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BONIFACE VIII


planter, arracher, détruire » ; elle récapitulait tous les griefs du pape et des sujets français à propos du mauvais gouvernement du roi, attaquait les ministres « de l’idole Bel » , invitait enfin le roi à venir en personne ou à se faire représenter au prochain synode de Rome afin d’y « entendre ce que Dieu proférera par notre bouche » . La bulle Ante promotionem, à la même date, convoquait les prélats, chapitres, docteurs en théologie à Rome pour le 1 er novembre 1302, en vue de procéder arec eux « à la correction du roi et au bon gouvernement de la France » .

La bulle Ausculta fili ne fut pas brûlée solennellement, mais il semble certain qu’elle fut jetée au feu devant le roi, probablement par le comte d’Artois, ce qui permit de soutenir la version d’un accident. Les conseillers du roi prirent soin de ne pas laisser circuler un texte qui énumérait tous les sujets de plainte imaginables des Français ; ils résumèrent le sens général de la bulle, non très exactement, en quelques lignes sèches dont les plus importantes sont les deux premières : Scire te volumus quod in spiritualibus et in temporalibus nobis subes. Une grossière réponse, également très courte : Sciai maxinia tua fatuitas, qui se lit dans un registre du Trésor des chartes, a probablement circulé en France mais n’a pas été envoyée au pape. La prétendue bulle passa pour authentique et servit à remuer la fibre patriotique chez les Français des trois ordres, réunis par Philippe le Bel, à Notre-Dame de Paris, le 10 avril 1302. Un discours habile et mesuré de Pierre Flote invoquant « conseil et aide » des Etats contre les ennemis du royaume fit une impression profonde. La cause du roi devint vraiment une cause nationale. La noblesse et le Tiers État adressèrent leurs réponses au collège des cardinaux. Celle de la noblesse relevait avec hauteur l’indépendance de la couronne de France, la collation de bénéfices faite par le pape à des étrangers, et contenait des allusions blessantes qui semblaient mettre en doute la légitimité de Boniface VIII. Le clergé enveloppa de réserves l’expression de ses sentiments, mais son mémoire est au lond favorable au roi. Philippe le Bel interdit ensuite à ses sujets sous des peines rigoureuses de se rendre à l’étranger ou d’y transporter l’argent du royaume. Il tombait ainsi sous l’excommunication traditionnelle contre ceux qui empêchaient les communications avec le saint-siège. Les réponses du pape aux délégués des trois ordres, envoyés à Rome par le roi, lurent extrêmement vives pour les évêques auxquels il enjoignit d’assister au concile et pour le roi menacé d’une déposition s’il ne venait pas à résipiscence. La défaite de Courtrai (Il juillet 1302), qui causa la mort de Pierre Flote, engagea Philippe le Bel à négocier. Il accrédita, non plus auprès des cardinaux mais auprès du pape, des ambassadeurs pour demander un sursis à la venue des évêques à Borne. Il se relâcha de la surveillance des frontières de façon qu’une quarantaine de prélats, dont trois au moins appartenaient au domaine direct de la couronne et devaient surveiller leurs collègues, pussent se trouver à Rome pour la Toussaint et assister au synode où fut publiée la bulle Unam sanctam qui affirmait la juridiction dû pape sur toutes les créatures.

Le synode n’entreprit pas d’examiner l’état et le gouvernement du royaume ; le pape fit aux ambassadeurs du roi la concession d’envoyer en France un légat pour traiter de leurs litiges. Son choix tomba sur le cardinal Lemoine que son origine française recommandait à l’agrément du roi. Philippe le Bel fit un accueil gracieux au légat et dans les Besponsiones adressées à Bonilace il consentit à discuter respectueusement les griefs du pape (janvier 1303). Le roi cherchait seulement à gagner du temps pour ses préparatifs contre le pape. Bonilace VIII ne s’y méprit pas, car Philippe n’avait pas voulu lever l’interdiction des communica tions avec Rome ; il invita en conséquence le légat (13 avril 1303) à obtenir des réponses plus satisfaisantes « sous peine de châtiments temporels et spirituels » et à déclarer que le roi avait encouru l’excommunication portée par les canons. En même temps il reconnaissait solennellement Albert de Habsbourg pour le détacher de l’alliance du roi et tâchait do s’en faire un instrument contre la France (30 mai 1303).

Philippe le Bel n’avait pas attendu ces extrémités pour reprendre la lutte. Tandis qu’il amusait la cour romaine par ses réponses, il donnait à Guillaume Nogaret la commission nécessaire à son expédition en Italie. Nogaret connaissait l’état de l’Italie par les Colonna et décida de tenter un hardi coup de main pour s’emparer du pape et le faire juger et déposer par un concile. Maître dans l’art d’inventer des crimes et d’étayer une enquête par des dépositions, il présenta, le 12 mars 1303, à une assemblée tenue au Louvre une requête tendant à obtenir la mise en jugement du pape, l’organisation d’un gouvernement ecclésiastique provisoire et l’intervention du roi. Philippe ne comptait sans doute pas rendre publique la requête de Nogaret, mais l’arrivée des lettres pontificales du 13 avril et surtout les efforts diplomatiques de Boniface en Allemagne décidèrent le roi à publier l’appel au concile dans les assemblées du Louvre (13 et 14 juin 1303) et à provoquer des adhésions dans toute la France.

A l’annonce de ces événements Boniface, très ému, publia, le 15 août, la lettre Nuper ad audientiam où il résumait tous ses griefs contre le roi et laissait prévoir la sentence qu’il se préparait à porter contre lui. La sentence fut formulée dans la bulle Super Pétri solio qui devait être promulguée le 8 septembre : elle déclarait que le roi avait encouru l’excommunication, que ses sujets, déliés du serment de fidélité, ne devaient plus lui obéir, mais elle ne prononçait pas la déposition en propres termes. Pendant ce temps Guillaume de Nogaret s’abouchait en Italie avec de nombreux ennemis du pape et recrutait une bande de près de 1 2 000 hommes avec laquelle il envahit la petite ville d’Anagni le 7 septembre de grand matin. Le palais des Gaëtani fut cerné et pris ; la cave, la caisse pontificale mises à sac. Le château où Boniface attendait ses agresseurs fut bientôt abandonné. Son neveu, le cardinal François, s’enfuit déguisé en valet. Sciarra Colonna pénétra le premier avec ses hommes auprès du pape qu’ils accablèrent d’injures ; mais les témoignages du temps ne confirment pas la tradition du soufflet que Sciarra aurait donné au pape. Plus que ces outrages l’habileté procédurière de Nogaret dut faire souffrir le pape qui ne fut ni lié, ni emprisonné, mais gardé à vue, tandis que Nogaret lui exposait les crimes dont il était accusé, le procès qu’on allait lui intenter, et qui trouverait son épilogue devant un concile général.

Nogaret comptait sans les difficultés d’exécution. Ses propres partisans étaient stupéfaits de leur audace et deleur succès. La population rassurée comptait le petit nombre d’hommes qui avaient pénétré chez elle par surprise. Elle s’opposait à l’éloignement du pape. Le 9 septembre elle se souleva contre Sciarra Colonna et Nogaret qui durent se réfugier à Ferentino. Les Romains avertis avaient dépêché quatre cents cavaliers qui emmenèrent le pape à Rome. Il n’est pas vrai que Boniface avant de quitter Anagni ait reconnu ses crimes ni qu’il ait pardonné l’attentat à ses auteurs. De retour à Borne il végéta encore un mois et mourut le Il octobre 1303.

Boniface VIII a peu écrit, en dehors de ses actes pontificaux proprement dits : deux sermons à propos de la canonisation de saint Louis, les allocutions prononcées à l’occasion de la déposition des Colonna, la reconnaissance d’Albert d’Autriche nous ont été conservés. Il est aussi l’auteur du De regulis juris.

Il fit réunir ses décrétales avec celles de ses piédé-