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BENOIT XII

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Ps. rxxxrin, n. 22, il commente ces paroles du roi David : Si descendero in infernum, ades. L’assertion s’entend du temps où le ciel était encore terme aux âmes, suivant la juste remarque du cardinal Bellarmin, De beatitudine, 1. I, c. v. Quand saint Ambroise dit de l’âme séparée du corps : Adhuc tamen fuluri judicii ambiguo suspenditur, DeCain et Abel, . II, c. ii, n. 9, il ne songe pas à attribuer à l’âme l’ignorance de sa propre destinée jusqu’au jugement dernier, interprétation contredite par la doctrine générale de ce Père dans ce mê : ne livre, par exemple c. ix, n. 31 ; c. x, n. 36, P.L., t. xiv, col. 336, 358. Il s’agit donc, soit de l’incertitude où se trouvent les âmes au sortir du corps, mais avant le jugement particulier, comme le pense Muratori, op. cit., p. 117, soit de l’incertitude où elles restent par rapport à l’époque du jugement général, comme le suppose l’éditeur de saint Ambroise, dans une note du livre De bono mortis, P. L., t. xiv, col. 501.

D’autres fois, l’intelligence du texte demande qu’on se mette au vrai point de vue de l’auteur. Quand saint Jean Chrysostome dit, dans sa xxix c homélie sur la I re épître aux Corinthiens, que sans la chair, l’âme ne recevra pas les biens célestes, pas plus qu’elle ne sera punie, il ne prétend nullement poser une assertion de fait, comme si les âmes justes qui meurent maintenant n’avaient rien à attendre avant la résurrection des corps ; la proposition, hypothétique, tend à faire comprendre, sous une forme oratoire, cette pensée de l’Apôtre : Si in liac vila tant uni in Christo speranles sunius, miserabiliores sunius omnibus hominibus. L’argumentation revient à ceci : Si les corps ne ressuscitent pas, les aines n’ont rien à attendre là-haut, le fondement sur lequel repose l’espérance des biens célestes croulant du même coup ; car les promesses faites ne regardent pas moins le corps que l’âme, ut accipiat unusquisque quæ per corpus gessit. II Cor., v, 10. Si donc le corps ne reçoit pas sa part en ressuscitant, l’âme n’a plus de titre à la sienne ; bornons nos espérances à cette vie terrestre. Ce raisonnement mène à cette unique conclusion : l’âme et le corps doivent se retrouver dans la récompense ; compagnons dans la peine et le mérite, ils doivent l’être dans la gloire. Cf. Homil., x, in epist. 11 ad Cor., n. 3, P. G., t. lxi, col. 470. Telle est l’idée qui revient dans les écrits de Théodoret, Hæret. fabul. conipendium, 1. V, c. xx, et de saint Jean Damascène, De fide orthodoxa, 1. IV, c. xxvii. La simultanéité de rétribution qu’ils attribuent à l’âme et au corps, à’|j.cpco « ij.a, ne doit pas se prendre dans un sens absolu, comme s’il devait y avoir coexistence de tout point, mais dans un sens relatif et moral : ensemble ils ont mérité, ensemble ils seront récompensés ; quoi qu’il en soit du temps où commencera pour chacun d’eux la jouissance des biens promis.

A la considération précédente se rattache une distinction de grande importance. Autre est la béatitude considérée dans son élément principal ou la vision intuitive, autre est cette même béatitude considérée dans tout ce qui peut concourir à son épanouissement total et à sa perfection définitive ; ou, pour employer les termes classiques, autre est la béatitude essentielle, autre la béatitude consommée. Cette dernière comprenant pour l’homme la glorification non seulement de l’âme, mais du corps, il est manifeste qu’elle ne peut pas exister avant la résurrection et le jugement dernier, puisque alors seulement l’homme sera récompensé dans toute sa personne et publiquement couronné. Par conséquent, on ne peut pas invoquer, comme autant d’arguments décisifs contre la doctrine de la vision béatilique immédiate, les textes où les Pères se ((intentent de dire que l<s saints attendent ou n’ont pas encore reçu la récompense qui leur est due (S. Ambroise, S. Jean Chrysostome, Théodore !), que Itieu n’a pas encore fait la rétribution des bonnes et des mauvaises actions, ou

qu’il ne l’a pas faite pleinement et parfaitement (les deux Cyrille), que la béatitude parfaite n’est pas donnée aux âmes aussitôt après la mort (Cassiodore), et que leurs joies sont encore différées (S. Bédé). Il faudrait montrer que, dans la pensée de ces Pères, il s’agit non pas seulement de la béatitude consommée, mais de la béatitude essentielle elle-même ; ce qui exclurait toute jouissance de la vision intuitive avant le jugement dernier. L’opposition n’est qu’apparente chez saint Hilaire et saint Augustin, quand ils semblent remettre à ce grand jour l’entrée des hommes dans le royaume de Dieu ou la vie éternelle. Saint Hilaire distingue le royaume de Dieu, où les hommes n’entreront qu’après la résurrection, du royaume du Christ ou repos éternel, dont les âmes bienheureuses sont déjà en possession. Voir la préface générale de ses œuvres, VI, P. L., t. IX, col. 95 sq. Saint Augustin a suivi sur ce point le docteur gaulois ; pour lui, le royaume de Dieu n’existera vraiment pour les hommes qu’au moment où, glorifiés dans toute leur nature, ils seront devenus semblables aux anges et, comme eux, posséderont sans restriction la vie éternelle. Scrm., xviii, c. iv, n. 4 : Rcgnum cœlorum, regnum sempiternum, societatem cum angelis, œternam vitam, ubi nullus oritur, neque moritur, hoc percipite, P. L., t. xxxvill, col. 130 ; Tract., LXVIII, in Joa., n. 2 : Hoc regnum Dei, regnumque cœlorum adhuc sedifîcatur, adhuc fabricatur, adhuc paratur, adhuc congregatur. P. L., t. xxxv, col. 1815. Mais rien de tout cela n’exclut pour les âmes bienheureuses la jouissance préalable de Dieu. Le grand docteur africain semble, il est vrai, aller plus loin dans la première série des textes que Jean XXII invoquait, ceux où la vision intuitive est mise constamment en rapport avec la sentence finale : Venite, benedicti. Une seconde distinction préparera la solution de cette difficulté.

Autre chose est de dire que les âmes saintes jouissent au ciel de la vision intuitive, autre chose est d’affirmer que cette vision est dès maintenant parfaite en son genre ou dans ses effets béatifiques et que, par suite, elle ne recevra pas d’accroissement substantiel après la résurrection et le jugement final. Ce second point soulève un problème que Benoit XII, à dessein, s’est abstenu de trancher. Mais il faut en tenir compte quand il s’agit de saint Augustin ; car ce docteur inclinait à penser que les âmes des bienheureux n’auront la vision intuitive dans toute sa plénitude qu’après la résurrection. A la différence des purs esprits que rien n’empêche de se porter vers Dieu, les âmes séparées seraient comme appesanties et retardées dans leur élan par l’attrait naturel qui les reporte vers leurs corps et leur fait désirer le jour de la résurrection. Les textes ont été cités, et la question discutée à l’article Augustin, t. I, col. 2417. Cf. Bellarmin, op. cit., c. v, § Nota secundo. C’est dans cette doctrine et dans la signification restreinte donnée par l’évêque d’IIippone aux termes regnum Dei, vita œterna, qu’il faut chercher la véritable interprétation de cette série de textes où il rattache la vision intuitive à la résurrection des corps où à la sentence du jugement dernier. Dans ces passages, une antithèse est habituellement posée, non pas entre l’état d’un seul et même homme avant ou après la résurrection, mais entre les deux groupes qui se partageront l’humanité entière au jour du grand jugement. Tous verront alors Jésus-Christ, mais ils ne le verront pas de la même manière. Il y aura une vision commune à tous, et une vision exclusivement réservée aux élus. La première sera celle du Christ homme, mais apparaissant dans toute sa majesté de roi et déjuge ; la seconde sera celle du Christ Dieu : Tune plane vulebitur Ma forma Dei, quæ non potv.it videri abiniguis, i/uorum visioni forma servi c.rhibciidæral. Tract., XIX, in Joa., n. 18, P. L., t. xxxv, col. 1555. De là ces paroles de VEnarratio in l’s. xi.vi, n. 5, citées par