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BONAVENTURE (SAINT)

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narum, dans Opéra omnia, Paris, 1606, t. i, p. 553. Le même auteur regrette que la doctrine de Bonaventure ait été abandonnée « par les scolastiques sans pitié dont le nombre, hélas ! est trop grand, bien que pour des théologiens nulle doctrine ne soit plus sublime, plus divine, plus salutaire et plus suave » . Loc. cit. Au témoignage de Sixte IV, Bonaventure a écrit des choses divines, de telle sorte que l’Esprit-Saint semble avoir parlé par sa bouche. Ea namque de divinis rébus scripsit, ut in eo Spiritus Sanctus loquutus videatur. Bulle Superna cselestis patria, § 3.

Le jugement de Sixte-Quint est plus explicite. « Il a laissé à la postérité, dit ce pape, des monuments de son esprit vraiment divin, où des questions très difficiles et enveloppées de beaucoup d’obscurité sont exposées avec une grande abondance d’arguments excellents, avec ordre et méthode, avec clarté et lucidité ; des monuments où la vérité de la foi catholique brille avec éclat, où les pernicieuses erreurs et les profanes hérésies sont terrassées, et les esprits des pieux fidèles sont merveilleusement enflammés et de l’amour de Dieu et du désir de la céleste patrie. En effet, ce qu’il y a de remarquable et de particulier en saint Bonaventure, c’est que non seulement il brillait par la subtilité de la discussion, la facilité dans l’enseignement, la sagacité dans les définitions, mais qu’il excellait à toucher les âmes avec une vertu toute divine. Dans ses écrits il joint à un immense savoir l’ardeur d’une piété non moins grande, et ainsi en instruisant son lecteur il l'émeut, il pénètre dans les replis les plus profonds de son âme, il transperce son cœur d’aiguillons séraphiques et le remplit d’une douceur merveilleuse de dévotion. » Bulle Triumphanlis Ilierusalem, § 3.

Après ces témoignages nous croyons superflu de rapporter les autres qui sont cités par Bonelli, Prodromus, Bassano, 1767, p. 83-111, et dans la nouvelle édi tion des œuvres de saint Bonaventure, t. x, p. 34-37. |"?WïLfl.iC2'£ii.E’s de sa doctrine. — 1° Le caractère fondamental de la doctrine bonaventurienne est qu’elle est traditionnelle. « Mon intention n’est pas, dit-il, de contredire les opinions nouvelles, mais de reproduire les plus communes et les plus autorisées. » Non enim intendo novets opiniones adversare, sed communes et approbatas retexere. In IV Sent., 1. II, pra’loc. Ni ce respect pour la tradition et l’opinion commune, qu’il exprime d’ailleurs en plusieurs passages, ni l’autorité spéciale qu’il reconnaît à Alexandre de Halès, n’empêchent saint Bonaventure de suivre généralement les thèses de saint Augustin. En effet, jusqu'à son époque l’autorité du docteur d’Hippone avait été considérée comme suprême tant pour les questions philosophiques que pour les questions théologiques.

Une nouvelle tendance cependant venait de se manifester. L’inlluence de la philosophie aristotélicienne se faisait sentir de plus en plus. Déjà Alexandre de Halès avait pris uneautreattitude que ses devanciers vis-à-vis des ouvrages du Stagirite, en invoquant assez fréquemment ses écrits, voir Alexandre de Halès, t. i, col. 779 ; mais tandis qu’Alexandre ne les invoque le plus souvent qu’en passant et pour confirmer des doctrines établies par ailleurs, tandis qu’il ne les applique pas aux questions théologiques, Albert le Grand et Thomas d’Aquin allaient plus loin. C’est surtout dans les écrits de saint Thomas qu’on voit l’application de la philosophie péripatéticienne. Les théories nouvelles ne manquaient pas de provoquer des discussions. Cf. De Wulf, Histoire de philosophie médiévale, Louvain, 1900, p. 301 sq. Parmi les adversaires on trouve JeanPeckham et plusieurs disciples de saint Bonaventure.

Quant à Bonaventure lui-même, appelé au généralat de son ordre en 1257, c’est-à-dire avant l'époque de ces controverses, il délendit toujours les thèses augusti niennes des raisons séminales, de la pluralité des formes substantielles et autres, sans qu’aucun témoignage nous autorise à croire qu’il ait été en opposition directe avec saint Thomas. Cependant il semble qu’il se montrait moins favorable à la nouvelle tendance. En effet, après avoir appelé Aristote excellenliorem inter philosophos, In IV Sent., 1. II, dist. I, p. i, a. 1, q. ii, il lui reproche plusieurs erreurs dans son dernier ouvrage, à savoir dans les Collationes in Hexæmeron, coll. vi, vu. Notons que saint Bonaventure ne donnait pas la préférence aux thèses augustiniennes, par l’unique motif qu’elles étaient accréditées dans les écoles. Il considérait Augustin comme le docteur le plus excellent. « Parmi les philosophes, dit-il, Platon a reçu le langage de la sagesse, Aristote celui de la science. Le premier considérait principalement les raisons supérieures, le second les inférieures. Mais le langage de la sagesse aussi bien que celui de la science, ont été donnés par l’Esprit-Saint à saint Augustin comme au principal commentateur de toute l’Ecriture. » S^rmo de Christo uno omnium magistro, Opéra omnia, t. v, p. 572. Bonaventure se sentait plus incliné vers la synthèse d’Augustin que vers l’analyse d’Aristote par le caractère propre de son esprit et une sorte de parenté intellectuelle avec le docteur d’Hippone. On reconnaît en effet, en saint Bonaventure, les principaux traits caractéristiques d’Augustin. « Il en a la prodigieuse facilité, les superbes envolées, la poésie débordante, la sublime et communicative éloquence. Comme lui, il aime à habiter les hautes cimes, comme lui il s’essaie à regarder le soleil divin en l’ace. » Évangéliste de Saint-Béat, Le séraphin de l'école, Paris, 1900, p. 39.

Quoique Bonaventure montrât le respect le plus grand pour l’autorité des théologiens antérieurs, surtout pour celle d’Alexandre de Halès, de Pierre Lombard et d’Augustin, il ne suivait servilement aucun d’eux. Il ne voulait pas porter préjudice à la vérité pour l’amour d’un homme. Ne amore hominis veritati fiât præjudicium. Opéra omnia, t. il, p. 1016. C’est pour cette raison qu’il réprouva d’abord huit thèses du Maître des Sentences, loc. cit., p. 2, 1016, et plus tard, le nombre des thèses rejetées s'éleva jusqu'à quinze. Cf. Denille, Chartular., Paris, 1889, t. i, p. 221, note. Aussi il avertit ses lecteurs de ne pas admettre comme certaine la tradition, si elle est douteuse, nam ita falsum dicit qui certum proponit ut dubium, sicut qui dubium asserit ut certum. In IV Sent., 1. II, dist. XXX, q. I, ad l um. Bonaventure, en réalité, savait juger par soimême. Il examine les autorités, il pèse les raisons d’un sentiment et il ne l’embrasse pas, s’il n’est appuyé sur un fondement solide. Aussi c’est l’humilité seule qui a pu l’autoriser à se dire un simple et chétif compilateur, fateor quod suni pauper et tenuis compilator. In IV Sent., 1. II, præloc, n. 2.

Le motif pour lequel il s 'attachait à l’opinion commune était d'éviter l’erreur avec plus de sûreté. Communi sententiæ pro viribus meis in omnibus prsecedentibus libris adhsesi, tanquam vise securiori, et sicut scio et possum, mihi et aliis consimilibus, parum intelligentibus, persuadeo adhserendum. In IV Sent., 1. III, à la fin, Opéra, t. iii, p. 8C6. Il cherchait à enseigner une doctrine solide, évitant toute question inutile ou curieuse. Aussi il ne se prononce pasdans les questions douteuses. « Dans les questions douteuses et difficiles, dit-il, où je ne pouvais pas découvrir quelle était la voie commune parce qu’il y avait désaccord entre les savants, j’en ai soutenu une comme plus probable sans pour cela réprouver l’autre. Dans les questions douteuses il suffit de savoir ce qu’ont pensé les maîtres et il n’y a aucune utilité à favoriser les disputes. » Loc. cit.

Aussi Bonaventure n’avait pas l’esprit de contradiction. Dans ses livres on ne trouve aucune trace d’arrogance ou de prétention. Il procède toujours avec calme, mo-