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BELLARMIN

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déposer le roi ou restreindre son autorité. Il distingue enlin entre ses propres affirmations et les citations qu’il a empruntées à des auteurs universellement respectés. Ce qu’il soutient proprement, c’est que tous les titres invoqués sont de droit humain et n’empêchent aucunement que, du moins à l’origine, le pouvoir civil ne se soit trouvé dans la multitude et n’ait passé, de son consentement, à des sujets déterminés ; ce qui ne peut se dire de la monarchie ecclésiastique.

Ainsi comprise, la théorie de Bellarmin ou plutôt la théorie commune des scolastiques sur l’origine du pouvoir civil, est une opinion discutable et discutée, dont l’examen ne rentre pas dans le cadre de cette étude. Deux remarques seulement seront utiles : les objections laites contre le caractère trop particulier et trop exclusif de cette explication supposent, en général, une interprétation incomplète et par là même inexacte de la pensée du cardinal ; surtout, il serait aussi déraisonnable qu’injuste de confondre son opinion avec la théorie révolutionnaire de J.-J. Rousseau et autres apôtres du pacte social et de la souveraineté absolue de la multitude. Voir les auteurs cités dans la bibliographie.

Grâce et prédestination.

Dans le dernier volume des Controverses, Bellarmin ne réfute pas seulement les erreurs des protestants sur ces graves matières ;

il y traite aussi des problèmes discutés entre théologiens catholiques. De singulières affirmations se répètent à ce propos. « Dans les questions relatives à la grâce, en un temps où le molinisme florissait déjà, lit-on dans la Grande encyclopédie, il s’abstint des doctrines qui prévalaient dans son ordre, et il resta un thomiste intransigeant, à tel point que les jansénistes ont cru parfois pouvoir invoquer son autorité et le citer comme augustinien. » Cf. Gery, c’est-à-dire Quesnel, dans un passage de son Apologie historique des Censures de Loitvain et de Bouay, que reproduit le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, Pai’is, 1820, t. iii, p. 273 sq. De leur côté, Dôllinger et Reusch se sont fait l'écho d’une accusation, utilisée déjà par le cardinal Passionei, Voto, p. 42 sq. : par complaisance pour ses supérieurs et par esprit de corps, le cardinal jésuite aurait transigé avec ses propres convictions, soit en laissant faire ou en faisant lui-même des modifications dans son enseignement primitif, soit en défendant dans la Concorde de Molina des propositions qu’il regardait personnellement comme fausses et erronées.

Pour démêler les confusions étonnantes ou les suppositions gratuites que contiennent ces attaques, il suffit de rappeler quels furent, dans l’accord du libre arbitre et de la grâce, les points considérés comme fondamentaux par les théologiens jésuites et soutenus en leur nom dans les congrégations De auxiliis. Schneemann, op. cit., p. 216, 256. Tous rejetaient les prédéterminations physiques et la grâce dite efficace par elle-même et de sa nature ; tous, pour expliquer l’efficacité de la grâce, faisaient appel à la science moyenne, guidant Dieu dans le choix des grâces et l’exécution de ses desseins. Or, sur ces deux points, Bellarmin eut dès le début de sa carrière théologique et conserva jusqu'à la fin de sa vie une conviction arrêtée. Dans ses leçons de Louvain, il enseigne que la grâce efficace n’est pas une détermination invincible de la volonté, mais un appel fait par Dieu dans des circonstances où il sait qu’il sera écouté, vocationem qua Deus ita vocat sicut novit hominem secuturum. Même doctrine dans l'écrit qu’il composa en faveur de Lessius, son ancien élève, dans le jugement motivé qu’il porta sur la censure de Louvain en 1587, et dans les Controverses, qu’il s’agisse de l'édition d’Ingolstadt qu’on prétend modifiée par Grégoire de Valentia, ou de l'édition de Venise, ab ipso auctore aucla et recognila. Aussi fut-il facile, plus tard,

aux jésuites de Rome de dresser une sorte de concordance entre la doctrine de Molina et celle de Bellarmin relativement à la science de Dieu et à la grâce efficace. Liévin de Meyer, op. cit., 1. II, c. xix, xx, 1. 1, p. 145 sq. Pour l'époque du grand débat, il suffit d’invoquer l’opuscule De novis controversiis, dont l’auteur se déclare pleinement d’accord avec Molina en ce qui concerne le rejet des prédéterminations physiques et la science des futurs contingents ; puis toute la conduite du cardinal et son vote définitif dans la congrégation De auxiliis. Dans la Recognitio de 1607, il n’est pas moins explicite. De gratia et libero arbitrio, 1. I, c. xii ; 1. IV, c. xi, xiv. On connaît enfin la protestation solennelle que le serviteur de Dieu fit sur son lit de mort.

Mais il y avait dans le livre de la Concorde des assertions de détail sur des questions difficiles, où les théologiens jésuites n'étaient pas tous de l’avis de Molina, Bellarmin en particulier. Lui-même, dans l’appendice de son autobiographie, dit à propos de cet ouvrage : « Avant qu’aucune dispute se fût élevée, N. avertit le Père Général qu’il y avait dans Molina des propositions malsonnantes, et il lui en remit la liste par écrit. Le Père Général les envoya en Espagne ; aussi, dans une nouvelle édition, le P. Molina s’efforça d’adoucir ces propositions, et déclara qu’il les énonçait par manière, non d’affirmation, mais de discussion. » De quelle nature étaient les assertions incriminées ? L’opuscule inédit De novis controversiis permet de le déterminer, et de faire en même temps le partage entre les opinions de Molina que Bellarmin n’admettait pas, mais qu’il déclarait libres, et les assertions qu’il trouvait maie sortantes. Dans la première catégorie se rangent les vues exposées dans le livre de la Concorde sur la nature du concours divin, la prédestination et les prédéfinitions. Molina conçoit le concours comme une coopération de Dieu et du libre arbitre à un même effet, les deux étant causes partielles, chacun dans son ordre ; Bellarmin pense qu’il est plus exact de le concevoir comme une motion du libre arbitre, suivant l’explication qu’il en donne dans son traité De gratia et libero arbitrio, 1. IV, c. xvi. Dans le problème de la prédestination, le docteur espagnol nous montre l'élection divine se portant, sous la lumière de la science de simple intelligence et de la science moyenne, sur tel ordre de choses pris dans son ensemble et tombant simultanément sur la gloire et la série de grâces qu’elle suppose ; Bellarmin suppose d’abord le choix des élus à la gloire, puis la préparation des grâces efficaces comme moyen ordonné à la fin déjà voulue, mais il confesse que, du moment où Molina maintient la gratuité de l’effet total de la prédestination, la divergence de vues est plus apparente que sérieuse : non est magna controversia, sires ipsa inspiciatur, tametsi videtur maxima, si sola verba considerentur. De même pour le problème connexe des prédéfinitions : l’auteur de la Concorde ne pense pas que tous les effets des causes secondes aient été voulus par Dieu directement et pour eux-mêmes, per se intentas ; Bellarmin préfère l’autre opinion, mais en voyant là, comme dans les deux cas précédents, un point libre.

Par contre, il fait des réserves formelles sur les propositions suivantes, sans approuver toutefois les censures, excessives à son avis, que les adversaires de Molina en avaient données.

Fieri potest ut eisdem auxiliis Dei datis duobus hominibus qui tentabantur eadem tentatione, unus ex sola libertate sua résistât, alter non résistât.

Potest fieri, ut aliquis cura pluribus et majoribus auxiliis damnetur, et alter cum paucioribus et minoribus salvetur, quia ilie pro innata libertate

Il peut se faire que, les mêmes secours divins étant donnés, de deux hommes soumis à la même tentation, l’un résiste en vertu de sa seule liberté, et l’autre ne résiste pas.

Il peut se faire qu’un homme se damne avec des secours plus nombreux et plus grands, et qu’un autre se sauve avec des secours moindres et moins