Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/257

Cette page n’a pas encore été corrigée
505
506
BÉATITUDE


le monde et toutes les créatures, Ibid., c. xxxi, col. 32. Sont choses qui jouissent ou utilisent, quse fruuntur et utuntur, les hommes et les anges. Aux hommes, considérés dans leurs relations mutuelles, s’appliquent les deux catégories. Si enini propter se, fruimur eo, si propter aliud, utimur eo. Ibid., c. XXII, xxxiii, col. 26, 32. Les vertus au contraire sont des moyens d’arriver à la béatitude, et non pas des choses désirables en soi, comme le veulent les stoïciens. De civ. Dei, 1. XIX, c. i, n. 2, P. L., t. xii, col. 622 ; De Trin., 1. XIII, c. vii, P. L., t. xlii, col. 1020. Ainsi la théologie, l’angélologie, la physique, l’anthropologie, la morale augustinienne reçoivent leur détermination suprême et leur principe de systématisation de l’idée de bonheur, conçue comme ne formant qu’un avec celle de jouissance, frui.

Nous étudierons dans saint Augustin : 1. le fondement de ce point de départ ; 2. la notion de la béatitude ; 3. les conditions de la béatitude comme état ; 4. l’objet précis dans lequel elle consiste ; 5. l’acte béatificateur ; 6. le faux bonheur ; 7. le moyen d’arriver à la béatitude ; 8. le bonheur terrestre ; 9. la béatitude parfaite.

1. fondement de l’eiidémonisme augustinien. — C’est dans la nature de l’homme que saint Augustin trouve la preuve du bien fondé de la béatitude comme point de vue de toute la spéculation humaine. Car tous les hommes désirent la béatitude, Confess., 1. X, c. xx, P. L., t. xxxii, col. 792 ; Enarr. in Ps. xxxii, n. 15, P. L., t. xxxvi, col. 293 ; De civ. Dei, 1. X, c. i, n. 1, P. L., t. xli, col. 277 ; la recherchent, De Trin., 1. IV, c. i ; 1. XIII, c. in-v, xx, P. L., t. xlii, col. 887, 1018, 1031 ; Enarr. in Ps. cxviii, serm. i, n. 1, P. L., t. xxxvii, col. 1502 ; la veulent, y compris les pécheurs, Op. imperf. cont. Jul., 1. VI, n. 11, P. L., t. xliv, col. 1521 ; Epist., cxxx, c. iv, P. L., t. xxxiii, col. 497. Ils sont criminels en la voulant d’une mauvaise manière. C’est la seule chose que les sceptiques de l’Académie ont avouée. Op. imp. cont. Julian., 1. IV, n. 26, P. L., t. xliv, col. 1566. Et les philosophes ne semblent pas avoir d’autre motif de philosopher. De civ. Dei, 1. VIII, c. III, P. L., t. xli, col. 226.

Saint Augustin ne remonte pas au delà du fait brut. Il ne débute pas comme saint Thomas d’Aquin en faisant dépendre le désir de la béatitude de l’idée de cause finale et par là d’une ontologie. Son point de départ est purement psychologique (ordre du cœur, de Pascal). C’est l’homme en pleine action, en face de la condition de cette action « avouée de tous les philosophes » , la béatitude. D’où, chose curieuse, le point de départ de la spéculation analytique d’Augustin se retrouve comme terme et conclusion du traité synthétique de saint Thomas dans l’article clôturai : Vtrum omnis honw appelât bealitudincm. Sum. theol., Ia-IIæ, q. v, a. 8.

2. Notion de la béatitude.

Puisque la béatitude est une exigence de l’homme en tant qu’agent, c’est par rapport à l’action de l’homme qu’elle veut être déterminée. Or l’homme agit, en tant qu’homme, par sa volonté libre. Saint Augustin se demande donc si la béatitude doit être déterminée en regard des volontés libres individuelles ou de la volonté libre dans ce qu’elle a de spécifique, prise comme nature.

Ce ne peut être en regard des volontés individuelles, à cause de leur variabilité indéfinie. De Trin., 1. XIII, c. iv-vn, P. L., t. xlii, col. 1018-1021. Cf. Serm., cccvi, c. iii, n. 16, P. L., t. xxxviii, col. 1401. La béatitude n’est pas dans la force de caractère, inanimo, comme le veulent les stoïciens, ni dans la volupté, comme le prétendent les épicuriens, Epist., cxviii, c. ni, P. L., t. xxxiii, col. 439, encore moins dans les douleurs et les tourments. E)>ist., CLX, c. i, n. 2, 3, ibid., col. 667. Cf. De Trm., 1. XIII, P. L., t. XLII, col. 1021. En somme, on ni’doit pas dire heureux celui qui agit à sa guise. Ibid., t. xxxiii, col. 497 ; t. xlii. col. 1019.

C’est doue en regard de la volonté-nature. On veut

être heureux comme on veut vivre et avoir bonne santé, désirs de nature s’il en est. Serm., ccevi, c. IV, P. L., t. xxxviii, col. 1401. La notion de béatitude est imprimée dans nos esprits, in mentibus. Ibid., col. 1256. Son objet c’est la totalité du bien de l’homme, et donc, c’est le souverain bien, De Ub. arbitr., 1. II, c. IX sq., P. L., t. xxxii, col. 1251-1260 ; car le souverain bien est le bien auquel se réfèrent tous les autres. Epist., cxviii, c. iii, n. 13, P. L., t. xxxiii, col. 438. La vie bienheureuse consiste donc dans ce qui doit être aimé pour soi, propter se. De doct. christ., 1. 1, c. xxii, n. 20, P. L., t. xxxiv, col. 26. Et la béatitude n’est autre chose que la jouissance du vrai et souverain bien. De civ. Dei, 1. VIII, c. viii, P. L., t. xli, col. 233. On est heureux lorsque l’on jouit de ce pour quoi l’on veut tout le reste, car ce bien supérieur ne saurait être qu’aimable en soi. Epist., cxviii, c. iii, P. L., t. xxxiii, col. 438 ; De civ. Dei, 1. XIX, c. i, n. 2, P. L., t. xli, col. 621. D’un mot, la béatitude est l’inhérence au souverain bien. De Trin., 1. VIII, c. iii, n. 5, P. L., t. xlii, col. 950.

3. Conditions de l’état de béatitude.

a) Avoir tout ce que l’on veut et ne rien vouloir de mauvais, De Trin., 1. XIII, c. v, P. L., t. xlii, col. 1020 ; aimer ce qui doit être aimé, Enarr. in Ps. XXVI, en. n a, n. 7, P. L., t. xxxvi, col. 202, à savoir la vertu. De civ. Dei, 1. XIX, c. iii, P. L., t. xli, col. 626. En résumé, inde bealus unde bonus. Epist., cxxx, c. ii, n. 3, P. L., t. xxxiii, col. 495. — b) Pour être heureux il faut avoir la connaissance de son bonheur. Queest. i.xxxiii, q. xxxv, P. L., t. XL, col. 24. — c) La jouissance du souverain bien (boni incommutabilis). De civ. Dei, 1. XI, c. XII, xiii, P. L., t. xli, col. 328. — d) La sécurité dans la possession. Ibid, La béatitude comporte l’éternité. De civ. Dei, 1. XIV, c. xxv, P. L., t. xli, col. 433 ; Quæst. lxxxiii, q. xxxv, P. L., t. XL, col. 26 ; Serm., cccvi, c. VIII, P. L., t. xxxviii, col. 1401 ; De civ. Dei, 1. XI, c. xi, P. L., t. xli, col. 327 ; 1. XII, c. xx, col. 370. Elle exclut toute crainte de la perdre. De bcata vita, n. ii, P.L., I. xxxii, col. 965 ; Decorrept. et gratia, c. x, P. L., t. xliv, col. 932, 933. Cette idée de la nécessité d’une possession assurée pour la béatitude représente une contribution personnelle de saint Augustin à l’histoire dogmatique. Il la retourne sous toutes ses formes. Citons encore : sans la possession assurée de la béatitude, pas d’amour de Dieu, De civ. Dei, 1. Xli, c. xx, P. L., t. xli, col. 370 ; seule, l’immortalité peut remplir la mesure de la béatitude partaite. Cont. advers. legis et proph., 1. I, c. vi, P. L., t. xlii, col. 607.

4. La chose objective dans laquelle consiste la béatitude. — C’est Dieu lui-même : Ut quid vultis beati esse de infimis : sola Veritas facit beatos ex qua vera sunt omnia. Enarr. in Ps. iv, n. 3, P. L., t. xxxvi, col. 791 ; Confess., 1. XIII, c. viii, P. L., t. xxxii, col. 848 ; De beala vita, n. 12, ibid., col. 965 ; Epist., cxxx, c. xiii, xiv, n. 21, 27, P. L., t. xxxiii, col. 503-505 ; Contra Adimant. , c. xvill, n. 2, P. L., t. xi.n, col. 163 ; De natura boni, c. vii, ibid., col. 554. C’est en Dieu seul que se trouve la béatitude des hommes et des anges, et c’est l’opinion de Plotin. De civ. Dei, 1. IX, c. xv ; 1. X, c. ini ; 1. XII, c. i, P. L., t. xli, col. 269, 277-280, 349.

5. L’acte béatificateur.

Deux choses font l’homme heureux : la connaissa-nce et l’action. De agone cliristia >io, c.wu, P. L., t. xl, col. 299. L’acte béatificateur est d’abord un acte de connaissance. Beatis&imi quitus hoc est Deum habere quod nosse. Epist., clxxxvii, c. VI, n. 21, P. L., t. xxxiii, col. 840. C’est aussi un acte d’appréhension de Dieu par l’amour : secutio Dei beaiitatis appelilus ; consecutio autem ipsa beatitas. Denior. / cl. cath., 1. I, c. viii sq., P. L., t. XXXH, col. 1315, 1319. C’est un acte de jouissance de Dieu, Retract., 1. 1, c. i, n. 4, P. l.., l. xxxii, col. 587, gaudere de Deo. Confess., I. X, c. xxii, ibid., col. 793. Les deux actes ne s’excluent pas, mais se fondent : la béatitude est la joie que cause la vérité.