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BAYLE


son langage et de ses idées. Dès son apparition, l’ouvrage lit scandale. Les commissaires du consistoire de l'Église wallonne, chargés de l’examiner, lui reprochent « des réflexions sales, des expressions et des questions peu honnêtes et quantités d’expressions obscènes » . On lui reproche encore ses sympathies pour les doctrines manichéennes (art. Manichéens, Marcionites, Pauliciens), des tendances sceptiques (art. Pyrrhon), les éloges outrés qu’il donne aux athées et aux épicuriens (art. Epicure), les difficultés qu’il oppose au dogme de la providence, qu’il exagère jusqu'à les faire passer pour insolubles. Bayle se détendit en prétendant qu’on lui imputait la responsabilité de doctrines et d’objections qu’il exposait sans les accepter et promit de corriger ce qu’on lui prouverait digne de correction. Quelques modifications furent en effet introduites dans la seconde édition, mais pour la forme seulement. Entre temps, la discussion continuait sur la question du manichéisme. En 1699, un protestant de Genève, Jean Le Clerc, sous le pseudonyme tle Théodore Parrhase, publiait les Parrhasiana ou Pensées diverses sur les matières de critique, d’histoire, de morale et de politique, 2 in-12, Amsterdam, 1701, qui contiennent un chapitre sur Bayle. Il soutenait que la doctrine d’Origène suffisait à elle seule pour lever toutes les difficultés relatives à l’origine du mal, et il en concluait que, si une doctrine aussi incomplète est capable de donner une telle solution, a fortiori la doctrine véritable et complète le pourra-t-elle. Un chartreux, Gaudin, fit paraître en 1701, un traité : De la distinction et de la nature du bien et du mal… où il combat les erreurs des manichéens, les sentiments de Montaigne et de Charron et ceux de M. Bayle, in-12, Paris ; il y prouve que le système des deux principes est faux, absurde et visiblement contraire aux idées de l'Être infiniment raisonnable. Bale répond au premier, dans la seconde édition du Dictionnaire, par une note ajoutée à l’article Origène ; il concède qu’en niant l'éternité des peines on ote à la doctrine dualiste une de ses meilleures objections, mais il remarque que nul orthodoxe ne voudra profiter de cet avantage, puisque l'éternité de l’enfer est un dogme de foi ; par suite, la thèse de.1. Le Clerc est insoutenable. Au second, il concède que le dualisme est évidemment absurde : mais cette absurdité, si palpable qu’elle soit, n’enlève rien de leur force aux objections que l’on peut taire à la thèse orthodoxe.

Bayle avait recueilli pour son dictionnaire une foule de notes et de traits qui ne purent y trouver place ; il en fit un ouvrage à part, qu’il publia sous le titre de : Réponse aux questions d’un provincial ; le premier volume parut en 1703 et le cinquième, après la mort de Bayle. Ces notes sont relatives surtout à diverses questions curieuses de l’histoire ancienne ou moderne ; toutefois la discussion théologique y tient une large place. On trouve, dans la IIe partie, une critique du livre de l'évêque anglican de Londonderry, Iving, sur l’Origine du mai ; la IIIe partie contient des remarques sur la preuve de l’existence de Dieu, tirée de l’unanime accord des peuples ; cet argument, écarté par Bayle dans sa Continuation des pensées sur la comète, avait été repris et défendu par le protestant Bernard, dans ses Nouvelles de la république des lettres de 1703 ; on y trouve aussi une réponse à un autre adversaire de Bayle, Jacquelot, chapelain du roi de Prusse, qui venait de publier un traité de La conformité de la foi avec la raison, ou la défense de la religion, contre les principales difficultés répandues dans le Dictionnaire historique… Bayle y combat encore l’hypothèse des natures plastiques, imaginée par Cudwortb et reprise par Le Clerc ; admettre l’existence de ces êtres plastiques, immatériels, qui inconsciemment organisent les êtres vivants, c’est, selon Bayle, énerver l’objection la plus embarrassante que l’on puisse faire aux aile’es : s’il n’est pis nécessaire d’admettre l’existence d’une cause intelligente pour expliquer la

formation de l’animal, pourquoi cette cause intelligente que nous appelons Dieu serait-elle indispensable pour expliquer la formation de l’univers ?

Dans la Réponse pour M. Bayle à M. Le Clerc, publiée vers la même époque, et dans les Entreliens de Maxime et de Themide, in-12, Botterdam, 1707, il continue ces mêmes controverses et reproche à ses deux adversaires, Le Clerc et Jacquelot, l’insuffisance de leurs explications de l’origine du mal, la faiblesse de leur argumentation contre le pyrrhonisrne et l’inutilité de leur polémique contre sa doctrine, incontestablement orthodoxe. Cet ouvrage était sous presse lorsque Bayle mourut, le 28 décembre 1706.

Douter sans nier ouvertement, discuter sans espoir et sans désir d’arriver à la vérité, chercher les difficultés et multiplier les objections, embarrasser l’adversaire par des arguments subtils ou sophistiques qu’il n’ose pas toujours prendre à son compte, voilà l'œuvre et le procédé de Bayle. « Toute sa philosophie, dit M. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, 1. II, c. xx, semble n'être que dispute et controverse. Quel philosophe célèbre de son temps n’a-t-il pas provoqué à la discussion et quelle vérité de la foi du genre humain a-t-il consenti à laisser en repos ? » « Je ne suis, écrivait-il lui-même au P. Tournemine, que Jupiter assemblenues, mon talent est de former des doutes, mais ce ne sont que des doutes. » Au milieu de ces nuages qu’il se plait à former, la liberté de l’homme et l’immortalité de l'âme disparaissent. « Le libre arbitre, dit-il dans sa Réponse aux questions d’un provincial, lettre cxiii, est une matière si embarrassée et si féconde en équivoques, que lorsqu’on la traite à fond, on se contredit mille fois et que la moitié du temps l’on tient le même langage que ses antagonistes, et que l’on forge des armes contre sa propre cause par des propositions qui prouvent trop, qui peuvent être rétorquées, qui s’accordent mal avec d’autres choses que l’on a dites. » Il y a pour et contre la spiritualité de l'âme, pour et contre son immortalité, des arguments qui se valent ; sa nature et ses destinées sont un mystère. L’homme est donc « un chaos plus embrouillé que celui des poètes » . Mais en Dieu, que de contradictions ! Qui réussira à concilier son immutabilité avec sa liberté, son immatérialité avec son immensité et surtout sa providence avec le mal physique ou moral dont l’existence est aussi évidente que l’origine en est obscure ? C’est sur ce dernier point que Bayle insiste avec le plus de vivacité et qu’il discute le plus souvent. Ses controverses avec Le Clerc, Jacquelot et King roulent sur ce sujet ; il y revient dans les articles du Dictionnaire consacrés soit aux philosophes et aux sectes dualistes, soit à leurs adversaires (art. Manichéens, Marcionites, Pauliciens, Origène, etc.). Il y expose tous les arguments que l’on a fait valoir et que l’on pourrait présenter en faveur des doctrines dualistes. Sans les prendre ouvertement à son compte, il remarque que « le faux dogme du double principe, insoutenable dès qu’on admet l’Ecriture, serait assez difficile à réfuter, soutenu par des philosophes aguerris à la dispute ; ce fut un lionheur que saint Augustin, qui savait si bien toutes les adresses de la controverse, abandonnât le manichéisme ; car il eût été capable d’en écarter les erreurs les plus grossières et de fabriquer du reste un système qui, entre ses mains, eût embarrassé les orthodoxes (art. Manichéens). En présence de pareilles obscurités, la raison doit s’avouer impuissante ; « elle ne peut les éclaircir : elle n’est propre qu'à former des doutes et à se tourner à droite et à gauche pour éterniser une dispute » (art. Manichéens, note P). Bayle ajoute qu’elle « n’est propre qu'à faire connaître à l’homme ses ténèbres et son impuissance, et la nécessité d’une autre révélation » (ibid.).

Son attitude à l'égard de cette révélation qu’il déclare nécessaire varie selon les circonstances. Ailleurs, il la