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BAIUS


rapporter tous à Dieu par le motif de la charité sous la lumière de la foi, ex fide per dilectionem opérante. Une fois en possession de ces principes, Baius pouvait formuler la proposition 38 e. Comme elle a été condamnée dans le sens de l’auteur, il faut conclure à la fausseté de la doctrine qu’elle exprimait, et reconnaître que la division de nos actes moraux en cupidité vicieuse et charité théologale même imparfaite n’a rien d’absolu. Aussi les docteurs de Louvain opposèrent-ils à la proposition censurée cette assertion positive, c. v : « On ne peut douter qu’il y ait un amour intermédiaire entre le surnaturel et le vicieux, amour que l’auteur de la nature a mis dans nos cœurs et qui porte tous les hommes à vouloir être heureux, à aimer leurs pères, leurs mères, leurs enfants, leurs amis et leurs proches ; amour irrépréhensible et inspiré parla nature elle-même. » Baiana, p. 168.

Peu de propositions ont été défendues aven autant d’obstination et d’acharnement par les baianistes et les jansénistes, sans compter les théologiens qui subirent leur influence, comme Henri de Saint-Ignace. Alexandre VIII confirma la doctrine sanctionnée par Pie V, en condamnant cette assertion : ce Toute action humaine libre est amour de Dieu ou amour du monde. Si elle est amour de Dieu, c’est la charité du Père ; si elle est amour du monde, c’est la concupiscence de la chair, et ainsi elle est mauvaise. » Denzinger, Enchiridion, n. 1161. Quesnel reprit le même thème, en calquant son énoncé sur le texte de saint Léon : Non sunt nisiduo amores, etc. ; nouvelle condamnation. Ibid., n. 1259. Pie VI compléta enfin la réprobation de cette erreur du double amour, se partageant en cupidité dominante et en charité dominante, à l’exclusion d’actes intermédiaires ; il déclara solennellement cette doctrine fausse et déjà condamnée, fada, alias damnala, et lui opposa les textes de saint Augustin cités précédemment. Despiritu et littera, c. xxviii ; Serm., CCCXLix. Denzinger, op. cit., n. 1387. Sans doute le grand docteur ramène toutes les affections humaines à l’amour de Dieu et à l’amour de la créature, à la charité et à la cupidité ; mais il n’entend pas alors par charité la vertu théologale de ce nom, ni même l’amour de Dieu en général ; il étend le sens du mot charité à tout amour honnête, à tout acte de vertu, à toute bonne volonté conforme à l’ordre éternel. En outre, Baius s’est trompé en transportant à tous nos actes pris dans un sens particulier et distributif ce qui ne leur convient que dans un sens général et collectif. Un homme est juste ou pécheur, suivant que l’amour de Dieu ou l’amour de la créature domine habituellement en lui, et par là même l’ensemble de ses actions se ressentira de l’une ou de l’autre de ces deux grandes affections ; mais on n’a pas le droit d’affirmer que, dans toutes et chacune sans exception, il agira sous l’inlluence ou de la charité dominante ou de la cupidité dominante, quasi in omnibus suis aclibus peccator serviat doniinanti cupiditati, disait Pie VI au même endroit de la bulle Auclorem fidei. Voir Ripalda, op. cit., disp. XXII, sect.

I, XVI.

Les propositions 31" et 3C C sont pour Baius un simple corollaire de sa doctrine sur l’amour de Dieu et sa relation essentielle au Saint-Esprit comme principe. Elles sont à tout le moins téméraires et scandaleuses pour la dureté et l’arrogance dont l’auteur fait preuve à l’égard d’une distinction et d’une opinion reçues et autorisées parmi 1rs théologiens. Sont-elles fausses ? Oui, dans le sens de l’auteur ; car Baius s’appuyait sur les principes erronés que nous avons vus pour condamner catégoriquement la distinction d’un double amour de Dieu et rejeter absolument la possibilité’d’un amour naturel de Dieu. Mais il ne s’ensuit pas que, par le seul fait de la censure portée contre les propositions 31e et 3Ce, Pie V ait tranché la controverse existant dans l’école sur ces deux questions prises en elles-mêmes et indépendamment des

faux principes supposés par le docteur lovaniste. Ce qui n’empêche pas qu’on ne puisse chercher dans l’ensemble de doctrine qui résulte de la bulle Ex omnibus af/Uctionibus et des autres documents du même ordre, des principes pour confirmer le sentiment de ceux qui soutiennent la distinction du double amour de Dieu ; car, suivant une juste remarque de Suarez, l’usage que les docteurs ont fait de ces constitutions a eu pour objet non seulement le triomphe de la doctrine catholique, mais encore l’établissement des opinions théologiques les plus vraisemblables, ad confirmandas non solum catholicas, sed eliamveriores theoloaicas opiniones. De gratta, prolegom. VI, c. il, n. 12. Voir, sur la distinction du double amour de Dieu et la possibilité d’un amour naturel, S. Thomas, Comment, in 1 Cor., xiii, lect. iv, à la fin ; Sum. theol., D II*, q. cix, a. 3 ; Suarez, op. cit., 1. I, c. XXIX sq. ; Bipalda, op. cit., disp. VIII, sect. xiii sq. ; disp. XIII, sect. iv, n. 38 sq. ; disp. XXI, sect. i, n. 7 sq.

16. Non est vera legis obeL’obéissance qu’on rend à la

dientia, quae fit sine charitate. loi sans la charité, n’est pus

De meritis operum, 1. H, c. I ; une véritable obéissance. Baiana, p. 89.

Baius entend ici la charité comme dans la proposition 38e ; il le dit formellement dans son apologie, en citant à l’appui de son opinion, les paroles de Notre-Sei ^neur, Joa., XIV, 21 : « Celui qui ne m’aime pas, ne garde pas ce que j’ai dit, » et divers passages de saint Augustin, par exemple : « Sans la grâce, la loi ne fait que des prévaricateurs… Sans la foi qui opère par la charité, on ne peut garder la parole du Seigneur. » De gratia et lib. arb., c. xviii ; In Ps. cxvw, serm. vu ; P. L., t. xliv, col. 901 ; t. xxxvii, col. 1516. Textes que le docteur lovaniste fait suivre d’une glose qui nous est assez connue : tout ce qui ne vient pas de la foi est péché, et la foi opère par la charité. La pensée est donc manifeste ; sans la charité théologale au moins imparfaite, il y a péché, et non pas véritable obéissance à la loi divine. Comparer la proposition 47e de Quesnel. Denzinger, Enclnridion, n. 1262. Une longue réfutation n’est pas nécessaire. La proposition 16e est d’abord erronée dans le sens de l’auteur, par son étroite connexion avec des erreurs plus générales. De plus, prise textuellement, elle est équivoque. Que signifient les mots vera legis obedientia ? Si l’on entend l’accomplissement parfait et entier de la loi divine, il est incontestable que la charité doit intervenir, comme premier précepte et plénitude de la loi, non pas la charité imparfaite, mais la charité parfaite et habituelle. Si l’on entend l’accomplissement de la loi prise en détail dans les divers préceptes qu’elle renferme, il est faux d’affirmer qu’il n’y a pas de véritable obéissance sans la charité ; d’autres motifs suffisent, nommément celui de l’obéissance même, sans parler de l’espérance, de la crainte bien réglée, de l’honnêteté inhérente au précepte, etc. Pour lever toutes les équivoques, le cardinal Bellarmin énonce ces trois principes, dans sa réfutation inédite des propositions de Baius, fol. 175 sq. : Parfois il est nécessaire d’agir par le motif de la charité, pour éviter de pécher dans l’observation des commandements qui se rapportent à l’amour de Dieu ; il n’est pas nécessaire d’agir pour le motif de la charité, pour éviter de pécher dans l’observation des autres préceptes ; enfin celui qui est en état de charité n’est pas tenu d’accomplir toujours les préceptes par le motif de la charité. C’est la doctrine de saint Thomas, Sum. theol., I a II æ, q. c, a. 10. Mais, pour que l’observation de la loi soit rigoureusement méritoire, la charité au moins habituelle est requise. Par ce coté, la proposition présente a des points de contact avec les propositions 13", 15 a et 61 e. Cf. Ripalda, op. cit., disp. XXII, sect. i, n. 7 sq. ; pour l’explication de suint Augustin en particulier, sect. v, viii.