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BÉATITUDE


2. La béatitude étant déterminée comme bien perfectif ultime de la nature humaine, le saint docteur recherche si cette notion convient à quelqu’un des biens concrets que l’homme se propose. Il exclut successivement, en suivant et complétant Boéce, loc. cit., q. il, a. 1, les honneurs (a. 2), la gloire (a. 3), le pouvoir (a. 4), les biens du corps en général (a. 5), la volupté (a. 6), les biens qui perfectionnent intrinsèquement l’iiomme (science, vertu). Avec saint Augustin, il recherche la cause de ce phénomène humain d’inassouvissement dans les biens créés et la trouve dans l’amplitude universelle de l’appétit humain, lequel est commandé parla vue de l’universel, qui est le propre de sa connaissance. Aucun bien créé ne se présentant sub specie univcrsalitalis, il ne peut réaliser la fin ultime qu’exige l’appétit humain pour servir de point d’appui dernier à son activité volontaire. Il suit de là que l’être concret, adéquat aux exigences de l’appétit humain, ne peut être que l’Etre universel réalisé, c’est-à-dire Dieu, l’univers n’étant lui-même qu’une collection d’êtres et de biens particuliers, ordonnée à ce Tout suprême (a. 8).

3. La question iiie s’ouvre par la dUYérenciation de la béatitude objective dont il a été question jusqu’ici et de la béatitude subjective déjà insinuée (q. il, a. 7). La béatitude subjective est l’acte humain fini, par lequel l’homme entre en possession de sa béatitude objective ou de Dieu (a. 1). Est-ce d’abord un acte ? ne serait-ce pas plutôt une prise de possession de l’être de l’homme par Dieu, un illapsus divinus, une divinisation de l’essence humaine ? La définition même de la béatitude objective, perfection ultime de l’homme, ne permet pas de l’admettre. Car, c’est dans son opération, acte second vis-à-vis de l’acte premier qu’est l’essence, que l’homme atteint la perfection ultime subjective. Et c’est à l’opération humaine, par conséquent, que devra correspondre la perfection ultime objective. C’est donc bien comme objet d’opération que le bien parfait de l’homme devra se communiquer à lui (a. 2). Mais, quelle peut être cette opération béatifiante ? Ce ne peut être un acte de la partie sensitive de l’homme, car celle-ci ne saurait atteindre Dieu, l’être spirituel (a. 3). Ce ne peut être, en premier du moins, un acte de volonté, d’omour, car la volonté’suit l’appréhension de l’intelligence, et donc, lorsqu’elle intervient, l’objet qu’elle goûte a déjà été saisi, d’une appréhension vraiment humaine, propre à l’homme, par l’intelligence (a. 4). A son tour, l’intellect pratique dont la fin estde régler les actions humaines, elles-mêmes réglées par les fins, n’est pas destinée à appréhender en elles-mêmes et pour elles-mêmes les fins supérieures : c’est donc l’allàire de l’intellect spéculatif (a. 5). Mais ni la connaissance abstractive des sciences spéculatives qui dépend de l’expérience des choses sensibles (a. 6), ni même la connaissance intuitive des substances séparées, des anges, qui ne sont pas l’être absolu, seul adéquat au bien universel, ne peuvent rendre l’homme parfaitement heureux (a. 7). Il suit de cet inventaire que Dieu seul peut être l’objet cherché, dont la connaissance rend l’homme parfaitement heureux. L’est-il, en effet ? Saint Thomas (a. 8) répond par l’affirmative en se fondant sur le texte de saintJean : Videbimws ewn sicuti est. I Joa., m, 2. Pour appuyer cet argument d’autorité, le seul décisif en la matière, il fait valoir dans le corps de l’article les ressources de l’intelligence humaine en fait de vision intuitive de l’essence divine. Elles résultent de ces deux considérations : a) L’homme n’a pas la béatitude parfaite tant qu’il lui reste quelque chose à désirer et chercher ; b) d’autre part l’intelligence humaine a pour terme la connaissance des essences, y compris des essences des causes qu’il sait exister. D’où il suit que, si, l’intelligence humaine en possession de l’existence de Dieu démontrée par ses effets, ne connaît pas l’essence de Dieu en elle-même, le désir naturel de la voir lui reste, et elle n’a pas la béatitude parfaite. Sur la nature

et les limites de ce désir, sur la force probante de la preuve qui en est tirée, voir Appétit, t. i, col. 1697.

4. Les actes complémentaires de l’acte béatificatevr.

— Si l’essence de l’acte béatiticateur consiste dans un acte intellectuel, cet acte ne va pas sans certains éléments secondaires plus ou moins exigés par l’intégrité de sa perfection. Le premier de ces éléments est la délectation (q. IV, a. 1). Elle est l’accompagnement et la conséquence immédiate de l’appréhension de l’objet divin. Elle ne lui est cependant pas comparable sous le rapport de la bonté (a. 2), n’étant que le complément de l’acte béatificateur, et nullement cet acte même. La possession (compreltensio), en tant qu’elle désigne l’appréhension d’une chose que l’on a habituellement présente (a. 3, ad 2um), est aussi un élément intégrant de la béatitude parfaite. La rectitude de la volonté, qui la prépare et la mérite, reste nécessairement conjointe à la béatitude une fois consommée (a. 4). Le corps lui-même ne peut que ressentir les effets de l’acte béatificateur, pour autant qu’il est uni à l’âme dans la vie future, comme l’enseigne la foi ; il ne lui est cependant pas indispensable, l’intellect ayant une opération propre indépendante du corps, laquelle précisément s’exerce dans la vision de Dieu. Il reste que, pour la béatitude imparfaite de ce monde, le corps est requis, non pour la parfaite (a. 5, 6). Il en est de même de la société de nos amis. Par ces distinctions, entre ce qui est essentiel à la béatitude parfaite et ce qui s’ensuit, entre les béatitudes parfaite et imparfaite, saint Thomas concilie la doctrine d’Aristote touchant la nécessité des biens extérieurs, des plaisirs, de la vertu pour la béatitude, et la doctrine chrétienne de la suffisance absolue de la seule possession de Dieu. Cette distinction tient autrement compte de la réalité que les négations opposées à Aristote par les stoïciens (voir plus haut col. 501) ou les prétentions chimériques à la vie intellectuelle pure et à la pure intuition du bien en cette vie des néoplatoniciens.

5. Les conditions d’adaptation de l’homme à sa béatitude. — De potentia, via, mediis. Salmanticenses. La première consiste à avoir la capacité radicale d’acquérir le bien parfait. L’homme possède cette puissance radicale, puisque son intelligence et sa volonté ont une tendance au bien universel qui est le bien parfait. Sur le caractère et les limites de cette puissance, voir Appétit, t. i. col. 1698. D’ailleurs, a posteriori, le fait de la vision divine, dogme de foi, prouve bien que cette capacité existe (q. v, a. 1). — La seconde est la disposition du sujet : L’objet de la béatitude étant identique pour tous, les dispositions particulières de chacun concourent pour leur part à créer des inégalités de degré dans la réception du bien divin, et, par suite, dans la participation à, la béatitude (a. 2). — La troisième c’est la rupture des liens du corps : Dans cette vie la béatitude ne peut être parfaite, car la vision de Dieu n’y est pas possible : d’ailleurs les maux inhérents à l’existence terrestre et le défaut de stabilité des biens accessibles ici-bas, la mort surtout, rendent impossible la quiétude requise pour la béatitude (a. 3). Par contre, une t’ois obtenue, la béatitude parfaite ne doit plus pouvoir être perdue. Car, sans la conscience de sa perpétuité, il n’y a pas de bonheur parfait (voir plus haut col. 506) ; et d’ailleurs comment le bienheureux se détacherait-il de la vision de l’essence divine qui a épuisé sa capacité de vouloir, étant le bien universel aux prises avec la capacité de ce même bien ? Comment expliquer que Dieu veuille imposer ce châtiment à une olonté qui ne l’a pas mérité, puisqu’elle ne peut plus pécher ? Quelle créature enfin aurait barre sur une nature élevée au-dessus de toutes créatures ? Par là est réfutée l’opinion d’Origène touchant les alternances de vie bienheureuse et de vie d’épreuve qui interviendraient après la mort (a. 4). La béatitude imparfaite, au contraire, est soumise à ces alternances, et c’est à elle que s’applique le mot du