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BOHÈMES (LES FRÈRESÏ


publique ou privée, selon les péchés, et il travaille pour subsister. Aux débuts, Mathias l’ut à la t’ois évéque et juge ; mais après la condamnation des vieux frères, Mathias ne conserva que les fonctions propres à l'épiscopat et Procope lut juge ; ensuite, quand Mathias fut mort et que Procope se fut retiré, en 1500, on confia le pouvoir à quatre évêques, Thomas, Élie, Ambroise et Lukach ; le plus ancien eut le titre et la fonction de juge.

Au lendemain des luttes du xve siècle et à la veille d’entrer en contact avec la Réforme, les frères profitent de la trêve. Leur activité se manifeste surtout dans lus synodes et se traduit par une série d’ordonnances ou de décrets qui forment un code complet de discipline publique et privée. En particulier, la question des rapports entre riches et pauvres n’a plus l’acuité irritante de l'époque hussite ; les uns se montrent moins durs, les autres moins agressifs et, selon la remarque de Denis, les rancunes des uns et les convoitises des autres s’assoupissent. Néanmoins l’Unité est impuissante à former une Église ; c’est plutôt une communauté de religieux. Sa morale, visant trop à la perfection, exige un genre de vie à part, exceptionnel et en dehors ou au-dessus de la nature humaine ; elle sacrifie la joie tant recommandée par l’apôtre pour le service de Dieu et s’entoure d’une atmosphère de morne tristesse : morale d’ascètes, excessive, minutieuse, réglant tous les actes de la vie à chaque instant du jour, montrant la valeur de ceux qui pouvaient la pratiquer, mais condamnant ceux-ci à ne plus former qu’un clan étroit et fermé. D’autre part, il est vrai, le symbole n’est pas encore fixé dans une formule définitive ; mais son élasticité même compense la rigueur de la morale et assure le recrutement des frères. Le nombre des nouveaux venus s’accroît sans cesse, si bien que vers la fin du xve siècle les frères comptaient près de deux cents églises en Bohème et en Moravie. Borowy parle de quatre cents communautés. Le conseiller intime de Ladislas, le poète et orateur Bohuslas Lobkowitz, pouvait écrire au roi en 1497 : « Ce qui m’afflige le plus, c’est que cette erreur, qui n’osait se remuer sous le roi Georges et l’archevêque Bokytsana, tous deux suspects d’hérésie, s’enracine sous un roi catholique et s'étend tellement qu’il n’y aura guère de force humaine qui puisse l’extirper. » Dictionnaire encyclopédique de la théologie catholique, Paris, 1858, t. iii, p. 17(3. Rome s’inquiétait d’aussi rapides progrès ; Alexandre VI ordonna à l’inquisiteur Henri Institoris de se rendre en Bohême et en Moravie pour combattre les vandois. Ladislas dut prendre des mesures sévères et porta, en 1508, un décret qui visait les picards, mais qui atteignait en même temps les frères et était pour eux une menace constante. Ceuxci composèrent une apologie, l’adressèrent au roi et réussirent à se soustraire aux effets du décret. Que valait cette apologie, où ils attaquaient la transsubstantiation et même la présence réelle ? Érasme, à qui elle avait été adressée en 1511, se contenta de répondre qu’il n’y avait pas d’erreur choquante (sans doute pour ne pas déplaire aux frères), mais qu’il n'était ni prudent pour lui ni utile pour eux d’en rendre publiquement témoignage. La mort de Ladislas II et l’avènement de Louis assurèrent à l’Unité une nouvelle période de calme et de progrès. L’utraquisme ne comptait guère plus, et le catholicisme avait besoin de l’appui de la loi. C’eût été l’heure propice de réaliser l’idée hussite, en réconciliant tous les partis tchèques et en assurant le triomphe du pur Évangile dans l’unité nationale et religieuse. Les frères la laissèrent passer. Ils ont atteint leur apogée. L’avènement des Habsbourg avec l'élection de Ferdinand d’Autriche, le frère de Charles-Quint, et l’entrée en scène de Luther vont arrêter la marche ascendante de l’Unité et lui faire perdre un peu de son originalité et son indépendance.

111. Déclin, 1526-10*27. — D’une part, le nouveau roi déteste les frères parce qu’ils sont nés de l’anarchie,

qu’ils en vivent et que rien n’est pire pour la tranquillité d’un État que ce principe dissolvant, négation de toute autorité. Les Habsbourg se refuseront à relever complètement l’Unité de sa mise hors la loi, et, sauf quelques défaillances passagères, la réduiront à l’impuissance, en attendant qu’ils en débarrassent pour toujours la Bohème et la Moravie. D’autre part, le luthéranisme attire à lui, dans la Bohême et la Moravie, les habitants d’origine allemande et menace de contrebalancer la prépondérance tchèque. Il a pour lui la séduction du succès et exerce sur l’Unité une attraction si puissante qu’il est sur le point de l’absorber.

L’apparition de Luther est saluée parmi les frères comme la réalisation d’une prophétie de Jean Huss. Ils envoient une députation au moine saxon et cherchent à se rendre compte de l'état des mceui’s dans l'Église ressuscitée ; mais ils s’aperçoivent que la Béforme luthérienne n’est rien moins qu’une réforme morale et qu’elle rejette l’usage de rebaptiser, le célibat ecclésiastique et les sept sacrements. Déçus, ils se retirent et sont traités par Luther de gens rigides, au regard farouche, qui se martyrisent avec la loi et les œuvres, n’ont pas la conscience joyeuse et ne connaissent point la justice imputative. Du reste Lukach, devenu juge de la Fraternité, veillait. Il ne s'était pas contenté d’imprimer une forte direction à l’Unité, de l’organiser définitivement. A la tête de chaque communauté, il avait place 1 un prêtre qui devait se sustenter par le travail manuel et remettre au conseil étroit tous les héritages qu’il pouvait faire. Le célibat ne fut plus exigé d’une façon absolue, mais pratiquement il fut observé pendant longtemps. Un diacre et des acolytes aidaient le pasteur dans le gouvernement de la communauté, dans l’administration des sacrements, l’office divin, la prédication, la tenue des écoles ; un conseil devait veiller à la bonne conduite des membres et à l’exécution des mesures disciplinaires ; une délégation de veuves et de femmes non mariées veillait de son côté sur les sœurs de l’Unité. Lukach fit plus ; tant qu’il vécut il prit soin de conserver l’autonomie à l’Unité. Mais à sa mort, en 1528, Jean Horn, Jean Augusta, Michel Weise et Sionsky eurent la direction des frères ; Horn devint juge en 1532. Ceux-ci se montrèrent moins intransigeants dans leurs, rapports avec les réformés. Luther, changeant de ton et comprenant que, pour assurer le succès de son œuvre en Bohême, les frères pouvaient lui servir d’utiles auxiliaires, sinon de partisans résolus, cherche à les gagner. Il écrit en conséquence une préface à l’apologie qu’ils venaient de composer et la publie à Wittenberg, en 1533. Puis il jette les bases d’une entente. Sur le terrain des doctrines, les frères font des concessions qui leur coûtent peu : ils admettent que la foi seule justifie, que l’eucharistie renferme le corps de Jésus-Christ. Sur celui de la discipline, ils continuent à être moins accommodants ; ils s’obstinent à réclamer l’introduction de leur discipline parmi les luthériens ; mais ils cèdent peu à' peu sur les points en litige et finissent par frapper un pacte d’union avec Luther dans un banquet, en 1542 ; ils entrent ainsi dans la sphère d’inlluence du luthéranisme et se laissent inféoder dans le mouvement politico-religieux de la Réforme. Ce fut une faute capitale et dont les conséquences devaient être mortelles. Lorsque Ferdinand I er réclama leur concours contre la ligue de Smalkalde, ils refusèrent, pour n’avoir pas à combattre les protestants allemands. Ils en furent bientôt punis ; car Ferdinand profita de la victoire de Muhlberg, en 1547, pour sévir contre eux : il supprima tous les changements qu’ils avaient introduits dans le culte ; il ferma leurs oratoires ; il jeta en prison leur évêque Jean Augusta et son coadjuteur Jacques Bilik ; il les poursuivit partout. La plupart furent obligés de passer la frontière et se réfugièrent en Prusse et en Pologne.

Jean Augusta avait caressé le projet, dès 1540, de