dans les finances, autant du moins que le lui permit l’acquittement des sommes énormes qu’il fallait très ponctuellement payer aux Turcs. Il trouva même assez de ressources pour rebâtir ou restaurer soit la résidence des patriarches, soit l’église cathédrale. Ce pontificat de 27 ans fut la dernière éclaircie dans le ciel extraordinairement noir de l’Église d’Ochrida. Joseph, métropolite de Pélagonia, qui succéda à Joasaph le 13 janvier 1746, paraît s’être maintenu en place jusqu’en 1752. Du moins, nous possédons de lui deux pièces datées de 1750 et 1751, et c’est en 1752 qu’un de ses contemporains, Joasaph, ex-métropolite de Bérat d’Albanie, l’ait commencer le patriarcat de Dens, son successeur. II. Gelzer, Der wiederaiifgefunih’ue Kodex des hl. Klemens and ândere auf den Patriarcliat Achrida bez’ùgliche Urkundensammlungen, dans les Berichte der philol.-histor. Klasse der Kônigl. sâchs. Gesellschaft der Wisscnscliaflen zw Leipzig, 1903, p. 46, et codex 91 des archives patriarcales de Constantinople, p. 181. Ce même Joasaph nous apprend que Denys fut patriarche de 1752 à 1757, et, en effet, nous avons de lui des pièces qui se placent entre 1752 et 1756. II. Gelzer, op. cit., p. 46, 47. A Denys, d’après le même Joasaph, succéda Méthode, 1757-1759, et à Méthode Cyrille, 17591762. Une pièce encore inédite, codex 61 des mêmes archives, p. 43, qui mentionne le patriarche Cyrille, est datée de décembre 1762, et il se pourrait bien que son pontificat se fût prolongé jusqu’au début de 1763. Cyrille, dit le procès-verbal officiel de la nomination d’Ananias, mai 1763, codex 6, p. 45, « encourut la colère impériale et fut exilé. » Jérémie, qui lui succéda d’après le même procès-verbal, ne fit que passer sur le Irùne ; « il mourut de mort naturelle, » ce qui laisse supposer d’habitude un empoisonnement. En tout cas, il n’était déjà plus de ce monde en mai 1763, lorsque fut élu le protosyncelle de Constantinople, Ananias J’avais d’abord pensé que cet Ananias, originaire de Constantinople, ne différait pas d’Arsène, le dernier titulaire du patriarcat d’Ochrida, parce que Joasaph, ex-métropolite de Bérat d’Albanie et son contemporain, fait durer le pontificat d’Arsène de 1762 à 1767, H. Gelzer, Der wiederaufgej’undene Kodex des hl. Klemens, p. 46, parce que nous avons de ce dernier des pièces datées de 1761, 1765, 1766, 1767, H. Gelzer, op. cit., p. 47, parce que, enfin, nous ne trouvons nulle part trace de son élection, en dehors de l’acte officiel qui concerne Ananias. Mais je crois que cette identification est difficile à soutenir et que nous sommes réellement en présence de deux personnages distincts. En effet, Ananias était moine et diacre au moment de sa proinotion à l’archevêché d’Ochrida. Pourquoi aurait-il changé de nom et se serait-il appelé Arsène, lorsqu’on n’a l’habitude de le faire dans l’Église orthodoxe qu’au moment de la profession monastique ou de l’élévation au diaconat ? De plus, le codex 50, conservé à la bibliothèque du méthokhion du Saint-Sépulcre à Constantinople, porte au folio 20 v qu’il a jadisappartenu à l’archevêque d’Ochrida, Ananias, y.a’i tôSî <tjv -oi ; aXÀoiç’Avaviou àpy_iê7rt<7’/.67ro’j tïjç â’lo’jCTT’.vtavrjç’AyoïSoiv to0 BuÇavtfou. Papadopoulos Kerameus, l hpo<jo-j>.iTiy.-ï i BtëXtoO^xv], t. iv, p. 74. Or, ce manuscrit a été copié en 1691 ; il est devenu la propriété d’Ananias sûrement après cette date, et nous ne trouvons de 1691 à 1763 aucun autre Ananias sur le Siège d’Ochrida, en dehors de celui dont nous nous occupons. C’est donc que cet Ananias est parfaitement distinct d’Arsène et qu’il n’a fait q, ue passer sur le trône gréco-bulgare, comme son prédécesseur Jérémie. Si cette distinction entre Ananias et Arsène est admise, nous ne savons d’où venait ce dernier ni à quelle date remonte son élection. Ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il était déjà patriarche en 1764 et qu’il le resta jusqu’au 16janvier 1767, jour où le siège d’Ochrida disparut définitivement pour être incorporé au patriarcat œcuménique. Les uns attribuent à Arsène une origine bulgare, d’autres, avec plus de raison, une origine grecque, puisqu’il agit de concert avec les Grecs de la capitale pour amener la suppression de son Église. Quant aux dessous de cette affaire, ils sont encore assez mal connus, et nous en ignorons toujours les vrais motifs, en dehors des causes générales que nous lui avons déjà reconnues. Un parti puissant, composé de phanariotes et de gens dévoués à leurs intérêts, considéra