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BERNARD (SAINT)

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saurait pécher gravement et périr éternellement, qu’il met toujours cette âme en garde contre elle-même et contre ses propres faiblesses. Au moment même où il la félicite de goûter déjà en partie ici-bas la béatitude céleste, il l’engage à « se glorifier en espérance, mais non en sécurité » , intérim qu’idem glorietur in spe, nondum tamen in securitate. Epist., cvii, n. 10, loc. cit. « Nous pouvons savoir, dit-il ailleurs, au moins en partie, dans quel état nous sommes ; mais savoir ce que nous serons dans l’éternité, cela nous est absolument impossible. C’est pourquoi que celui qui est debout prenne garde de tomber ; qu’il persévère et progresse dans cet état qui est un indice du salut et un gage (argwmentum) de prédestination. » En somme la seule garantie du salut, c’est la pratique de la vertu, c’est la persévérance. In Septuagesima, serm. i, n. 1-2, P. L., loc. cit., col. 163. Cf. ibid., note de Mabillon.

XI. MYSTICISME.

La perfection de la vertu consiste dans l’amour. « Aimez et faites ce que vous voudrez, » disait saint Augustin. L’abbé de Clairvaux n’a pas d’autre doctrine. Sa lettre aux chartreux, Epist., xi, P. L., t. clxxxii, col. 108, son traité De diligendo Deo, ibid., col. 974, enfin ses quatre-vingt-six sermons sur le Cantique des Cantiques, P. L., t. clxxxiii, col. 783, nous font connaître à cet égard sa pensée la plus intime et le résultat de son expérience.

L’amour de Dieu, comme toutes les sciences, a ses degrés ; on n’arrive pas à la perfection d’un seul coup. Avant d’être purement spirituel, l’amour mystique traverse une phase que Bernard appelle l’amour sensible et « charnel » . Le mot sonne mal à nos oreilles, mais l’auteur désignait simplement par là l’objet sensible du saint amour, la cbair ou, si l’on veut, l’humanité du Christ : Nota amorcm cordis quodaynmodo esse carnalem, cjuod magis erga carnem C/iristi. In Cantica, serm. XX, n. 6. L’homme est ainsi fait qu’il ne peut s’élever aux choses intelligibles que par le secours des choses sensibles. Il ne saurait se représenter Dieu, ni l’amour, si ce n’est revêtu d’une forme corporelle. De là l’anthropomorphisme, de là l’idolâtrie qui n’est que l’altération de l’anthropomorphisme. Dieu, qui connaissait ce besoin irrésistible de la nature humaine, y pourvut par l’incarnation ; le Verbe se fit chair, « à ceux qui goûtaient la chair, il offrit sa chair à aimer, afin de les amener peu à peu à goûter l’esprit, » obtulit carnem sapientibus carnem, per quam discerent sapere et spiritum. In Cantica, serm. VI, n. 3.

Bernard nous raconte qu’il a passé lui-même par cet apprentissage. Cf. In Cantica, serm. xx, n. 6. Mais lorsque son âme eut reçu « la grande et suave blessure de l’amour » , grande et suave vulnus amoris, In Cant., serm. xxxix, n. 8, rien ne l’empêcha plus de contracter avec le Christ une mystique union ; elle était nubile ; son affection la liait au Verbe ; par la conformité de sa volonté avec la sienne elle devenait son épouse. Talis conformitas marilat animant Verbo… Si perfecte diligit, nupsit. In Cantica, serm. lxxxiii, n. 3. Eo se nubilem quo similem cernens. Serm., lxxxv, n. 10, 12 ; cf. Serai., XXXI, n. 6. Nul n’a célébré plus hardiment et plus délicatement que l’abbé de Clairvaux dans son Lxxxme sermon sur le Cantique des Cantiqnes les douceurs de cet hymen mystérieux. C’est peut-être le plus bel hymne à l’amour que les échos d’un cloître aient entendu. Il faut le lire en entier. Entre l’âme et le Verbe tout devient commun, commeentre époux, la maison, la table, la chambre et le lit. Quibus omnia communia…, una domus, una mensa, unus thorus. In Cantica, serm. vu, n. 2. Bernard entend par là cette retraite mystérieuse où l’âme, recueillie et soustraite au tumulte des sens, tantôt s’abandonne à ses transports et tantôt se repose doucement sous le regard du Bien-Aimé.

Ici il nous fait pénétrer proprement dans la chambre de l’Époux. C’est un sanctuaire fermé à tous les regards ; c’est en quelque sorte le Saint des Saints, où l’épouse, comme autrefois le grand-prêtre, n’a accès qu’une fois l’an. Dans ce lieu tranquille tout repose, « la tranquillité de Dieu tranquillise tout, » tranquillus Deus tranquillat omnia. In Cantica, serm. xxiii, n. 16. Lui-même est assis dans son repos ; et, rien qu’à le regarder, l’âme s’endort paisiblement. Mais ce n’est là qu’un sommeil apparent ; l’âme vit et veille encore, vigil vitalisquesopor.In Cantica, serm. lii, n.3. Parfois, alors, elle est ravie à elle-même : c’est l’extase. Dans un éclair rapide, elle aperçoit la divinité ; mais c’est à peine si elle a pu saisir l’objet immatériel qui lui est apparu ; elle retombe aussitôt dans les images qui lui dérobent l’essence même de la beauté éternelle. Serm., LIT, n. 2, 3. Cum autem divinius aliquid raptim et veluli in velocitate corusci luminis interluxerit. Serm., xli, n. 3. Boy-miens in contemplatione Deum somniat… Tamen sic non tam spectati quant conjcctati, idque raptim et quasi sub quodam coruscamine scintillulee transeuntis, tenuiter vix attacli inardescit amore. Serm., xviii, n. 6. Cf. De gratia et libero arbitrio, c. v, n. 15, P. L., t. clxxxii, col. 1010.

Bernard a connu par expérience ces douceurs du mystique amour. Mais ce sont là, dit-il, des secrets qu’on ne révèle que par devoir. En dépit de sa discrétion, il a laissé échapper un mot qui peut nous donner une idée de l’extase telle qu’il la comprend et qu’il l’a expérimentée. C’est une sorte de mort aux choses de ce monde. Avec les images sensibles qui se sont évanouies, tout sentiment naturel a disparu. L’âme, alors, n’est plus sujette à la tentation et au péché. Tout est pur et spirituel dans sa vie, comme dans son amour. Vous n’avez plus à redouter pour elle la luxure et l’orgueil. « C’est en vain, dit-il avec l’auteur des Proverbes, qu’on jette un filet devant les pieds de ceux qui ont des ailes. » Sponsæ ecstasim voco mortem… Quid enim formidetur luxuria, ubi nec vita sentitur. In Cantica, serm. lii, n. 4.

Il semble qu’une telle doctrine soit bien voisine de celle de Fénelon et de M me Guyon. Mais un caractère important les distingue l’une de l’autre. Bernard ne croit pas à un état proprement dit de pur amour. Cf. Epist., xi, n. 8, P. L., t. clxxxii, col. 114. L’extase est à ses yeux chose passagère, raptim, I n Cant., serm. xli. n. 3 ; Serm., xviii, n. 6 ; De gratia et libero arbitrio, c. v, n. 15, col. 1010 ; et c’est uniquement pendant qu’elle dure qu’il accorde à l’âme l’immunité du péché. Dans sa pensée, l’extase est le moment précis où l’âme est ravie à elle-même par le consentement imperceptible qu’elle donne à l’attrait de là beauté du Verbe. Il est clair qu’à cette heure la tentation ne saurait avoir de prise sur elle.

Au reste, il faut bien remarquer qu’ici-bas, même dans l’extase, l’âme ne voit pas Dieu directement, et proprement ; elle ne l’aperçoit qu’en énigme et comme dans un miroir : Per spéculum et in aenigmate, non autem facie ad faciem, intérim inluetur. In Cantica, serm. xviii, n. 5. « Il n’y a pas un saint, pas un prophète, qui ait pu sur la terre le voir tel qu’il est. » Nunc quidem apparet quibus vult, sed sicuti vult, non sicuti est ; non sapiens, non sanctus, non propheta videre illum, sicuti est, potest aut potuil in corpore hoc mortali. In Cantica, serm. xxxi, n. 2 ; cf. Serm., xxxiii, n. 6 ; xxxiv, n. 1 ; De diversis, serm. ix, n. 1.

XII. ESCHATOLOGIE. —

Enfer, purgatoire, ciel.

Bernard eut maintes fois l’occasion d’exposer sa pensée sur les fins dernières de l’homme. A cet égard ses écrits reflètent la doctrine courante. Dans un de ses sermons, De diversis, serm. xlii, n. 5-7, P. L., t. clxxxiii, col. 663665, il décrit le purgatoire, l’enfer et le ciel. Comme tous les écrivains du moyen âge, il se plaît à entasser dans l’enfer toutes les horreurs. « C’est un lieu mortel, où sévit un leu ardent, un froid rigoureux, un ver qui ne meurt pas, une puanteur intolérable, des marteaux qui