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BAIUS


Pie V, les propositions 25e et 27e sont absolues, et non pas modales ; la condamnation de la doctrine a été répétée formellement ou équivalemment dans des constitutions postérieures. Voir, dans la bulle Sanctissimus d’Alexandre VIII, les propositions 8° et 11e ; dans la bulle Unigetiitus de Clément VIII, les propositions l re, 2e, 39e, 40e, 41e, 48e ; dans la bulle Auctorem fidei, les articles 23e et 24e qui seront cités plus loin. Denzinger, Enc/nridion, n. 1165, 1168, 1216, 1217, 1254, 1255, 1263, 1386, 1387.

Baius voulait dire, pour les motifs que nous avons vus, que toutes les actions des infidèles sont nécessairement des péchés proprement dits, et qu’au même titre les prétendues vertus des philosophes sont de vrais vices ; il voulait dire que le libre arbitre laissé à ses seules forces ne peut que pécher, parce qu’il est alors physiquement incapable de tout bien dans l’ordre moral. Assertions condamnées dans le sens de l’auteur, et justement condamnées, puisqu’elles sont l’application ou la conséquence de principes hérétiques ou erronés sur la corruption du libre arbitre dans l’état de nature tombée et sur la nécessité de la foi et de la charité théologale comme unique principe de moralité. Aussi les docteurs de Louvain opposèrent à cette doctrine la déclaration suivante : « Le péché du premier homme en affaiblissant les forces du libre arbitre, n’en a pas tellement énervé tout principe du bien, que sans le secours de la grâce il ne puisse que pécher : car il sort encore de ce fonds endommagé des actions utiles au bien de la société, des actions louables propres à former les mœurs, et des traits de sagesse pour le gouvernement politique des États. Des actions de ce caractère ne peuvent en aucune manière être regardées comme autant de péchés ; par conséquent, on a tort d’enseigner que le libre arbitre, soit dans les fidèles, soit dans les infidèles, n’a de force que pour pécher. » Corps de doctrine, c. v, Baiana, p. 167 sq.

S’ensuit-il que, de fait, le libre arbitre fera, sans le secours de la grâce, des actions moralement bonnes ? La conclusion, si tenté qu’on soit de la tirer, ne sort pas rigoureusement de ce qui précède ; entre ne pouvoir que pécher et faire par les seules forces de la nature, sans, grâce aucune, des actions moralement bonnes, il peut y avoir des moyens termes. Vasquez, par exemple, répondra : l’homme peut au moins faire des actes indifférents, ou même faire des actes moralement bons, mais aidé par un secours d’ordre naturel auquel conviendra, dans un certain sens, le nom de grâce. D’autres diront, avec Ripalda : en fait, l’homme ne fera jamais par les seules forces du libre arbitre d’acte moralement bon, parce qu’en vertu d’une loi voulue par Dieu la grâce interviendra toujours pour élever les tacultés d’intelligence et de volonté et leur taire produire des actes surnaturels et méritoires ; mais il n’en reste pas moins vrai que le libre arbitre, considéré en lui-même et dans ses forces propres, conserve par rapport à ses actes une vraie puissance, antécédente et physique ; et c’est là ce qui distingue essentiellement les théologiens catholiques des baianistes et des jansénistes.

Que dire maintenant de cette position, chère aux augustiniens et à beaucoup d’autres docteurs : les actions que font les infidèles en accomplissant les devoirs d’honnêteté, comme d’aimer leurs parents ou leurs entants, ne sont pas des péchés, mais le sujet lui-même pèche alors, d’un péché d’omission, en ne rapportant pas ses actions à Dieu, fin dernière ? La position est certainement différente de celle de Baius, qui voyait dans toutes les actions délibérées des infidèles des actions intrinsèquement viciées par la cupidité. Cependant, si l’on entendait soutenir l’obligation stricte, c’est-à-dire sous peine de péché tormel, de rapporter à Dieu chacune de nos actions par le motif de la foi et de la charité, on retomberait infailliblement dans

quelques-unes des propositions condamnées soit par Pie V, soit par ses successeurs, en particulier dans ces deux propositions, proscrites par Alexandre VIII : « Il est impossible qu’un infidèle ne pèche pas en toutes ses actions. Tout ce qui ne part point d’une foi chrétienne, surnaturelle et qui opère par la charité, est péché. » Denzinger, Enchiridion, n. 1165, 1168. En dehors de cette supposition, la question sort proprement du baianisme et doit se résoudre par d’autres principes.

Les limites restreintes de ce commentaire ne permettent pas de discuter ici les textes de saint Augustin et des conciles que Baius invoquait. Mais il est nécessaire de remarquer que le saint -siège n’a jamais admis que sa conduite à l’égard de ce docteur entraînât la réprobation des anciens Pères. Sous des termes semblables peuvent se cacher des idées différentes ; et la clause quanijuam nonnullx aliquo pacto sustineri possent trouve ici son application. Pie VI rappelle, dans la bulle Auctorem fidei, deux passages de l’évêque d’Hippone qu’on n’a pas le droit d’oublier, quand on veut apprécier équitablement l’ensemble de sa doctrine. Dans le premier, le saint reconnaît, entre l’amour divin qui conduit au ciel et l’amour humain illicite, -un amour humain qui n’a rien de répréhensible, quse non reprehenditur, et qui peut se trouver dans les païens, les juifs et les hérétiques. Serrn., cccxlix, c. I sq., P. L., t. xxxix, col. 1529 sq. Dans le second passage, il suppose clairement la possibilité, dans les infidèles, d’actes dignes de louange sous le rapport de l’honnêteté morale ; possibilité de droit que ne contredit pas, mais confirme, au contraire, la restriction mise par le saint docteur à la question de fait : quanquam si discutiantur quo fine fiant, vix inveniuntur… De spiritu et littera, c. xxvii sq., P. L., t. xliv, col. 229 sq. Ces mots vix inveniuntur, qui n’ont pas de sens dans la supposition baianiste, démontrent clairement que la doctrine vraiment augustinienne sur les actions mauvaises des infidèles n’a pas du tout le caractère d’affirmation absolue et d’universalité rigoureuse que Baius lui attribue. Dans le fameux chapitre ni du IVe livre contre Julien, le grand adversaire des pélagiens n’admet pas, assurément, de vraies vertus dans les infidèles. Doctrine très exacte, puisqu’il entend par vraie vertu celle qui est principe d’un acte bon sous tout rapport, celle qui fait de l’homme un juste et ne le laisse pas dans le rang des arbres stériles, celle enfin qui nous perlectionne en vue de notre fin dernière, c’est-à-dire, dans l’ordre actuel, en vue de Dieu, objet de la béatitude surnaturelle. Tournely, De gratia Christi, q. IV, c. ii, solution des objections tirées de saint Augustin. Et telle est aussi la doctrine du docteur angélique. Sum. theol., ll a II*, q. xxiii, a. 7. Mais s’ensuit-il que toutes les actions des infidèles soient autant de péchés formels, et que tous les principes de leurs actes soient de vrais vices ? Est-il certain, en outre, que dans la terminologie augustinienne, les mots de mal et de péché désignent toujours le péché proprement dit, le péché formel, et qu’ils ne s’opposent pas quelquefois au bonum pris dans l’acception théologique de bien salutaire ? Enfin, quoi qu’il en soit des diverses solutions de détail qu’il faille donner aux textes patristiques ou conciliaires énonçant que l’homme sans la grâce ne peut que pécher, rien dans la doctrine générale des anciens Pères ni dans les circonstances historiques où ils écrivirent, n’autorise cette interprétation étroite de Baius, que l’Église a répudiée : Le libre arbitre, laissé à lui-même, ne peut que pécher, c’est-à-dire, il est, par sa propre faiblesse et son impuissance radicale à tout bien d’ordre moral, déterminé à pécher formellement dans chacune de ses actions. S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. x, a. 4 ; Bellarmin, De gratia et lib.arb., 1. V, c. XI ; Ripalda, op. cit., disp. XIII, sect. iii, n. 20 sq. ; disp.XVIH, XX ; Palmieri, La gratia divina acluali, th. xxi, Gulpen, 1885.