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BEATITUDE


bonheur. L’Ancien Testament se préoccupe surtout de déterminer les biens qui rendent heureux. Ce sont d’abord les biens temporels : un bon roi, Eccl., x, 17, une bonne épouse, Eccli., xxvi, 1, etc. ; plus souvent, surtout dans les Psaumes, la protection de Jéhovah, les récompenses ou bénédictions de Dieu ; ou encore les œuvres vertueuses, par exemple, Ps. I, surtout les œuvres ou actes difficiles et méritoires, fréquemment la confiance en Dieu. Lesétre, Le livre des Psaumes, Paris, 1883, préface, p. lxxv. Peut-on trouver dans l’Ancien Testament, au sens littéral, l’idée de la béatitude de l’autre vie ? Le problème est posé, spécialement aux livres de Job, de l’Ecclésiaste et de la Sagesse. Le premier de ces livres donne bien l’idée de repos dans le schéol, xvii, 16, mais l’on ne voit point que ce repos ait les caractères de la béatitude. Cf. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. iv, p. 576584. L’Ecclésiaste parle surtout du bonheur de la vie terrestre et de la vertu, en les considérant comme des bénédictions divines. Vigouroux, Manuel biblique, 11e édit., Paris, 1901, t. H, p. 529-531 ; A. Motais, L’Ecclésiaste, Paris, 1883, p. 104-118 ; card. Meignan, Salomon, Paris, 1890, p. 273-274. La Sagesse est plus affirmative : Jusli autem in perpetuum rivent, et apud Dominum est merces eoruni, etc., v, 16. Lesétre, Le livre de la Sagesse, Paris, 1884, p. 21-22 ; card. Meignan, Les derniers prophètes d’Israël, Paris, 1894, p. 464-470, 497-502. D’une manière générale, on peut dire que l’idée de la béatitude après la mort, considérée comme possession de Dieu, le souverain bien, sans être absente de l’Ancien Testament, sans surtout y être niée, n’a pas atteint le développement d’une doctrine complète, ce qui est bien conforme au caractère de préparation de l’Ancien Testament : Umbram enim habens lex futurorum bonorum. Heb., x, 1.

Nouveau Testament.

Le Nouveau Testament, au

contraire, se présente d’emblée dès les premiers mots du sermon sur la moutagne comme une solution du problème eudémoniste, au double point de vue du bonheur terrestre et futur : le premier consistant dans les œuvres de vertu, beati pauperes, le second attribué comme récompense à la vertu : quoniam ipsorum est regnum cselorum. Matth., v, 3 sq. Le royaume des cieux ou de Dieu comporte en effet, dans les synoptiques, l’acception de vie future, quoi qu’il en soit de ses autres acceptions. Dans saint Jean, la vie future est davantage caractérisée au point de vue des actes qui la constituent. I Joa., iii, 2. L’eschatologie des synoptiques, de saint Jean, de saint Paul et de saint Pierre, concourt à la formation de l’idée chrétienne de la béatitude éternelle, consistant dans la connaissance directe, faciale, et l’amour de Dieu. Saint Paul y ajoute des notions précises sur la résurrection des corps. I Cor., xv ; I Thess., iv, 12 ; v, 11. Une exposition plus détaillée est du domaine des exégètes.

Nous ferons seulement une remarque sur le caractère finaliste de la doctrine eudémoniste de l'Évangile. Le bonheur de la vertu n’est pas tant représenté comme ayant une valeur en soi, encore que ce point de vue ne soit pas écarté (par exemple : Estote ergo vos perfecti sicut etpater rester cselestis perfeclus est, Matth., v, 48), que comme un moyen d’arriver à la béatitude finale et parfaite dans la vie du ciel. Le christianisme ne développe pas, comme le stoïcisme, l’idée de la valeur en soi des vertus et du bonheur qui en résulte, ce qui exciterait à les pratiquer par un sentiment de dignité humaine et d’orgueil rationnel ; il tient que la vertu est avant tout un don, une grâce, et, moyennant notre coopération, un moyen de réaliser notre fin dernière, notre béatitude future, et par elle la glorification de Dieu. Ce caractère finaliste est en harmonie avec les théories de Platon et d’Aristote, et saint Thomas n’aura pas de peine à les synthétiser dans le prologue méta physique qui forme la première question de son traité.

Schwane, Hist. des dogmes, trad. franc., Paris, 1886, Doctrine de l’Ecriture sainte sur les fins dernières de l’homme, t. I, p. 384 sq. ; L. Atzberger, Christliche Eschatologie in den Stadien ihrer Offenbarung in Alten tend Neuen Testament, Fribourg-cn-Brisgau, 1890.

IV. Doctrine des saints Pères.

1° Les Pères en général. — Chez la plupart des Pères, la question de la béatitude est mêlée à des thèses eschatologiques, parfois millénaristes ou gnostiques.

Pour l’eschatologie dans ses rapports avec la béatitude, consulter Schwane, Hist. des dogmes, trad. franc., sur les Pères apostoliques, t. r, p. 401-412 ; saint Justin et Athénagore, p. 428 sq. ; saint Irénée, p. 451 sq. ; Tertullien (spécialement pour la résurrection des corps), p. 473 sq. ; sur l’erreur d’Origène touchant la non-perpétuité de la vie bienheureuse, p. 5Il sq. ; L. Atzberger, Geschichte der christliclien Eschatologie innerhalb der vornicànischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896 : pour les Pères apostoliques, p. 77, 83 ; pour les premiers apologistes, p. 131 ; pour saint Irénée, p. 238 ; pour saint Hippolyte, p. 275 ; pour Tertullien, p. 300 ; pour Clément d’Alexandrie, p. 352 ; pour Origène, p. 418 ; pour Méthode, p. 476, Minutius Félix, p. 531, saint Cyprien, p. 552 ; pour Lactance, p. 597 ; pour les actes des martyrs, la liturgie, les images antérieurement au concile de Nicée, p. 168, 613, 617, 620. Sur l’erreur de Grégoire de Nysse, Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. ir, p. 122. Cf. Klee, Manuel de l’hist. des dogmes chrétiens, trad. franc., Liège, 1850, t. ii, p. 323 sq.

L’enseignement homilétique des Pères théologiens contient surtout des paraphrases de l’enseignement scripturaire, où les idées systématiques n’interviennent qu’accidentellement.

Il y aurait cependant d’intéressantes monographies à faire touchant l’eudémonisme de Pères tels que saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Grégoire le Grand. On trouvera, en attendant, les premiers renseignements dans les tables de la patrologie spéciales à chaque Père ou générales pour la P. L., aux mots : Beatus, Félicitas ; dans les tables de Petau et surtout de Thomassin, Paris, 1872, aux mots : Beatitudo, Félicitas. On peut consulter aussi les nombreux renvois aux Pères, adaptés aux questions spéciales des traités De beatitudine des scolastiques, spécialement Salmanticenses, 1878, t. v.

Nous ne nous arrêterons qu’aux Pères qui ont formulé une doctrine systématique de la béatitude et ont servi d’intermédiaire entre l'Écriture et les anciens philosophes d’une part, et les théologiens qui ont définitivement arrêté la doctrine dans l'état où elle subsiste aujourd’hui d’autre part. Au premier rang nous rencontrons saint Augustin, puis le pseudo-Denys l’Aréopagite. Nous leur adjoindrons Roèce et Pierre Lombard.

Saint Augustin.

La recherche du bonheur parfait ou béatitude est caractéristique de la doctrine de

saint Augustin. Ce point de vue spécial s’est imposé à lui du fait de sa genèse spirituelle : il ne l’a pas choisi. Jailli de son âme comme un instinct, le désir du bonheur plénier s’est développé en lui à la lecture de Y Hortensius, jusqu'à l’envahir. De là vient la division, fondamentale dans son système, des réalités de l’univers en choses dont on jouit et en choses qu’on utilise, en choses qui jouissent et en choses qui utilisent, laquelle a sans doute ses racines dans la révélation et dans les doctrines des anciens philosophes, mais prend chez lui une importance systématique extraordinaire. On peut dire que, dans la doctrine essentiellement psychologique et morale d’Augustin, elle joue un rôle analogue à la distinction de la puissance et de l’acte, ou de la division de l'être en catégories des doctrines ontologiques. De doct. christ., 1. 1, c. m sq., P. L., t. xxxiv, col. 20. — Les choses dont on jouit nous rendent heureux ; celles qu’on utilise nous aident à parvenir aux premières. Sont objets de jouissance le Père, le Fils et l’Ksprit-Saint, la Trinité tout entière qui est un seul Dieu. Ibid., c. v, col. 21. Sont instruments de jouissance,