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T.OURDALOUE

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sacrements et de la eontrilion parfaite avec l’amour de Dieu avant l’absolution, principes qui rendaient la pénitence si difficile, trouvèrent en Bourdaloue, comme toutes les erreurs analogues, un adversaire, mais un adversaire modéré. Sagement éloigné des complaisances trop faciles et des sévérités outrées, il posa cette règle en principe, que, « lorsqu’il s’agit de la réprobation d’une une ou de sa justification, on ne doit être ni trop commode, ni trop sévère, mais sage selon les règles de la foi. »

La grande inquiétude de Bourdaloue était, en effet, de voir les libertins se prévaloir de ce que des docteurs impitoyables leur imposaient des obligations exagérées, et s’en autoriser à demeurer dans leur impénitence. « Tout ou rien, dit-on, mais bien entendu qu’on s’en tiendra toujours au rien. »

De même pour l’admission à la sainte table, Bourdaloue ne prit le parti ni de la communion fréquente quand même, ni de la communion indéfiniment retardée sous prétexte de la pureté de vie requise. Il distingue entre les dispositions nécessaires et absolument suffisantes et les dispositions de bienséance ou de surérogation. S’il recommande les secondes, il ne veut cependant point qu’on les propose en un degré de perfection inaccessible. Surtout il défend que, pour éviter les communions indignes, on en vienne à ne communier jamais. S’appuyant sur la doctrine du concile de Trente, il soutient que l’état de grâce suffit, selon la dernière rigueur du précepte, pour communier.

Il a réfuté les erreurs jansénistes, outre les allusions semées ça et là, dans quelques-uns de ses principaux serinons, tels que la Sévérité de la pénitence, la Sévérité évangélique, la Communion, la Grâce, Y Aveuglement spirituel, l’État du péché et l’état de la grâce, la Sévérité chrétienne, la Médisance, le Désir et le dégoût île la communion, et encore dans les Pensées.

3. En face des quiélisles.

Les illusions du quiétisme devaient (’gaiement éebouer contre ce ferme esprit. Aussi bien dans la deuxième partie du sermon sur la Prière (5e après Pâques), que dans sa lettre à M rae de Maintenon mit le Moyen court de M me Guyon, il combat l’état habituel de pur amour, l’état passif, la prétendue nécessité de l’oraison extraordinaire pour la perfection, l’indifférence à la pratique des vertus et au salut éternel ; au contraire il maintient que la prière est un devoir essentiel et que nous devons demander à Dieu les grâces du salut. « L’oraison que l’Écriture nous recommande en mille endroits, écrit-il dans cette lettre, est de méditer la loi de Dieu, de nous excitera la lerveur dans son service, de nous inspirer une crainte respectueuse de ses jugements, de nous occuper du souvenir de ses miséricordes, de l’adorer, de l’invoquer, de le remercier, de repasser devant lui les années de notre vie dans l’amertume de nos âmes, d’examiner en sa présence nos obligations et nos devoirs. » On voit combien le christianisme positif et précis de Bourdaloue était éloigné du chimérique idéal de Fénelon et de tout faux mysticisme.

4. En face des gallicans.

Les doctrines gallicanes au contraire trouvèrent en lui, à la différence de l’évéque de Cambrai, moins de répulsion peut-être qu’on ne l’a écril longtemps. Sur la question de l’infaillibilité pontilicale, il préféra garder le silence par prudence, et il ne donna pas, à l’époque du moins des controverses les plus vives, un sermon qu’il avait composé sur cette matière quelque peu compromettante. Mais il insiste sur l’infaillibilité de l’Église et proclame sa souveraineté spirituelle sur toutes les puissances de la terre. Si

quelques phrases nul pu être interprétées dans le sens

de l’indépendance des rois au temporel, s’il écrit que

< dans les troubles île l’klat, le bon parti est toujours ((lui du roi et île snn conseil » , il déclare que « dans les troubles de l’Église, en matière de créance et de doctrine, le bon parti est toujours celui du vicaire de

Jésus-Christ, du siège apostolique et du corps des évêques » .

5. En face des libertins.

D’ailleurs plutôt que de se lancer à fond dans ces querelles entre catholiques, il préférait s’en prendre aux libertins qui menaçaient de faire verser dans l’athéisme certains esprits portés au scepticisme. C’est contre eux qu’il a écrit ses excellentes pensées sur l’Accord de la raison et de la foi. Dans son système, raison et foi venant toutes les deux de Dieu, il ne peut y avoir contradiction entre elles. A la raison de vérifier les divers titres de la religion et d’en démontrer les preuves ; mais à la foi de percer les mystères de la révélation. On a reproché à liourdaloue d’avoir trop réduit le rôle assigné’à la raison et de n’avoir pas, avec saint Augustin, saint Thomas, Bossuet, chargé la raison de faire voir que pour être supérieurs à elle-même les mystères ne lui sont pourtant pas opposés. Mais, avec Fénelon, il regarde la religion naturelle comme la base et le commencement de la religion surnaturelle et demande que le chrétien commence par observer tous les devoirs de la vie civile, tels que la probité.

Il est amené ainsi à distinguer la vraie et la fausse piété, et tout en rappelant à l’occasion, à propos de Molière et de Tartufe, qu’il est dangereux de ridiculiser celle-ci, parce que c’est s’exposer à discréditer celle-là, il blâme cette dévotion scrupuleuse dans les moindres détails, qui par contre néglige les devoirs essentiels. L’ensemble de sa direction tend plutôt à mettre en garde contre toute pratique curieuse et singulière, contre toute méthode nouvelle et non expérimentée : « Gardez, écrit-il, toutes vos pratiques de dévotion ; mais, avant que d’être dévot, je veux que vous soyez chrétien… ; le renversement est l’abus le plus monstrueux ; c’est la dévotion sans le christianisme. »

6. Dans d’autres controverses.

Cette position si raisonnable, il la garda dans le conflit où il fut amené à entrer en passant, sur la dévotion à Marie, à propos du libelle intitulé : Avertissements salutaires de ta bienheureuse Vierge à ses dévots indiscrets (Monita salit lariaad suos cultores indiscretos), par M. Widenfeldt, condamné donee corrigatur par décret de l’Index du 25 janvier 1678. Sa thèse fut la suivante : S’il y a des dévots indiscrets de Marie, il y a aussi des « censeurs indiscrets » de cette dévotion, et les risques ne sont pas moindres devant Dieu à condamner avec témérité un culte légitime et saint, qu’à pratiquer un culte outré et superstitieux.

Enfin Bourdaloue ne resta pas étranger à la controverse sur la question des rites chinois et il fit paraître, en collaboration avec le P. Daniel, une Histoire apologétique de la conduite des jésuites à la Chine.

Morale.

Le mérite principal de Bourdaloue

consiste dans son talent de moraliste. Nul orateur sacré ne l’a surpassé comme puissance d’analyse du cœur humain ; nul n’a possédé une connaissance plus complète des infirmités et des plaies de la conscience. Attaquant de Iront les vices des individus et ceux des corps sociaux, dépeignant les caractères particuliers et les mœurs publiques en d’immortels portraits, dénonçant les scandales des courtisans, de la magistrature, du clergé, des financiers, du roi même, il sut faire agréer ses censures par sa franchise proverbiale et sa liberl apostolique. Mais c’était peu pour lui de démasquer les passions et de llétrir les habitudes coupables. Son art de moraliste s’élève plus haut. A côté du mal, il excelle à montrer le remède. S’il dépeint les causes des entraînements, il enseigne les moyens de leur résister ; s’il décril la tentation, il indique la manière de la vaincre. Il parle pour peindre les mœurs ; mais il ne les peint que pour les réformer.

111. Méthode oratoire. — Sa méthode oratoire, qui a

fail de lui le premier sermonnaire du xvir’siècle, consiste avant lout dans la puissance de sa logique,