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BRUYS

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Pierre de Bruys eut dans l’hérétique Henri (voir ce mot) un précieux auxiliaire, et, comme s’exprime Pierre le Vénérable, col. 728. 723, un pseudo-apôtre et un héritier de sa malice. Ils se rencontrèrent probablement après le concile de Pise (1135), où Henri, condamné, avait abjuré ses erreurs. A peine de retour en France, il oublia ses engagements et, racontent les Gegla pontificum Cenomanensium, dans le Recueil des historiens des Gaules et de la France, Paris, 1806, t. xiv, p. 54, nova secta, novo cursu, novum iter assumpsit delinqitendi. Dôllinger, Beitrâge zur Sektengescliichte des Miltelallers, t. i, p. 83, entend par là qu’Henri se lia avec Pierre de Bruys. Jusqu’alors sa doctrine semble avoir été indécise ; il adopta les idées pétrobrusiennes, tout en y ajoutant.

II. DocrniNES.

Le traité de Pierre le Vénérable est une source inappréciable pour l’étude du pélrobrusianisme. L’auteur est bien informé, car il a voyagé dans les pays atteints par l’hérésie. Il est prudent, il ne croit pas facilement à ce qu’il appelle fallaci runwruni nwnstro, col. 730 ; il refuse de s’appuyer sur l’incertain, culpare vos de incertis nolo, col. 730 ; il a en main un volume qu’on lui a présenté comme renfermant l’enseignement oral d’Henri, mais, n’ayant pas l’entière certitude que telle est bien la pensée de l’hérésiarque, il attend d’être renseigné sûrement pour en entreprendre la réfutation, col. 723. Il déclare reproduire les paroles mêmes des hérétiques, verba vestra quse ad nos pervenire potuerunt, col. 787 ; cf. col. 728, 738, 739, 754, 773, 820. Enfin il précise qu’il n’a en vue que la doctrine de Pierre de Bruys, dégagée des modifications dues à son disciple Henri, col. 723.

Cette doctrine, il la ramène à cinq chefs principaux. l°Le baptême des enfants est nul. Voir plus haut col. 281.

— 2° Il ne faut pas bâtir des églises, mais détruire celles qui existent. Tout endroit est bon pour la prière ; Dieu exauce les chrétiens qui le méritent, qu’ils l’invoquent dans une taverne ou à l’église, sur la place publique ou dans un temple, devant un autel ou devant une étable. L’église n’est pas un assemblage de murs, mais la réunion des fidèles. — 3° Les croix doivent être brisées ou livrées aux flammes, parce que l’instrument du supplice du Christ n’est pas digne de vénération ; pour venger les tourments et la mort du Christ, la croix doit être déshonorée par tous les moyens possibles, mise en pièces, brûlée. Réduisant ces théories en pratique, les pétrobrusiens rebaptisaient les enfants devenus adultes, profanaient les églises ; ils avaient réuni un monceau de croix, y avaient mis le feu, avaient fait cuire de la viande à ce bûcher, et avaient mangé de cette viande, le vendredi saint, ayant au préalable invité la foule à venir prendre part à ce repas. — 4° Non seulement il n’y a pas le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ au sacrifice de la messe, mais il n’y a rien du tout, et ce sacrifice ne doit pas être offert à Dieu. Le Christ n’a donné qu’une fois son corps à ses disciples présents, il ne l’a pas donné pour toujours aux chrétiens futurs. — 5° Les sacrifices, les prières, les aumônes et toutes les autres bonnes œuvres des vivants ne sont d’aucun proiit pour les morts. De ces erreurs la première, la troisième et la quatrième sont (’gaiement attribuées à Pierre de Bruys par Abélard, Introductio ad theolngiam, 1. II, c. iv, P. L., t. ci.xxviii, col. 1056. Aux cinq points annoncés, Pierre le Vénérable ajoute un sixième, qui peut être considéré comme un complément du second : Les pétrobrusiens se moquent du chant ecclésiastique, sous prétexte que ce qui plaît à Dieu ce sont les pieux sentiments de l’âme, mais non les éclats de la voix humaine ou 1rs mélodies des instruments de musique. Autant vaut dire que l’art chrétien est interdit. En outre, Pierre le Vénérable indique, sans insister longuement, quelques traits qui achèvent la physionomie du pétrobrusianisme. D’après le bruit populaire, le

pétrobrnsianisme rejette toute la sainte Écriture ; il ne conserve que l’Évangile, d’après une opinion qui parait plus fondée. Il méprise l’autorité des Pères de l’Eglise, et celle de l’Église elle-même. La raison qu’il en donne, c’est que l’Église n’est pas un témoin, puisqu’elle ne raconte pas ce qu’elle a vu ou entendu, mais se sert de témoignages, puisqu’elle raconte ce que d’autres lui ont appris ; elle confère l’autorité canonique aux livres de l’Écriture, non parce qu’elle sait, mais parce qu’elle croit ; or, testibus non testimoniis credendum esse lex ipsa sæculi jubet, col. 739. Dédaigneuse vis-à-vis de l’Eglise, l’hérésie l’est, à plus forte raison, vis-à-vis du clergé ; elle ameute la foule contre lui en le taxant d’imposture ; des prêtres ont été fouettés, des moines incarcérés et contraints, par la peur et les tourments, à se marier.

Maintenantque nous connaissons la doctrine de Pierre de Bruys, il ne sera pas trop malaisé de lui assigner sa place dans l’histoire des hérésies du moyen âge. Schmidt, Histoire’et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, t. i, p. 38, et Précis de l’histoire de l’Eglise d’Occident pendant le moyen âge, Paris, 1885, p. 214, suivi par A. Jundt dans la Grande encyclopédie, t. viii, p. 221, et par G. Bonet-JVlaury, Les précurseurs de la Réforme, Paris, 1904, p. 28, en fait un disciple d’Abêlard ; cette affirmation ne repose sur aucun texte, elle ne se concilie pas facilement avec les dates de l’un et de l’autre, et la comparaison de leurs systèmes théologiques et la manière dont Abélard s’exprime sur le compte de Pierre de Bruys la rendent insoutenable.

Une thèse, chère au protestantisme, surtout à partir du xviie siècle, fut que la Réforme se rattache aux origines du christianisme par une longue chaîne de « témoins de la vérité » , notamment par les vaudois, antérieurs à Valdo ; Pierre de Bruys aurait été l’un d’eux, et il serait, à moins que ce ne soit l’un de ses disciples, l’auteur d’un livre De l’Antéchrist, daté de 1120, cf. J. P. Perrin, Histoire des vaudois, I. I, c. vii, Genève, 1618, p. 57, peut-être même d’un autre ouvrage vaudois plus fameux, La noble leçon. Cf. N. Peyrat, Les réformateurs de la France et de l’Italie au xue siècle, Paris, 1860, p. 9, 63. Cette théorie aventureuse est actuellement abandonnée. Cf. A. Rébelliau, Bossuel historien du protestantisme, Paris, 1891, p. 246. Il n’y eut pas de vaudois avant Valdo, le pétrobrusianisme est distinct du valdisme, et, comme Bossuet l’avait observé, Histoire des variations des Eglises protestantes, I. XI, n. 126, dans Œuvres, édit. Lâchât, Paris, 1863, t. xiv, p. 525, les manuscrits vaudois ne remontent pas à la haute origine qu’on leur attribue ; la Noble leçon et le livre De l’Antéchrist sont du xve siècle. Cf. E. Montet, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1889, t. xix, p. 211, 214.

Une question plus complexe est la suivante : Pierre de Bruys et Henri furent-ils manichéens ? Bossuet, loc. cit., n. 36, p. 477 ; Mabillon, S. Bernardi opéra, prœfatio generalis, § 6, n. 73, /’. L.. t. ci.xxxii, col. 4950 ; Dôllinger, Beitrâge zur Sektengeschichte des MitteU alters, t. i, p. 83 sq., ont répondu affirmativement. Cette opinion s’appuie sur un passage de l’Exordium magnum cisterciense, C. xvii, P. L., t. ci.xxxv, col. 127, où il est dit de saint Bernard, allant réfuter l’hérésie henricieiine, qu’il se mettait en route vers Toulouse pro con/utanda hseresi manichssorum. Mais, d’une pari, « l’auteur de l’Exordium magnum, qui écrivait en pleine crise manichéenne, eis 1210, a bien pu ne pas noter la différence qui existait entre la doctrine de Henri, combattue par saint Bernard, et le manichéisme proprement dit, condamné vingl ans plus tard au concile de Lombez. » EVacandard, Vie de s. Bernard, Paris, 1895, I. il, p. 220, noie 2. D’autre pari. Pierre le Vénérable argumente contre les pétrobrusiens en alléguant l’autorité de Manès ; sans laisser entendre qu’ils