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BERNARD (SAINT)

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propre raison en matière de foi, Bernard cherche dans l’Église et particulièrement auprès du souverain pontife la règle de ce qu’il doit croire. A ses yeux l’interprétation que l’Eglise donne des paroles de l’Écriture sainte est l’expression de la vérité, plus que ne l’est le texte même. In vigilia nalivilatis Domini, serin., iii, c. i. P. L., t. ci. xxxiii, col. 91. Et le pape, qui est le chef de l’Église, est l’organe de la vérité catholique. C’est de lui qu’il tant attendre la lumière dans les questions ohscures et débattues. Epist., clxxiv, c. îx, P. L., t. clxxxii, col. 33(5. Aussi hien il est infaillible. L’infaillibilité est une prérogative du siège apostolique. De erroribus Abœlanli, pra>f., P. L., t. clxxxii, col. 1053. Voir plus loin la doctrine de Bernard sur le pape.

IV. DIEU et la TRINITÉ.

Bernard a exposé en maints endroits de ses ouvrages, mais notamment dans le Ve livre De consideratione, P. L., t. clxxxii, col. 787-808, et dans son épître à Innocent II, De erroribus Abœlardi, ibid., col. 1055-1060, ses théories sur Dieu, et la Trinité.

Dieu. —

Pouvons-nous connaître Dieu ici-bas ? Connaître son essence, non ; mais nous pouvons connaître son existence. La vue de la créature mène au créateur. « Toute cette variété des tonnes, tout ce nombre d’espèces que nous apercevons dans les choses créées, qu’est-ce autre chose que certains rayons de la divinité qui montrent que celui par qui elles sont existe réellement, sans nous définir pourtant ce qu’il est. Ainsi vous voyez quelque chose de lui, sans le voir lui-même, et vous savez de la sorte d’une façon indubitable qu’il existe. » In Cantica, serin, xxxi, n. 3, P. L., t. clxxxiii, col. 941.

Mais qu’est-ce que Dieu ? Pour répondre à cette question Bernard semble s’inspirer de saint Anselme. « Qu’est-ce que Dieu ? Celui qui est tel qu’on ne peut rien imaginer de meilleur. » Quid est Deusf Quu nil melius cogitari potest. De consideratione, 1. V, c. vii, n. 15, col. 797. Dans cette délinition il visait Gilbert de la Porrée qui posait une distinction un peu subtile entre Dieu et la divinité. Si la divinité n’était pas Dieu lui-même, elle serait ce par quoi Dieu est, et par conséquent quelque chose de meilleur que Dieu. « Mais cette divinité par laquelle Dieu est, n’est autre que Dieu. Il n’y a en Dieu que Dieu. Quoi ! direz-vous, vous niez que Dieu ait la divinité ? Non, mais ce qu’il a, il l’est. Vous niez qu’il soit Dieu par la divinité ? Non, mais cette divinité n’est autre que lui-même. » Bernard ne sort pas de là. Dieu est l’être simple, absolu, dont l’essence et les attributs se conlondent dans une unité incomparable. « Il est à lui-même sa forme, il est à lui-même son essence… Il est un d’une façon unique, il est un par excellence. Est viius, et quomodo aliud nihil. Si dici possit, unissimus est. En comparaison de son unité, tout ce qui est un n’est plus un. » Ibid., n. 16-17, col. 798. Il en prend Boèce à témoin.

Trinité. —

Et cependant Dieu est trinité. « Mais quoi ? Allons-nous détruire ce que nous avons dit de l’unité, en introduisant la trinité ? Non pas. Nous établissons, au contraire, l’unité. » Et Bernard pose le dogme tel que l’Eglise l’a défini : unité de nature, trinité de personnes. Ibid., n. 17, col. 798.

Mais est-il permis d’essayer de îaire comprendre ce » mystère ? Ce fut la tentative d’Abélard. L’abbé de Clairvaux la condamne a priori. « On nous demande, dit-il, comment ce que nous disons être le dogme catholique peut être. Qu’il suffise de savoir que cela est ainsi. Cela n’est pas perceptible à la raison, et cependant cela n’est pas ambigu comme une opinion (qu’on est libre d’admettre), mais sur à la foi. C’est un grand mystère ; il faut le vénérer, et non le scruter. Comment la pluralité est-elle dans l’unité et dans une telle unité ? et comment l’unité est-elle dans la pluralité ? Le scruter est témérité ; le croire est piété ; le connaître c’est la vie et la vie éternelle. » De consideratione, c. viii, n. 18, col. 799.

Bernard condamne ainsi toute spéculation sur la Trinité. C’est être un peu sévère. La foi et la piété n’interdisent pas un examen respectueux du mystère, quitte à reconnaître que la raison humaine ne saurait se rendre compte de la trinité des personnes en Dieu que par analogie. C’est ce qu’entreprendra de montrer saint Thomas d’Aquin, après saint Augustin et tant d’autres docteurs catholiques. Mais l’abbé de Clairvaux avait été dégoûté de ces sortes de spéculations par les tentatives malheureuses de ses contemporains, et notamment par celle d’Abélard.

Celui-ci avait cru donner l’intelligence du mystère de la Trinité en substituant certains attributs divins aux propriétés qui constituent les personnes et en attribuant aux comparaisons du genre et de l’espèce, de l’airain et du sceau, la valeur d’une véritable démonstration. Il disait, par exemple : « Le Père est la puissance ; le Fils, la sagesse ; le Saint-Esprit, l’amour ; le Père est donc une pleine puissance ; le Fils qui est sagesse est une certaine puissance ; le Saint-Esprit n’est pas une puissance, parce que l’amour n’est pas à proprement parler une puissance. » Bernard se récrie : « Le Père, dit-il, est tout ce que sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; le Fils est tout ce que sont le Père et lui-même et le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit est tout ce que sont et lui-même et le Père et le Fils. Et ce tout est un tout qui n’est ni plus grand dans les trois personnes ni moindre en chacune d’elles. » Il rejette donc comme « exécrables » , toutes les comparaisons par lesquelles Abélard prétendait donner l’intelligence du mystère. De erroribus Abselardi, c. ii, col. 1058. Une telle prétention est une atteinte portée à la raison elle-même ; « car qu’y a-t-il de plus contraire à la raison que d’essayer de surpasser la raison par la raison ? » Ibid., c. I, col. 1055.

Bref, pour l’abbé de Clairvaux le dogme de la Trinité se pose et s’expose, mais ne se discute pas et n’est pas susceptible d’une démonstration rationnelle. Vouloir l’expliquer par des comparaisons est une entreprise chimérique et coupable.

V. CHRISTOLOGIE ET RÉDEMPTION. —

Christologie.

Lorsque Bernard étudie le mystère du Fils de Dieu fait homme, sa grande préoccupation est d’éviter le piège où est tombé Nestorius en ne reconnaissant pas au Christ l’unité de personne en même tempsque la dualité des natures. Et il a frappé Abélard pour ne s’être pas exprimé avec assez d’exactitude sur ce point. Capitid. hxres, n. 5, P. L., t. clxxxii, col. 1051. Cf. De consideratione, 1. V, c. ix, x, ibid., col. 800-8U1.

La grave question de la science humaine du Christ, qui avait trouvé les Pères indécis et en désaccord, tut abordée par Bernard dans l’un de ses premiers ouvrages. Homil., ii, de laudibus Mariée Virginis. Y a-t-il eu progrès réel dans la science du Christ, ou seulement progrès apparent"/ Bernard se range à la seconde opinion. Commentant le texte de saint Luc, il, 52, il écrit : « Ce qui est dit ici de la sagesse et de la grâce, doit s’entendre non selon la réalité, mais selon l’apparence, non secundam quod erat, sed secundum quod appareliat intelligendum est. Car rien de nouveau ne s’ajoutait à lui qu’il n’eût déjà ; mais il paraissait croître quand il le voulait. Ton progrès, à toi, ô homme, ne se fait ni quand tu veux, ni comme tu veux. Mais en Jésus tout se faisait suivant sa volonté ; il paraissait sage quand il voulait et à qui il voulait, plus sage à qui il voulait et quand il voulait. » P. L., t. clxxxiii, col. 66. Sur cette question, cf. Revue du clergé français, 15 juillet 1903, p. 338 sq., un article, sans nom d’auteur, intitulé : La science humaine de Jésus.

La christologie de Bernard n’offre guère d’autre particularité remarquable.

Rédemption. —

Mais sa doctrine de la rédemption