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BOURSE (JEUX DE)


échelle dans certaines banques interlopes, véritables escarpes de la finance. Ces aigrelins promettent aux modestes capitalistes, aux petits rentiers, par la voie des journaux, au moyen d’annonces ou de circulaires, des intérêts fabuleux, 50 ou 00 p. 100 par an, et même par mois.

Les agents financiers de Paris opèrent de diverses façons, soit en compte personnel, soit en compte de syndicat ou participation. En compte personnel, c’est pour le client qu’ils opèrent, qu’ils achètent ou qu’ils vendent, d’après ses ordres ou suivant la latitude qu’il leur laisse.

En compte de syndicat ou de participation, c’est pour l’ensemble des personnes qui en font partie qu’ils achètent ou qu’ils vendent. Les uns opèrent à leur gré, les autres à des conditions déterminées, mais en fin de compte au détriment toujours des intéressés. Sans prendre la peine de se mettre en rapport avec un agent de change ou une maison de coulisse tolérée, ils se substituent purement et simplement aux agents de change, à la coulisse, au spéculateur lui-même, et le volent de la façon la plus complète et la plus absolue. En effet, ils n’achètent ni ne vendent rien pour son compte personne ) ou pour le compte de la participation à laquelle il appartient. Ainsi le client n’a d’autre contre-partie responsable que la maison de banque ou plutôt le banquiste qui a acheté ou vendu pour son propre compte ou même n’a rien acheté ni vendu. Il exige des couvertures, demande pour chaque opération des courtages ou commissions, et un beau jour le malheureux client reçoit un compte établissant qu’il a tout perdu ou reste débiteur de sommes plus ou moins considérables. Parfois la maison de banque, pour amorcer le client, sert des bénéfices pendant un certain temps, afin de faire augmenter la mise, mais tôt ou tard le dénouement fatal se produit.

Fût-elle exempte d’injustice et de fraude, la pratique habituelle de la spéculation de bourse ne laisse pas d’offrir des dangers sérieux et réels. Comme nous l’avons montré plus haut, le petit spéculateur est toujours en péril d’être un jour ou l’autre écrasé par la haute finance. Il gagnera tant qu’il sera dans le courant des grands spéculateurs, mais il risque de sombrer quand le courant changera de direction. La spéculation excite la cupidité, développe la fièvre dévorante de l’or, pousse au luxe et à la prodigalité : ce qui est vite gagné est vite dépensé. Le vertige monte à la tête, on se laisse entraîner à risquer de fortes sommes et l’on tombe dans l’abîme. Aveuglé par sa folle passion, le joueur n’hésitera pas à contracter des dettes, à compromettre le patrimoine de famille et quel triste et pernicieux exemple ne donne-t-il pas à ses enfants !

La bourse et la morale sociale.

Le rôle fondamental

de la bourse dans la société, est celui d’un marché au sens le plus large de ce mot ; il consiste à produire la concentration de l’activité commerciale, rapprocher l’ollre de la demande, faciliter les transactions et assurer la fixation de prix probablement plus exacts. Il s’ensuit que l’état de la bourse sera l’expression de la prospérité ou de la dépression du commerce et du crédit d’un État. Ainsi comprise, la bourse est donc utile et même nécessaire au bien social. Mais si l’on considère la bourse non plus telle qu’elle devrait être, mais telle qu’elle fonctionne dans la réalité, on doit reconnaître qu’elle donne lieu a de graves abus, à des excès regrettables. Ces abus ont leur origine dans la constitution même de la bourse.

La bourse est le centre de la vie économique moderne sur laquelle elle nrnv une inlluence puissante. Cette iniluence, au lieu d’être soumise aux acheteurs et aux vendeurs sérieux, aux industriels, commerçants, grands producteurs, se trouve en grande partie enire les mains des intermédiaires, qui représentent la foule nombreuse

des personnes étrangères à la bourse. L’intérêt immédiat de l’intermédiaire est dans la différence des cours et partant dans la multiplication des émissions, donnant naissance au papier de spéculation, dans l’extension des opérations de crédit. Aussi, l’intérêt personnel du spéculateur de profession est-il souvent opposé à celui de la multidude des éléments étrangers sur lesquels il gagne, opposé à celui des industriels et commerçants. Pourvu que le spéculateur touche les différences, peu lui importe que l’allaire réussisse.

Le spéculateur ne produit pas de travail socialement utile et la part qu’il prélève sur la richesse publique est hors de proportions avec les services rendus. La spéculation vend cinq fois plus de café que la terre n’en produit, par conséquent les quatre cinquièmes des ventes sont fictives. Une cargaison de blé, avant d’être livrée au dernier acheteur, est achetée et vendue quinze ou vingt fois. Le même fait se produit pour les laines, les alcools, les huiles, etc.

La bourse attire des capitaux considérables, qui sont soustraits à l’agriculture et au travail national. On évalue à un milliard environ le capital des sociétés financières de Paris ; si à cette somme on ajoute un milliard de dépôts et couvertures, on arrive à un chiffre de deux milliards aifectés à la spéculation, et ce chiffre est très probablement en dessous de la réalité.

Enfin, pour l’intermédiaire de bourse, la tentation est grande d’abuser de la crédulité et de l’ignorance des non-professionnels et de faire dévier la spéculation prudente et raisonnée en agiotage déloyal et en jeu aveugle. De là ces catastrophes financières retentissantes. Qu’on se rappelle le krach de 1724 sous Louis XV, celui de 1873 en Autriche, de 1882 à la Bourse de Paris. Les secousses de ce genre ébranlent profondément le crédit. La Bourse de Vienne ne s’est jamais relevée du désastre de 4873 et la place de Paris ressent encore les effets de la crise terrible de 1882.

Depuis longtemps les gouvernements se sont préoccupés d’apporter aux abus de la spéculation de bourse des remèdes efficaces ; nous nous bornerons à indiquer les principaux.

VIL Réglementation ue la boi’hse. — 1° L’exception de jeu. — La loi française ne reconnaît pas les dettes de jeu ou de pari. D’après l’art. 1965 du Code civil « la loi n’accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d’un pari » . Pendant longtemps en France et en d’autres pays, la jurisprudence a assimilé les marchés différentiels de bourse à de simples paris. Selon le droit commun de l’empire allemand, l’exception de jeu accordée par les tribunaux emportait la nullité du marché : ce qui avait pu être paye devait être rendu, les sommes non payées restaient acquises au débiteur. D’après le droit prussien il ne s’agissait que d’un refus d’action en justice, laissant intacte l’obligation de conscience ; ce qui avait été payé ne devait pas être rendu. En France, cette dernière solution semblerait indiquée par la rédaction de l’article 19(35, mais la jurisprudence a toujours prononcé l’annulation du marché à terme différentiel, pour cause de moralité publique.

L’exception de jeu est une prime accordée à la malhonnêteté, elle n’est invoquée que par les financiers peu scrupuleux, qui y trouvent un moyen de se soustraire à leurs obligations. Elle n’a produit pour enrayer les abus de la spéculation aucun effet appréciable. Dans le dessein d’atténuer les mauvais effets de cette mesure, la jurisprudence créa des distinctions, valida malgré la loi des marchés à terme qui lui paraissaient sérieux, n’accueillit l’exception de jeu que lorsque île l’ensemble des circonstances résultait la présomption formelle que les marchés n’étaient qu’un pari, lai 1882, au moment du krach de l’Union générale, les tribunaux s’avisèrent de revenir soudain à l’application slricle de la loi ; d’un trait de plume ils annulèrent comme entachés de jeu