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BAIUS


les théologiens catholiques, les novateurs ne cessaient d’alléguer l’Ecriture et les Pères îles premiers siècles ; n’était-il pas à propos de les suivre sur ce terrain, de prendre les mêmes armes et de former les autres à s’en servir ? Ce but apologétique explique également pourquoi les sujets traités parliaius correspondent aux principaux points de la doctrine luthérienne et calviniste. Les circonstances eurent aussi leur influence dans cette orientation. Les grandes erreurs des protestants et la doctrine opposée du concile de Trente avaient amené les théologiens orthodoxes à envisager de plus près les graves problèmes de la grâce et du libre arbitre, mais les solutions de détail ne s’accordaient pas toujours. On trouve une preuve remarquable de ces préoccupations et de ces divergences dans l’échange de lettres qui eut lieu, en 1550 et 1551, entre le dominicain Pierre de Soto, célèbre professeur de théologie à l’université de Dilingen, et le chancelier de Louvain, Ruard Tapper ; lettres imprimées, sous forme d’appendice, à la fin de l’ouvrage d’Antonin Reginald, De mente sancti concilii Iridentini circa gratiam ef/ieacem, in-fol., Anvers, 1706. Au jugement de Soto, quelques controversistes de l’époque, comme Pighius, Eck, Catharin et même Dominique Soto, avaient trop accordé au libre arbitre, s’écartant sur ce point ou sur celui de la prédestination et de la distribution des grâces, de ce que le théologien de Dilingen regardait comme la vraie doctrine de l’Écriture et de saint Augustin. Cette controverse eut-elle une influence décisive sur la direction que prirent les idées de Baius ? Rien ne le prouve, mais elle était certainement de nature à le continuer dans la persuasion où il était déjà, que plusieurs des apologistes de la foi catholique étaient allés trop loin en s’opposant aux hérétiques et que, dans les matières de la grâce et de l’anthropologie chrétienne, ils n’avaient pas toujours évité l’écueil du pélagianisme ou du semipélagianisme. Sur la question de méthode, se greffa donc une divergence doctrinale ; ou peut-être serait-il plus vrai de dire que, dès le déficit, la divergence doctrinale se dissimula sous la question de méthode. En fait, sous prétexte de dégager l’enseignement des anciens Pères d’éléments hétérogènes que, sous l’influence de la philosophie aristotélicienne, les docteurs du moyen âge et leurs continuateurs y aura’ent mêlé, Baius et Hessels jetèrent par-dessus bord non seulement la méthode, mais la doctrine même des théologiens scolastiques sur des points de grande importance.

Les nouvelles idées firent des progrès assez rapides pour qu’à son retour de Trente, vers le milieu de 1552, Tapper n’ait pu maîtriser son émotion et se soit écrié : « Quel est donc le diable qui a introduit ces sentiments dans notre école ? » Il ne voulut pas recourir aux moyens d’autorité que lui fournissait sa charge d’inquisiteur général de la foi dans le Rrabant, mais il s’éleva avec force dans les disputes publiques contre les opinions de Baius et de Hessels, comme on le voit par une lettre écrite plus tard par un témoin oculaire, Jacques Tzantel. Quand il vit que la douceur et la condescendance ne remédiaient pas au mal, le chancelier jugea qu’il fallait agir plus fermement. Il s’adressa donc, en 155X, au docteur Vigile Zugzhem, président du conseil privé, et à Granvelle, premier ministre de la duchesse de Parme que Philippe II venait d’établir gouvernante des Pays-Bas ; il demanda qu’on admonestât sérieusement les deux novateurs et qu’on leur défendit de s’écarter à l’avenirdes sentiers battus ; Granvelle se rendit à ce juste désir, et la paix régna quelque temps. Mais après la mort de Tapper, survenue le 3 mars de l’année suivante, les contestations recommencèrent ; déjà elles ne se bornaient pas à l’université, mais s’étendaient à tous les endroits où les élèves de Baius et de Hessels s’étaient répandus, en particulier aux cloîtres des cordeliers. Pour remédier au mal, les gardiens des maisons d’Ath et de Nivelle, Pierre du Cbesne et Cilles de la Ches naye, songèrent à opposer aux docteurs de Louvain 1 autorité de la faculté de théologie de Paris. Ils lui déférèrent dix-huit propositions, la plupart relatives au libre arbitre et à la grâce. Comme l’ensemble de la doctrine reviendra dans les écrits de Baius, qu’il suffise de signaler à titre d’exemple deux de ces propositions, la 2e et la 4e : « La liberté et la nécessité conviennent au même sujet sous le même rapport, et la seule violence répugne à la liberté naturelle… — Le libre arbitre de lui-même ne peut que pécher, et toute action du libre arbitre laissé à lui-même est un péché mortel ou véniel. » La Sorbonne rendit son jugement le 27 juin 1560 ; elle censura quatorze des propositions comme hérétiques en tout ou en partie, trois comme fausses et la dernière comme opposée à l’Écriture sainte. Voir, sur l’authenticité de cet acte, de Champs, De hæresi janseniana, Paris, 1728, 1. II, c. iv, t. i, p. 30 sq. ; sur la concordance entre les propositions censurées par la Sorbonne et les propositions censurées plus tard par Pie V, le cardinal de Aguirre, S. Ansehni tlœologia, Rome, 1690, disp. CXVI, sect. iii, t. iii, p. 298 sq.

Cette censure s’étant répandue dans les Pays-Bas, Baius hésita d’abord sur le parti à prendre ; enfin il composa une série de courtes observations sur les articles incriminés et les qualifications des docteurs sorbonistes. En somme, il n’abandonne franchement qu’une seule proposition, il en explique cinq ou six et défend les autres contre les censeurs. Il adressa cette réponse à l’un de ses admirateurs, le P. Sablon, ex-provincial des cordeliers dans les provinces de Flandre ; il lui demandait d’en faire part à ceux sur lesquels ils pouvaient compter, ou, s’il la jugeaitinutile, de la supprimer. L’écrit fut communiqué aux partisans de Baius et releva leur courage. Pour justifier à leur tour la doctrine censurée en montrant qu’elle était moins celle de leur maître que celle des Pères de l’Église, ils résolurent de faire imprimer en France les ouvrages de saint Prosper, sans doute avec des notes explicatives, mais surtout avec une préface remplie d’invectives contre leurs adversaires. Le cardinal de Granvelle réussit à empêcher l’impression grâce à l’intervention de son frère, ambassadeur du roi d’Espagne à Paris. En même temps, il s’occupait de Baius et de Hessels, contre lesquels on lui avait présenté un mémoire ; Baius lit une apologie qui ne nous est pas parvenue, mais dont il parle dans sa lettre au cardinal Simonetta. Fort embarrassé alors par les troubles de Flandre, craignant en outre un conflit entre l’université de Louvain et celle de Paris, le ministre de Philippe II prit le parti de solliciter du pape Pie IV un bref qui lui donnât « tout pouvoir d’agir comme il conviendrait » . Puis, après s’être concilié l’amitié des intéressés, Baius et Hessels, en leur offrant une place dans son conseil avec une bonne pension payée sur ses propres revenus, il les fit venir à Bruxelles et leur communiqua le bref où Sa Sainteté lui enjoignait d’imposer silence aux deux parties avec défense, sous peine d’excommunication, pour Baius et Hessels, de faire usage de propositions et de façons de parler non usitées dans les écoles, et pour les adversaires, de dire quoi que ce soit au désavantage des deux docteurs. Le consentement de ceux-ci obtenu, le cardinal s’adressa ensuite au généra] des cordeliers qui se trouvait de passage dans les Pays-Bas ; ordre fut donné à tous les religieux d’observer un silence général et absolu sur toutes les questions controversées. Le roi d’Espagne, mis au courant de tout ce qui s’était passé par une lettre du 18 octobre 1561, répondit à son ministre le 17 novembre, en approuvant sa conduite, et en lui recommandant expressément de veiller à ce que la discussion ne se ranimât point.

Vers la même époque, le cardinal Commendon passa par les Pays-l ! as pour traiter avec la princesse Marguerite et son ministre de la nouvelle reprise du concile de Trente. L’université de Louvaiu choisit, pour la repré-