Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/601

Cette page n’a pas encore été corrigée

189

BULGARIE

1190

En rendant compte de l’ouvrage de Gelzer, Dev Patriarchat von Achrida, le célèbre slavisant, C. Jirecek, Dyzantinische Zeitschrift, t. xiii (1904), p. 192-202, a tracé avec 1rs documents slaves un tableau des conquêtes ecclésiastiques serbes aux xiir et xive siècles, qui complète les données historiques que nous possédions. Les Serbes ont arraché Uskub aux Byzantins en 1282 et ils ont ensuite étendu progressivement leur domaine vers le Sud, et surtout vers le Sud-Est. Les évêques du territoire annexé furent soumis à la juridiction de l’archevêché autocéphale serbe. Lorsque Etienne Douchan eut conquis presque toute la Macédoine, à l’exception de Thessalonique, il se fit couronner à Uskub, « tsar des Serbes et des Grecs, » et, en 1346, il nomma l’archevêque serbe Joannice « patriarche des Serbes et des Grecs » . Alors l’Église d’Ochrida dut s’entendre avec les nouveaux maîtres du sol et prêter son concours, sinon son appui, aux nombreuses mutations épiscopales qui s’ensuivirent. En 1347, l’archevêque d’Ochrida, Nicolas, siégeait à Uskub parmi les membres du parlement serbe. De cette époque date surtout l’amoindrissement d’Ochrida, qui ne put depuis recouvrer entièrement les territoires qu’elle avait perdus ; ses pertes seraient même peut-être plus sensibles que ne l’indique la pièce analysée ci-dessus qui, d’après Jirecek, ne remonterait pas au xive siècle, mais serait postérieure à l’année 1557.

VI. Le patriarcat bulgare de Tirnovo, 1204-1393.

— Bien que bulgare par ses origines et la presque unanimité de ses habitants, l’Église d’Ochrida, soumise à l’empire byzantin, ne pouvait satisfaire les patriotes qui rêvaient toujours d’un État indépendant et d’une Église nationale. Après la suppression du premier empire bulgare par Basile II, en 1019, de vaines tentatives d’affranchissement se produisirent, en 1040 et 1073 notamment et durant tout le cours du xif siècle. Enfin, deux frères d’origine roumaine. Jean Assen et Pierre, réussirent à secouer le joug byzantin, vers 1185, et à reconstituer l’ancien royaume de Boris et de Syinéon, 1186-1197. Leur plus jeune frère, Johannitza ou Caloïan, continua leur politique d’agrandissement, et comme, malgré des traits indiscutables de cruauté, il jouissait d’un véritable génie, son règne, 1197-1207, fut marqué par une recrudescence de conquêtes et d’annexions. Le clergé n’élait pas resté étranger à cette prise d’armes contre les Grecs. Dès 1186, le titulaire grec de Tirnovo se voyait contraint de céder son siège archiépiscopal au Bulgare Basile, qui devenait ainsi le chef de l’Église nationale ; il en était ainsi des autres évêchés, qui passaient tous à des enfants du pays.

D’accord avec leur clergé, les princes qui venaient de libérer le territoire se préoccupèrent dès le premier jour d’assurer l’indépendance de l’Eglise, en cherchant au dehors des alliés contre les Byzantins. Pour atteindre ce but, il leur fallait à la fois échapper à l’influence des patriarches de Cohstantinople et à celle des archevêques grecs d’Ochrida. Dès lors, leur politique religieuse était toute tracée. Ils devaient renouer avec Borne les relations de bonne amitié, qui existaient au temps de Pierre et de Samuel, et, au prix d’une sujétion assez platonique, en obtenir un patriarche siégeant à la capitale de leur royaume et qui leur conférerait ensuite l’onction impériale. Ce fut à conquérir ces titres que s’employa toute leur diplomatie. Dès leur avènement au trône, Jean Assen et Pierre songèrent à dépêcher au pape une ambassade solennelle ; ils en furent empêchés par leurs biiirs en faveur de l’indépendance. Theiner, V éleva monumenta Slavorum meridionalium, 1. 1, p. 15 ; E. de Hurmuzaki, Documente privitore la Istoria Romdnilor, in-4 » , Bucarest, 1887, t. i. p, 2. En 1204, Basile, archevêque de Tirnovo, écrivait à Innocent III, qu’il soupirait après son union avec l’Église romaine, depuis dix-huit ans, ce qui nous reporte à l’année lltilj.

Par trois fois, en 1197, Caloïan avait tenté, mais sans succès, de négocier avec le pape, lorsque, en décembre 1 199, Innocent III, mis au courant de toutes ces démarches, envoya Dominique de Brindisi, archiprètre grec-uni, avec mission de sonder le prince et ses sujets sur leurs sentiments à l’égard de Rome et de dresser un rapport motivé. Theiner, op. cit., t. i, p. Il ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 1. Le séjour du messager pontifical semble s’être prolongé jusqu’en 1202. Celte année-là, Caloïan le renvoya à Rome avec un délégué bulgare, Biaise, archevêque élu de Branichevo, qui portait au pape une lettre du prince, pleine de déférence pour la personne du successeur de Pierre. Au milieu d’attestations fort politiques de fidélité et de soumission au saint-siège, le roi demandait à l’Église romaine, sa mère, la couronne impériale et la reconnaissance de sa dignité, comme l’avaient obtenu d’elle les anciens tsars bulgares, Pierre, Samuel et leurs prédécesseurs. Theiner, op. cit., t. I, p. 15, 16 ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 2, 3. Une lettre de l’archevêque Basile priait Innocent III de donner satisiaction aux désirs de son maître, tout en énonçant une profession de foi très catholique. Theiner, op. cit., t. I, p. 17 ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 5 ; voir aussi la lettre du boyar bulgare Bellota et la réponse du pape, Theiner, op. cit., t. I, p. 18 ; Hurmuzaki, op. cit., t. I, p. 7, 8. Les réponses du pape, prudentes et avisées, sont datées du 27 novembre 1202 et furent portées en Bulgarie par un second délégué pontifical, Jean de Casemarino. Celui-ci était chargé, en outre, de revêtir Basile de Tirnovo du pallium archiépiscopal. Theiner, op. cit., t. I, p. 16, 17, 21 ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 3, 6, 11-13.

Sur ces entrefaites, les Grecs de Raguse eurent vent des négociations entamées entre Rome et la Bulgarie et firent offrira Caloïan le titre de tsar avec la couronne impériale pour lui, la dignité de patriarche pour le chef de son Église, à la condition de maintenir son royaume dans l’orthodoxie. C’est, du moins, ce que raconte le prince dans sa lettre au pape, 1203, à moins qu’il ne faille y voir une pure tentative de chantage exercée sur la cour pontificale : « J’ai repoussé cette offre, ajoute Caloïan, parce que je veux être le serviteur de saint Pierre et de Votre Sainteté. J’ai envoyé vers Elle mon archevêque Basile avec des présents…, et je vous prie d’envoyer des cardinaux qui me couronnent empereur et établissent un patriarcat sur mes terres. » Theiner, op. cit., t. i, p. 20 ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 10-11. Basile partit en effet, pour Borne, le 4 juillet 1203. Trente jours après, il était à Durazzo, où les Grecs le retinrent prisonnier, menaçant au besoin de le jeter à la mer, s’il ne renonçait à sa mission. Ces menaces et la nouvelle que le légat du pape se trouvait déjà en Bulgarie déterminèrent Basile à revenir ; il reçut le pallium de Jean de Casemarino, le 8 septembre 1203, après avoir juré fidélité et obéissance au siège apostolique. Theiner, op. cit., t. i. p. 20, 28 ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 1 1, 27, 28. Contraint ainsi d’ajourner son voyage, Basile eu informa le pape par des messagers. De son côté, au départ du légat pour l’Italie, Caloïan, qui attendait toujours le sceptre et l’onction impériale, fit porter à Innocent III une lettre privée, dans laquelle il exprimait tous ses désirs et qui était accompagnée d’une déclaration officielle, écrite de sa main et scellée de la bulle d’or. Theiner, op. cit., . i, p. 27, 29 ; Hurmuzaki, op. cit., t. I, p. 26, 29. Jean de Casemarino s’était charge encore d’une lettre de Basile pour le pape et d’une déclaration d’obéissance et de soumission au saint-siège, faite par les métropolitains de Prestav et de Velevouzdos, les évêques d’Uskub, Pri/rend, Nicb et Viddin. Theiner, op. cit., t. i, p. 28, 29 ; Hurmuzaki, op. cit., t. i, p. 27-29> Innocent III accueillit favorablement toutes ces demandes et envoya en Bulgarie un troisième légal, Léon, cardinalprêtre de Sainte-Croix, qui porta au roi, à Basile et à