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BONAVENTURE (SAINT)


cours de philosophie des plus considérables » . Évangéliste de Saint-Béat, Le séraphin de l’école, Paris, 1900, p. 57.

Conformément à ses principes, saint Bonaventure, dans les questions philosophiques, s’attache de préférence aux opinions généralement admises. Son système philosophique, comme celui qui de son temps était accrédité dans les écoles, peut être appelé à bon droit un péripatétisme nuancé d’augustinisme. C’est en [vain qu’on a voulu taire de saint Bonaventure un disciple de Platon. Nous ne pouvons, il est vrai, nier tout point de contact entre lui et ce philosophe. « Comme Platon, il se distingue par l’élévation, la variété, l’ingéniosité des vues, l’enthousiasme et le libre essor de l’âme, » Évangéliste de Saint-Béat, Le séraphin de V école, p. 35 ; mais quand il s’agit de la doctrine, on remarque que l’opposition est flagrante. Sans doute, Bonaventure donne le titre de sage à Platon plutôt qu’à Aristote, à qui il reproche de s’être arrêté trop à l’ordre sensible, cf. Serrno de Christo uno omnium magistro, dans Opéra omnia, t. v, p. 572, mais il n’en blâme pas moins le premier d’être tombé dans l’excès contraire. « Platon, dit-il, a ramené toute certitude au monde intelligible ou idéal, et c’est pourquoi il a été justement réprimandé par Aristote. » Unde quia Plato lotam cognitionem cerlitudinalem convertit ad mundum intelligibilem sive idealem, ideo merito reprehensus fuit ab Arislotele. Loc. cit. En ce qui concerne les universaux, tandis que Platon enseigne qu’ils existent en dehors de toute matière, saint Bonaventure soutient qu’ils ne peuvent être connus de nous que par la voie des sens. Indubitanler verum est, quod dicit philosop/ms, cognitionem generari in nobis via sensns, mémorise et experienliee, ex ijnilius colligitur universale in nobis. Loc. cit. Aussi saint Bonaventure réprouve-t-il la théorie de la réminiscence des idées, quam reprobal tam philosophus quam Auguslinus. In IV Sent., 1. II, dist. XXXIX, q. ii, concl. Ces quelques points sufiisent à démonlrer l’opposition essentielle des systèmes. Aussi les modernes renoncent-ils à faire du docteur séraphique un disciple de Platon. C’est pourquoi M. de Wulf n’hésite pas à affirmer que, « malgré des sympathies augustiniennes non dissimulées, saint Bonaventure, lui aussi, est péripatéticien dans le sens scolastique du mot. » Histoire de la pltilosophie médiévale, p. 291. Sans doute on ne peut pas le ranger parmi les péripatéticiens sans restriction. Quoique Aristote soit le philosophe dont il fait le plus fréquent usage dans ses écrits, ainsi qu’il ressort des tables des auteurs cités, Opéra omnia, t. x, p. 266, quoiqu’il lui ait emprunté la méthode logique, les classifications, qui mettent de l’ordre dans les idées, et les formules, qui expriment avec profondeur et concision les principes dont l’application est fréquente, pour le fond cependant il s’écarte quelquefois de lui, et préfère les doctrines de Platon, qui ne lui sont pas moins familières. Cf. de Margerie, Essai sur la philosophie de S. Bonaventure, p. 40 sq. Il emprunte à tous les systèmes, il les complète l’un par l’autre, et loin de se laisser dominer par eux, il les rend tous tributaires de la philosophie chrétienne. Au-dessus de toute philosophie humaine, il reconnaît l’autorité infaillible de la révélation. « Seule la science des Ecritures peut offrir une satisfaction réelle. » In hac sola scientia est delectalio non in aliis. Coll., xvii, in Hexætneron, Opéra omnia, t. v, p. 410.

Le système pbilosophique de saint Bonaventure a été en quelques points faussement interprété. On l’a souvent invoqué en faveur de l’ontologisme et des idées innées, en se basant sur les textes de Vllinerarium mentis in Deum. Ces objections cependant ont été suffisamment réfutées. Une question inédite : Utrum quidquid certitudinaliter cognoscitur cognoscatur in rationibus seternis, Opéra omnia, t. v, p. 17 sq., a contribué beaucoup à démontrer l’erreur. Cf. à ce sujet, De humaine cogni tionis ralione anecdota qusedam S. Bonaventuræ et nomdloritm ipsius discipulorum, Quaracchi, 1883, p. 147, et S. Bonaventure, Opéra omnia, t. v, p. 313-316.

Mysticisme.

L’étude de la vie spirituelle est la

partie dans laquelle saint Bonaventure, de l’avis de tous, a excellé davantage. « Après avoir touché au sommet de la spéculation, dit Léon XIII, il écrivit de la théologie mystique avec une telle perfection que les plus capables l’ont jugé le prince des mystiques. » Is postrjuam maxime arduas speculationis summitates conscendit, demystica theologia tant a prrfcctione dissertât, ut inea communi hominumperilissitnorum suffragiis habeatur facile princeps. Allocution prononcée devant les professeurs du collège de Saint-Antoine, le 20 novembre 1890, dans Acta ordinis fratrum minorum, 1890, p. 177.

Tout en reconnaissant son caractère de mystique, plusieurs écrivains ont cherché à diminuer ou ils ont même méconnu sa valeur comme scolastique. Ils l’ont considéré comme s’étant occupé exclusivement de mysticisme, dédaignant la science ; tout au moins ils ont pensé que son mysticisme a nui à sa doctrine spéculative. Que faut-il penser de ces accusations ? Après ce que nous avons dit de ses écrits et de sa doctrine, il est clair que c’est une grave erreur de le considérer exclusivement comme un mystique. Une preuve évidente, c’est que, dans la nouvelle édition, cinq volumes entiers ont été nécessaires pour contenir ses ouvrages théologiques, tandis que ses œuvres mystiques occupent seulement la moitié du viiie volume. La distinction de ses œuvres en théologiques, ascétiques et concernant l’ordre des mineurs, n’est pas, il est vrai, absolument exclusive. On pourrait ranger parmi les ouvrages purement ascétiques VEpistola continens t’5 memorialia, et YEpisiola de imitatione Christi ; on pourrait aussi dire de Vllinerarium mentis in Deum qu’il traite ex professo d’ascétisme, néanmoins ces constatations n’enlèvent pas la force de l’argument précédent.

Toutefois, quoique saint Bonaventure se soit occupé ordinairement de philosophie et de théologie, nous pouvons concéder, et nous le faisons très volontiers, que sous un double point de vue, le mystique l’emporte en lui sur le scolastique, soit que l’on envisage les conditions qu’il requiert dans celui qui s’adonne à l’étude des sciences, cf. Collaliones in Hexætneron ; Collationes de seplem donis Spiritus Sancti, soit que l’on considère le but qu’il se propose en écrivant.

Mais peut-on lui faire un reproche de cette prédominance du mysticisme dans ses œuvres ? Nous le nions absolument ; nous affirmons, au contraire, qu’elle constitue son plus grand titre de gloire.

Nous nions donc que son mysticisme ait nui à sa doctrine spéculative. Sans doute, le procédé mystique et le procédé scolastique sont distincts. En effet, tandis que le scolastique tend à s’unir à Dieu par la réllexion et le raisonnement, le mystique, comprenant que la connaissance intellectuelle est, de sa nature, une opération abstraite et froide, cherche à s’unir à Dieu par toutes les facultés de son âme à la fois. Il comprend que cette union s’effectue surtout par l’amour qui doit diriger toutes ses actions. C’est pourquoi il recherche les traces de l’action de Dieu partout dans l’univers ; il prend pour devise la belle formule de Bonaventure : Vita conleinplationis est per ardentem amorem crucifixi. 1 tine rarium mentis in Deum, prolog. Néanmoins, les deux procédés ne sont nullement opposés ; l’amour et la pensée peuvent se soutenir mutuellement et concourir à un même but. Le mystique, pour traiter et résoudre toutes les questions philosophiques, peut se servir de l’expérience, de la raison, de tous les moyens par lesquels un esprit calme et maître de soi s’eiforce de parvenir à la science ; il peut donner, pour les devoirs de la vie active, les règles les plus saines et les plus éloignées d’un quiétisme fanatique. D’autre part, la