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BOSSUET


sous les deux espèces. « A entendre parler (nos Frères séparés), écrit-il, vous diriez que tout le christianisme consiste à recevoir les deux espèces du Saint-Sacrement. > La tradition défendue sur la matière de la communion sous une espèce. Avertissement. Dans son traité, l’évêque, s’aidant de l’histoire, s’attache à montrer « que la pratique de l’Église dés les premiers temps est qu’on y communiait sous une ou sous deux espèces, sans qu’on se soit jamais avisé qu’il manquât quelque chose à la communion lorsqu’on n’en prenait qu’une seule » . Traité de la communion sous les deux espèces, I r « partie. L’Église avait donc pu. selon les occurrences, permettre ou retrancher à ses enfants l’usage du calice.

Le traité de Bossuet provoqua deux réponses, l’une d’un ministre de Rouen, Mathieu de Larroque, l’autre d’un anonyme qui était peut-être le protestant Noél Aubert de Versé, « vigoureux attaquants, » dit Bossuet, Tradition défendue, part. II, c. xiv, lesquels (c’est encore Bossuet qui parle), déterrèrent toutes les antiquités et épuisèrent la matière. Leur critique lui fut utile. Dans un ouvrage qui complète et parfois rectifie le premier, et qui ne fut publié qu’en 1753 : La tradition défendue sur la matière de la communion sous une seule espèce, Bossuet avoue que sur un point il a suivi trop aveuglément le classique historien de l’Eglise, Baronius. « Que si ce savant cardinal, dit-il, dans un travail aussi grand que celui des Annales de l’Eglise, n’a pas pu examiner toutes les choses avec une égale exactitude, et que pour n’avoir pas pris des principes assez fermes en cette matière, il ne soit pas bien d’accord avec lui-même ; ou que dans un ouvrage si vaste, il lui arrive quelquefois d’oublier en un endroit ce qu’il aura établi en un autre ; c’est à nous à ne déférer à ses sentiments qu’autant que nous les trouverons soutenus par de bonnes raisons. » Tradition défendue, part. II, C. xxv. Averti de la sorte, « formé par la gymnastique profitable que les chicanes de ses adversaires lui ont imposée, » Bossuet remontera désormais aux originaux ; peu content des textes imprimés, il se fait envoyer par ses amis, Mabillon, Ruinart, des documents inédits ; « il s’apprend enlin, et de bon cœur, à manier régulièrement les procédés de l’exactitude rigoureuse, littérale, terre à terre, à la bénédictine, car il en aperçoit la vertu. » A. Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme, 1. 1, c. il. Et comme l’amour de la vérité, non seulement de la vérité qui éclaire, mais de la vérité qui sauve, anime, échaulfe même toute cette érudition ! « Dans la discussion de ces matières, je demande de la patience à mon lecteur ; et j’ose lui promettre par avance que pour peu qu’on ait de goût ou de respect pour l’antiquité, on sera payé de ses peines. Il faudra souvent expliquer les anciens rites de l’Église, qui sont autant de monuments de la tradition. Nos adversaires nous parlent souvent de l’ancien christianisme. C’est de cet ancien christianisme que nous leur représenterons les saintes coutumes, où tous les enfants de Dieu respirent pour ainsi dire un air de piété. » Tradition déf’endue, part. II, c. VI.

Démêlés avec Richard Simon.

En 1678 commencent

les démêlés entre Bossuet et Richard Simon ; démêlés qui, parmi des alternatives, durèrent plus de vingt-cinq ans. Disons-le tout de suite, l’évêque et l’oratorien n’étaient guère faits pour s’entendre. Disciple enthousiaste de cette tradition catholique qu’il expose avec une éloquence sans égale, mais avec laquelle il confond parfois des opinions d’école, Bossuet s’indigne des assertions hardies, des sous-entendus équivoques, de toutes les irrévérences d’un critique qui croit relever par le sarcasme son incontestable érudition. De là, chez L’évêque, îles sévérités qui se sont à peine quelquefois adoucies. Il ne méconnaissait point le mérite de Simon : « , 1e ne veux que du bien à cet auteur, et rendre Utiles à l’Église les beaux talents qu’il a lui-même rendus sus pects, » écrira-t-il à l’abbé Bertin M9 mai 1702) ; cependant il n’appréciait pas ce mérite à sa juste mesure. Il ne savait pas assez, lui, le maître, qu’il était en présence d’un autre maître, inoins grand sans doute et moins sûr, mais qui, « orientaliste consommé-… ramena l’attention vers les langues sémitiques, et… donna le premier des règles pour discerner les bons manuscrits. » Ch. Trochon, Richard Simon et la critique biblique, dans la Revue de Normandie, Rouen, mai 1868. Dans l’oratorien qui jugeait de haut saint Augustin, mettait volontiers en lumière les divergences des Pères, et fréquentait chez les hétérodoxes, Bossuet voyait un contempteur de l’antiquité’, j’ai presque dit un prêtre de foi douteuse. L’Histoire critique du Vieux Testament fut le premier des ouvrages de Simon qui donna l’éveil à l’évêque. Un ami de Port-Royal, très probablement Renaudot (entre Simon et les jansénistes il y avait guerre à mort), envoya à Bossuet les feuilles du livre, alors en cours d’impression. L’évêque effrayé en fit arrêter la publication (avril 1678) ; et tous les exemplaires, au nombre de treize cents, furent mis au pilon. L’ouvrage fut réimprimé en Hollande. Les Histoires critiques du texte et des versions du Nouveau Testament parurent ensuite, et, sans contester l’autorité et la justice des décrets de l’Index qui ont atteint ces livres, on peut y reconnaître, avec Reithmayr et le P. de Valroger, « un étonnant déploiement d’érudition historique et de pénétration critique. »

De nouveaux démêlés avec Richard Simon occupèrent Bossuet aux dernières années de sa vie. Nous allons les raconter tout de suite, pour n’avoir pas à y revenir. L’Histoire des commentateurs du Nouveau Testament, qui faisait suite à celle du texte et à celle des versions, avait paru en 1693 ; sans tarder, Bossuet se mita l’œuvre, et, quoique distrait sans cesse par d’autres travaux, il réfuta cette Histoire dans sa Défense de la tradition et des saints Pères. La version du Nouveau Testament, imprimée à Trévoux après examen des sorbonisles Bourret et Pocquelin, excita une fois encore contre Bichard Simon l’évêque plus que septuagénaire dont la verve, aidée par une abondante érudition, ne tarissait pas. Il écrivit ses deux Instructions contre cette traduction suspecte (1702-1703). Dans la version dite de Trévoux, Bossuet signale une critique hardie, dédaigneuse des interprétations traditionnelles, et portée à affaiblir la doctrine de l’Église, à en diminuer, à en obscurcir les preuves. Ce qui l’irrite dans l’Histoire des commentateurs du Nouveau Testament, c’est le dessein manifeste de rabaisser saint Augustin, et d’opposer à sa doctrine sur la grâce, celle de ses devanciers, surtout des Pères orientaux. « Le ministre Basnage en triomphe, écrivait Bossuet dans la Préface de sa seconde Instruction ; et trop faible pour excuser les variations de sa prétendue Église, il ne trouve plus de ressources que de reprocher à l’Église chrétienne d’avoir varié elle-même dès son origine sur la matière de la grâce. » Bossuet aperçoit l’ennemi : le protestantisme toujours aux aguets, et, à l’extrême gauche du protestantisme qui les désavoue en vain, Socin et ses adeptes. De là ses colères contre toute opinion qui lui paraît favoriser l’adversaire. Est-il toujours vainqueur dans la campagne qu’il mène contre Richard Simon ? a Si l’on examine dans le détail les reproches qu’il adresse à l’auteur des Histoires critiques et du Nouveau Testament, répond le B. P. de l.a Broise, on trouve que fort souvent, la plupart du temps peut-être, il a raison et qu’il appuie ses griefs sur de lionnes preuves, niais il lui arrive aussi de se tromper ; il lui arrive plus souvent encore, alors même qu’il a probablement raison, de ne pas pousser ce qu’il avance jusqu’à la démonstration, comme il l’avait promis ; quelques phrases oratoires lui suffisent quand une discussion développée et précise serait nécessaire. » Bossuet et la Bible, c. mi, g’2. Cꝟ. 11. Margival, Richard Si-