Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/534

Cette page n’a pas encore été corrigée
1055
1056
BOSSUET


calme et sincère de la doctrine catholique, des protestants se convertissent. En 1665, c’est le marquis de Dangeau qui abjure la rélorme ; en 1668, ce sera son frère, Louis de Courcillon. Nommons aussi dès maintenant les comtes de Lorge et de Rozan, et surtout Turenne. Les panégyristes du héros ont pu taire le nom de Bossuet (ainsi Mascaron, qui parlait en présence de Bossuet ) et attribuer au neveu du grand homme, le cardinal de Bouillon, la gloire d’une telle conversion ; mais la postérité ne s’est pas laissé tromper par ces éloges et par ce silence.

u. l’êvêqvs de condom et le précepteur du DAUPHIN. — l" L’évêque de Condom. — Le 8 septembre 1669, Bossuet apprit à Meaux, où il était allé prêcher la vêture de M |le de La Vieuville, sa nomination à l’évêché de Condom ; — le renom fâcheux de son parent, François Bossuet, compromis dans la disgrâce de Fouquet, et les malheurs immérités d’Antoine, son frère, avaient pu retarder son élévation. Le nouvel évêque fut sacré le 21 septembre de l’année suivante, à Pontoise, devant l’assemblée générale du clergé de France, par Charles-Maurice Le ïellier, archevêque de Nazianze et coadjuteur de Beims, qu’assistaient Armand de Monchy d’Hocquincourt, évêque de Verdun, et l’évêque d’Autun, Gabriel de Roquette. Bossuet qui, dans l’intervalle de sa nomination et de son sacre, avait été choisi par Louis XIV comme précepteur du dauphin, ne prit jamais personnellement possession de son petit diocèse (Condom ne comprenait que cent quarante paroisses) ; de loin cependant, il n’en négligea point l’administration. Nous avons pour preuves de cette vigilance les mesures disciplinaires que l’évêque décréta, et les luttes qu’il eut à soutenir. Plieux, L’épiscopat de Bossuet à Condom, in-8°, Bordeaux, 1879.

2° Bénéfices ; oraisons funèbres. — Devenu en 1670 précepteur du dauphin, et jugeant qu’il ne pourraitconcilier ces fonctions nouvelles avec le devoir de la résidence épiscopale, Bossuet démissionna le 31 octobre 1671. Le roi lui conféra le prieuré de Saint-Étienne du Plessis-Grimoult, au diocèse de Bayeux, et, le 1 er août 1672, la riche abbaye de Saint-Lucien de Beauvais. Le maréchal de Bellefonds — le mieux rente des hommes — s’alarma pour son ami de ce cumul de bénéfices, et celui-ci, aux monitions sévères qui lui étaient laites, répondit avec sincérité, j’ai presque dit avec candeur. Sans doute, un évêque plus pénétré des délicates exigences de la pauvreté évangélique — saint Charles Borromée, saint François de Sales — n’eut pas écrit : « .le ne me sens pas encore assez habile pour trouver tout le nécessaire, si je n’avais précisément que le nécessaire ; et je perdrais plus de la moitié de mon esprit, si j’étais à l’étroit dans mon domestique. » Mais c’est bien l’homme à l’àme profondément chrétienne et sacerdotale qui, après avoir allégué comme délense, que les bénéfices « sont destinés pour ceux qui servent l’Église » , ajoute : « L’expérience me lera connaître de quoi je me puis passer : alors je prendrai mes résolutions, et je tâcherai de n’aller pas au jugement de Dieu avec une question problématique sur ma conscience. » Au maréchal de Bellefonds, Versailles, 19 septembre 1672.

Le 16 novembre 1609, Bossuet avait prononcé à la Visitation de Chaillot l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre ; le 21 août 1670, il prononça â Saint-Denis celle de la duchesse d’Orléans. Tout a été dit sur ces deux chefs-d’œuvre que, environ dix ans après, l’incomparable orateur envoyait à son ami Rancé comme « deux têtes de mort assez touchantes » (30 octobre 1682). On sait aussi avec quelle compatissante sollicitude, qui « charma » même le dur docteur Feuillet, l’évêque de Condom secourut et consola l’agonie de Madame.

Précepteur du dauphin.

Bossuet se donne sans

réserve à ces fonctions qui très justement revêtaient à ses yeux le caractère du plus important service public.

Il exige de son élève un travail quotidien — c’était la volonté de Louis XIV, si assidu lui-même à son métier de roi ; excepté les cas très rares de maladie où il est remplacé par le sous-précepteur, Daniel Huet, il l’ait par jour trois classes au dauphin. Il ne professe pas, il s’entretient avec l’enfant royal.il lui donne de véritables leçon » de choses. « Bossuet cherche à parler aux yeux : il pique la curiosité, il invente mille artifices ingénieux ; il met le jeune prince aux prises avec d’autres enfants de son âge, remarquables par leur précocité ou leur mérite ; il appelle des hommes de science qui répètent devant le dauphin les expériences les plus récentes de la physique, qui lui montrent les dernières découvertes de l’anatomie. Il le conduit à l’Observatoire, il le mène à la Bibliothèque du roi, où l’Académie des sciences tenait ses séances, et qui était à la fois une sorte de Conservatoire des arts et métiers. » F. Strowski, Bossuet, etc., 1. II, c. il. Pour se rendre plus apte à son emploi, Bossuet avait renoué un commerce plus fréquent et plus intime avec les deux antiquités classiques. Il avait étudié l’histoire, particulièrement l’histoire de France, que l’héritier de la couronne avait surtout intérêt à connaître. « Nous avons été dans les sources, dira-t-il dans sa lettre à Innocent XI, De inslitutione delphini, et nous avons tiré des auteurs les plus approuvés ce qui pouvait le plus servir à faire comprendre (au prince) la suite des affaires. » Avant tout, d’accord avec le roi, d’accord avec lui-même, il veut inspirer au dauphin une religion profonde. L’admirable lettre dont nous avons cité un passage, révèle le but visé et les méthodes suivies par le précepteur. Bossuet a-t-il réussi, et, roi, le dauphin eût-il lait honneur à son maître ? Celui-ci, plus d’une fois, s’est plaint de l’inapplication de son élève. N’oublions pas qu’il n’avait pas commencé l’œuvre de cette éducation ; qu’il remplaçait le président de Périgny dont les minutieuses exigences avaient rebuté et fatigué d’avance le dauphin ; n’oublions pas non plus que les rudesses du gouverneur, Montausier, ne facilitèrent point sa tâche. Après tout, ce prince que maint témoignage nous représente comme brave, humain, sensé, et dont les larmes du peuple honorèrent la mort, fut-il aussi nul que l’a prétendu la haine enfiellée du duc de Saint-Simon ? « Son règne, a-t-on dit, n’eût ressemblé en rien à celui de son père. Sous un prince d’humeur pacifique, vivant fort bien sans gloire, la France se serait reposée avec plus de dignité que sous ce régent dont Saint-Simon possédait toute la confiance ; et qui oserait dire que, dans ce cas, la France aurait perdu au change ? » R. P. Charles Daniel, S. J., Bossuet à la cour de Louis XIV, dans les Études religieuses, mars 1866.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas pour le dauphin seul que Bossuet a travaillé. On avait voulu « rendre commune à tous les Français l’éducation du prince destiné à régner un jour sur eux » . Juillard de Jarry, dans VOraison funèbre du duc de Montausier. De lait, la Connaissance de Dieu et de soi-même, la Logique, la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, le Discours sur l’histoire universelle, et même cet Abrégé de l’histoire de France où le maître guide la main de l’élève, composés pour une éducation royale, ont instruit et continueront d’instruire la postérité.

L’auteur ne songeait guère cependant à la postérité ; il a laissé plusieurs de ces ouvrages en portefeuille, ainsi que beaucoup d’autres, au hasard d’une publication posthume qui aurait pu faire défaut. Le Discours sur l’histoire universelle n’a pas couru de tels risques. Bossuet publia en 1681, en 1682 et en 1700, avec des corrections, cette œuvre maîtresse. Des Époques, manuel incomparable, on a pu écrire que « certaines parties en disent plus, dans leur forte brièveté, que les tableaux développés de telle longue et savante histoire » . P. Jacquinet, Discours sur l’histoire universelle, pré-