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BAIUS


chés, parce que le Saint-Esprit et sa grâce habitant dans les justes et y dominant habituellement, la concupiscence ne règne point en eux et ne leur est plus imputable. C’est à peu près dans le même sens que, d’après Baius, le péché originel, identifié avec la concupiscence habituelle, reste dans les baptisés en ce qu’il a de physique, manet actu, mais n’entraîne plus pour eux de culpabilité, transit reatu. De peccato originis, c. ix,

XV, XVI, XVII.

Après ces diverses conséquences de principes déjà posés, vient un traité important, divisé en trois livres : De charitate, justifia et justijicatione. Le premier livre est comme une introduction aux deux autres, la connaissance de la charité étant nécessaire pour comprendre la justification ; car la justice n’est autre chose que la charité, ou du moins, il y a entre les deux une liaison si étroite que l’une est inséparable de l’autre. Par charité, Baius entend, non le Saint-Esprit, mais l’acte même de la volonté aimant Dieu et le prochain : ipse aninii motus, quo Deum diligimus et proximum, qui accidens est et qualitas. L’acte suppose-t-il en nous un principe distinct, appelé communément charité habituelle ? Question secondaire, dont Baius se désintéresse, c. i-ii, sur laquelle il laisse même planer un certain doute. C. vu. Tout acte de charité a nécessairement pour principe le Saint-Esprit ; il faut absolument rejeter la distinction philosophique d’un double amour de Dieu, dont l’un aurait pour objet Dieu béatificateur et serait l'œuvre du Saint-Esprit, tandis que l’autre aurait pour objet Dieu créateur et serait le fruit du libre arbitre. Bien plus, l'étude attentive de saint Augustin mène à cette conclusion : « Tout amour de la créature raisonnable est ou cette cupidité vicieuse par laquelle on aime le monde et que saint Jean réprouve, ou cette louable charité par laquelle on aime Dieu et qui nous vient uniquement de lui et par la médiation de Jésus-Christ. » C. iii-vi. Principe essentiel dans la doctrine de Baius ; par là s’explique pourquoi, en dehors de la charité, ce théologien ne reconnaît ni véritable obéissance à la loi, ni bonnes œuvres, ni moralité quelconque. Mais la charité a des degrés ; elle a ses commencements, qui sont les premiers désirs du bien, elle a ses progrès et sa perfection. EUe peut, dans les catéchumènes et les pénitents, précéder la rémission des péchés. C. vii-ix.

La justice parfaite se trouve dans l’accomplissement intégral de la loi ou de la charité ; Jésus-Christ seul l’a possédée ici-bas dans toute sa plénitude. Pour nous, la justice a deux parties : la rémission des péchés, qui s’obtient par les sacrements, et la nouveauté de vie, qui consiste dans la pratique des vertus ou l’obéissance intérieure et extérieure à la loi. De justifia, c. I-IH, Cette dernière seule est proprement la justice ; cependant, comme la rémission des péchés produit en partie le même effet devant Dieu, la sainte Écriture la comprend aussi sous le nom de cette vertu. Aussi, bien que les catéchumènes et les pénitents puissent surpasser beaucoup d’enfants adoptifs par la justice des œuvres, on ne peut pas les dire justes, tant qu’ils n’ont pas reçu la rémission des péchés dans les sacrements de baptême ou de pénitence. C. iv-vn. Baius réfute longuement l’erreur des protestants, qui font consister la justice dans la seule rémission des péchés. C. x.

La justification n’est pas autre chose qu’un continuel progrès dans la pratique des vertus et la rémission des péchés. De justificatione, c. I. Dieu pourrait opérer l'œuvre de la conversion en un instant, mais il ne le tait ordinairement que pas à pas et par degrés. Il commence par frapper le cœur de la crainte de ses jugements et inspire ainsi au pécheur l’esprit de crainte servile, qui l’empêche de s’opposer aux vues providentielles avec autant de hardiesse qu’auparavant. Cet esprit de crainte est un don du Saint-Esprit ; il ne fait cependant pas partie de la justice, et sans la charité il conduit au désespoir

et à la damnation. La foi, jointe à un commencement de charité, est le vrai principe de la justice. C. n-iv.

A ces vues sur la charité, la justice et la justification se rattachent diverses applications de détail, relatives au mérite des bonnes œuvres et à l’effet des sacrements ou des indulgences ; nous les retrouverons parmi les propositions condamnées par Pie V. Ce qui précède suffit pour laire connaître, dans son ensemble, la doctrine de Baius. S’il n’a été rien dit de la prédestination, c’est que 1 le point n’a pas été traité par ce théologien ; plus tard i nous le verrons prendre parti dans la controverse entre | Lessius et l’université de Louvain.

Genèse de la doctrine deBaius.

Quelle fut, pour

notre théologien, l’idée-mère ? Suivant les uns, par exemple, Tournely et Kilber, ce serait le principe, énoncé dans le livre De charitate, que tout amour de la créature raisonnable se partage entre la cupidité vicieuse et la charité méritoire. Que le principe soit capital dans la doctrine baianiste, c’est un fait ; mais il n’en est pas le tondement premier. Une question antérieure se pose : d’où vient que pour Baius il n’y a de vraie moralité que dans la charité méritoire, et méritoire de la vie éternelle ? D’autres, plus récents, ont vu à la base du système un faux dualisme et un faux mysticisme : le théologien de Louvain aurait mis d’un côté le corps et l'âme, mais l'âme principe de vie purement végétative et animale, sans volonté ni moralité ; de l’autre, l’Esprit-Saint, vie de l'àme elle-même et principe de l’activité morale et religieuse de l’homme. Celui-ci, pour être complet, devait donc posséder l’Esprit et les dons de la justice primitive ; ils appartenaient à son être, étaient de son essence, étaient une partie intégrante de sa nature. Kuhn, au mot Baij (Michel de), dans le Dictionnaire encyclopédique de la théologie catliolicjuc, par Wetzer et Welte, trad. Goschler, Paris, 1858, t. ii, p. 425 ; F. X. Linsenmann, Michacl Baius und die Grundlegung des Jansenismus, in-8°, Tubingue, 1867, p. 97 sq. Mais cette interprétation dépasse incontestablement la pensée de Baius ; il n’a pas considéré les dons primitifs comme appartenant à l'être même de l’homme, mais seulement comme des perfections exigées pour son état normal ; le mot integritas naturæ a, dans ses écrits, un tout autre sens que celui de parties intégrantes de la nature. De plus, il n’a pas réduit l’inlluence de l'àme sur le corps à la communication d’une vie purement végétative et animale ; car dans l’homme destitué du Saint-Esprit et de la justice originelle, il reconnaît une volonté raisonnable et même une réelle liberté dans l’ordre physique.

Il y a pourtant du vrai dans ce prétendu dualisme : pour Baius, ni la liberté morale à l'égard du bien, ni la moralité n’ont leur source dans la nature' ; l’une et l’autre viennent du Saint-Esprit, principe de la charité. Mais ce n’est là qu’une conséquence d’une idée plus générale et foncière ; le vrai point de départ du théologien lovaniste se trouve dans sa conception optimiste de l'état normal de la créature raisonnable ; conception optimiste qui a pour pendant naturel, on l’a vii, sa conception pessimiste de l'état de nature tombée. En réalité, l’homme a été appelé dès le début à la « vie éternelle » , à l’union parfaite avec Dieu et à la moralité d’ordre spécial qui seule est proportionnée à cette fin sublime ; Baius a vu là une destination non pas seulement de fait, niais de droit ; à ses yeux, l’homme, comme créature raisonnable, avait une dignité native telle qu’il pouvait par le fait même prétendre à tout ce qui rentrait dans sa vocation effective. De là son obstination à n’admettre que la notion historique et théologique de la nature humaine, et à nier le caractère surnaturel des dons primitifs ; de là, dans son système, l’aptitude exclusive de la charité théologale à nous procurer la vie morale ou l’union avec Dieu. Si maintenant nous faisons abstraction de ce qui peut