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BOSSUET


sans baptême un bonheur naturel (opinion qui peut jusqu’à un certain point se réclamer de saint Thomas, voir col. 369-370) ; et l’opinion si autorisée, soutenue par de Lugo et par Suarez, qui ne regarde pas comme nécessaire de nécessité de moyen pour le salut la foi explicite aux dogmes de la Trinité et de l’Incarnation. L’évêque de Meaux proposa à l’assemblée du clergé de 1700 de censurer l’axiome familier aux scolastiques : Facienti quod in se est Deus non denegat gratiam. Bossuet réussit ; et Fénelon, qui de loin avait suivi les débats de l’assemblée, écrivait au cardinal Gabrielli, le défenseur de St’ondrate : Vnum est quod acerbissime répudiant (antistites), scilicet facienti quod in se est, Deum gratiam Salvatoris omnium non denegare, liberatitate mère graluita (22 septembre 1700). Cet axiome, saint François de Sales l’avait cependant exposé avec une irréprochable précision et une grâce persuasive dans son Traité de l’amour de Dieu, 1. 1, c. xvii, xviii ; mais Bossuet, nourri surtout de l’antiquité, avait plus le sens de la perpétuité de la doctrine que celui de ses légitimes et nécessaires développements ; de là sans doute, envers saint François de Sales, la sévérité de son jugement. Préface sur l’Instruction pastorale donnée à Cambrai) le 15 de septembre 1697, sect. xi, n. 126.

Ailleurs encore, les mêmes tendances, les mêmes opinions s’accusent. Dans la Défense de la tradition et des saints Pères, œuvre puissante d’une vieillesse qui n’a pas connu le déclin, Bossuet explique, comme Vasquez, la mort des enfants dans le sein maternel, non par le J2u des causes naturelles que la providence laisse agir, mais par une volonté positive de Dieu qui les excluait du salut ; et défiant presque les partisans d’une opinion plus douce — ces partisans, c’était, c’est aujourd’hui le grand nombre des docteurs catholiques — il s’écrie avec une ironie assez déplaisante : « Je le veux : j’accepte aisément ces douces interprétations, qui tendent à recommander la bonté de Dieu… » Défense de la tradition et des saints Pires, part. II, 1. IX, c. xxi. Enfin, dans ses trois lettres à Brisacier (août et septembre 1701) contre le sorboniste Coulau qui étendait aux anciens peuples le monothéisme et la connaissance du vrai Dieu dans une mesure que n’auraient pas sans doute admise les Pères Le Comte et Le Gobien, ces illustres missionnaires de la Chine, Bossuet se montre « un peu trop zélé pour fermer la porte du ciel dés que quelqu’un faisait mine de l’ouvrir un peu trop grande ; un peu trop porté à se complaire dans les passages effrayants de l’Écriture, dans ceux qui font « adorer en tremblant les secrets et impénétrables jugements de Dieu » , et à négliger les endroits plus consolants qui découvrent dans ces mêmes jugements des abîmes de miséricorde » . De La Broise, Bossuet et la Bible, c. xi.

En morale comme en dogmatique — sans aller jusqu’aux excès où tant de jansénistes ont donné — Bossuet se prononçait pour les opinions qui accordaient moins à la liberté qu’à la loi. Dans cette même assemblée de 1700 dont nous avons déjà parlé, de nombreuses propositions de morale relâchée furent condamnées : la plupart de ces propositions avaient déjà élé censurées par Alexandre VII et Innocent XI. Voir dans la lettre, déjà citée, de Fénelon à Gabrielli, une critique très juste : l’archevêque de Cambrai exerçait des représailles. Mais ce ne sont pas seulement les propositions nées d’une application décevante du probabilisme, c’est le probabilisme même, sans aucune distinction, qui fut réprouvé dans les comices ecclésiastiques de Saint-Germain. Et cette tendance sévère, nous la retrouvons dans maint ouvrage, par exemple dans la lettre au P. Caffaro et dans les Maximes et réflexions sur la comédie (1694). Bossuet a-t-il écrit des pages d’une observation plus pénétrante ? C’est là que se lit cette phrase immortelle sur 1’« inexorable ennui qui fait le fond de la vie humaine depuis

que l’homme a perdu le goût de Dieu » . C’est là aussi que Bossuet explique, par une vue profonde, l’attrait que le drame (sauf sans doute la tragédie d’Eschyle ou de Sophocle) exerce sur les spectateurs. « On devient bientôt un acteur secret de la tragédie ; on y joue sa propre passion ; et la fiction au dehors est froide et sans agrément, si elle ne trouve au dedans une vérité qui lui réponde. » Mais au cours de sa dissertation, Bossuet rencontre saint Thomas, qui a rangé parmi les vertus Veutrapélie, c’est-à-dire la plaisanterie (la plaisanterie décente, cela va sans dire) ; et il écrit : « Pour la vertu d’eutrapélie que saint Thomas a prise d’Aristote, il faut avouer qu’ils (les Pères) ne l’ont guère connue. » Quand cela serait, pourquoi saint Thomas n’aurait-il pas eu le droit de le faire ? Et quand l’évêque ajoute que « saint Thomas, qui n’était pas attentif au grec, » s’est mépris sur le vrai sens donné par saint Paul au mot ï-JTpairsXi’oc, ne semble-t-il pas fournir à Richard Simon une arme qui pourra quelquefois se retourner contre lui ? Avec de telles tendances, avec de telles doctrines, on comprend que Bossuet ait ressenti de l’attrait pour les hommes les plus éminents du jansénisme. Comme Arnauld, Nicole, Du Guet (avec lequel il eut un entretien célèbre sur le retour des juifs), Tillemont, quoique autrement qu’eux, il professait pour saint Augustin un culte passionné ; comme eux, mais avec plus de modéralion, il s’attachait à promouvoir une morale sévère qui lui semblait conforme au primitif esprit du christianisme. D’ailleurs, comme on l’a remarqué, ses relations avec les jansénistes ne commencèrent qu’après ce que l’on a nommé la paix de Clément IX. A. Ingold, Bossuet et le jansénisme, p. 92. Il voyait dans ces hommes d’utiles auxiliaires contre les protestants ; se trompait-il, et Nicole, pour ne nommer que lui, n’est-il pas un controversiste de haute valeur ? Bossuet s’est trompé parfois sur le mérite de ces hommes et de leurs œuvres. On voudrait que dans la version de Mons censurée par un bref d’Alexandre VII, il eût blâmé autre chose qu’une affectation de politesse, et la recherche d’« un agrément que le Saint-Esprit a dédaigné dans l’original » . Lettre au maréchal de Bellefonds, 1 er décembre 1674. Ces hommes, pourtant, il les jugeait. Admirateur de la science et du talent d’Arnauld que le xvir 3 siècle abusé a mis trop haut, Bossuet le blâmait « d’avoir tourné ses études, au fond, pour persuader le monde que la doctrine de Jansénius n’a pas été condamnée » . Journal de Le Dieu, février 1703. A son tour Arnauld, qui louait avec raison chez Bossuet « un certain fond de sincérité qui lui faisait reconnaître la vérité » de quelque part qu’elle vint, ajoutait : « Il y a néanmoins un verumtamen dont j’appréhende qu’il n’ait un grand compte à rendre à Dieu ; c’est qu’il n’a pas le courage de rien représenter au roi. » Jugement chagrin, et injuste dans sa généralité. 6° Dernières discussions arec les prolestants.

Bossuet,

à ses débuts de controversisfe, avait rencontré Paul Ferry ; il combattit ensuite les représentants les plus autorisés et aussi les plus téméraires champions de la Réforme ; dans la suprême période de sa carrière, nous le rencontrons argumentant avec Leibniz qui, " malheureusement, voulait surtout négocier.

L’Allemagne semblait se résigner avec peine à une rupture définitive de l’unité religieuse. De là, les tentatives de conciliation qui se produisirent au cours du XVIIe siècle, et auxquelles Bossuet apporta un concours trop inefficace. Le franciscain Christophe de Rojas-Spinola, tour à tour évêque de Thina en Croatie et de Neustadt, avait eu des conférences avec l’abbé luthérien de Lockum, Van der Muelen (Molanus), théologien tout ensemble habile et modéré. Spinola mourut en 1695 ; mais dès 1691, à la prière de la princesse palatine Louise Hollandine, abbesse de Maubuisson, qui avait pour secrétaire et pour confidente M me de Brinon, exilée de Saint-Cyr, Bossuet était intervenu dans cette impor-