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BACON


il dit : c, Dans l’ordre des mineurs, chaque lecteur corrige comme il l’entend ; il en est de même chez les prêcheurs et les séculiers. Tous changent ce qu’ils ne comprennent pas… Les prêcheurs surtout se sont mêlés de cette correction. Il y a déjà plus de vingt ans qu’ils en tentèrent une et la mirent par écrit. Dans la suite ils en firent une autre et réprouvèrent la première. A cette heure, ils vacillent plus que personne, ils ne savent où ils en sont. D’où il appert que leur correction n’est qu’une abominable corruption ; c’est la destruction du texte de Dieu. » Il poursuit : « C’est sans comparaison un moindre mal de suivre le texte parisien non corrigé, que de suivre l’une ou l’autre de ces corrections. » Ce jugement, dont l’expression est trop forte, est cependant confirmé dans l’ensemble par l’examen des premiers correctoires. Le second correctoire contenu dans le manuscrit, latin 15554, fol. 147-253, et qui est connu sous le nom de Correctoriwm Sorbonicum, est l’œuvre des franciscains. Il n’est qu’une légère retouche du texte parisien. S. Berger l’a attribué à Guillaume le Breton, personnage en vogue alors, mais trop peu instruit pour mènera bien la correction du texte biblique. Les dominicains, plus érudits, ne réussirent guère mieux. En 1256, ils condamnèrent eux-mêmes leur correction de 1236. Denille, op. cit., t. I, p. 316, 317. Celle qui suivit était plus grosse que la moitié de la Bible ; mais précisément « à cause de son volume elle avait, à côté de beaucoup de vérités, des faussetés bien plus nombreuses que la première » . Finalement, ils perdirent confiance : modo vacillant plus quam alii, nescientes ubi sint. Op. tert., c. xxv.

Défauts de ces corrections.

Bacon explique l’insuccès

de ces premiers efforts par les raisons suivantes : 1. Les correcteurs n’ont pas de chef. Op. min., p. 333. Une entreprise quelconque, si elle est importante surtout, requiert une direction qui coordonne et unifie. Dans la circonstance chacun corrigeait à sa guise. On peut dès lors s’imaginer la multitude des variantes et, par conséquent, l’incertitude qui en résultait pour la vérité du texte. Faute d’organisation, le travail était ainsi vicié radicalement. — 2. Ils ne suivent pas les antiques bibles. Ibid. Par « antiques bibles » Bacon entend celles qui remontent à Charlemagne, à saint Isidore, à saint Grégoire. « Elles sont, dit-il, exemptes d’altérations ; elles concordent en tout, sauf là où il y a faute de copiste, chose inévitable dans n’importe quelle œuvre littéraire, et elles sont en nombre incalculable dans les divers pays. » On ne peut pas mieux raisonner. Si les bibles les plus anciennes et les plus nombreuses sont d’accord en tout point, elles contiennent donc la vraie version donnée par saint Jérôme et la seule reçue par l’Église entière : c’est donc là qu’il faut la chercher. — 3. Ils ignorent le grec et l’hébreu, auxquels on doit nécessairement recourir. Ibid. Maintes fois Bacon formule ce reproche. Comme la Vulgate n’est qu’une traduction et emprunte aux langues originales une multitude de mots, il est impossible de corriger ces mêmes mots, s’ils sont douteux, sans les comparer avec le texte original, ut videatur verilas in radice. Sans l’hébreu, sans le grec, on ne peut souvent que se tromper. — 4. Ils ignorent la grammaire latine, celle en particulier de Donat et de Priscien, les maîtres de saint Jérôme. Ibid., p. 331, 333, 334. Au moyen âge le latin était, en effet, en pleine décadence. Les meilleurs auteurs classiques étaient abandonnés ; par contre, on avait en grande estime des lexicographes sans valeur, Papias, Hugution, G. le Breton. Aussi les fautes grammaticales allaient se multipliant sans cesse. On ne savait plus les règles de l’écriture ni de la prononciation ; celles de l’accentuation, de l’aspiration, de la ponctuation, de la dérivation et de la quantité n’étaient pas moins imparfaitement connues. Que d’erreurs résultaient de cette décadence du latin ! Aussi Bacon s’attarde-t-il

à étudier, les classiques en main, ces questions de philologie et à démontrer comment leur ignorance était la source de maintes corruptions de la Bible. Cf. Op. maj., part. III, c. v- ; Op. tert., c. lx-lxiii, p. 234-264. — 5. Ils ignorent quelle est la version de la Bible en usage dans l’Église. Ibid., p. 334. Non seulement le vulgus Iheologorum, mais encore certains maîtres éminents, Hugues de Saint-Victor, Pierre Comestor, voire même Hugues de Saint-Cher suivant H. Hody, op. cit., p. 430, en étaient là. D’aucuns pensaient que la Vulgate était une version nouvellement faite à Jéricho, Op. min., p. 336, par des hommes inconnus et sans autorité. Les correcteurs étaient plus libres pour retrancher, modifier et ajouter dans une version récente. Pour les réfuter, Bacon reprend toute l’histoire des versions grecques et latines, et démontre magistralement que la seule version accréditée dans l’Église et la seule contenue dans les bibles est celle de saint Jérôme. Op. min., p. 334-347. — 6. Ils agissent avec trop peu de critique. Ibid., p. 347, 348. Les correcteurs du xiiie siècle croyaient faire bien en pillant les anciens Pères, saint Jérôme en particulier, l’historien Josèphe et la liturgie. Un esprit avisé eût au préalable soumis à un contrôle rigoureux ces éléments variés. Il eût vu que les Pères citent la Bible suivant les Septante et non suivant la Vulgate de saint Jérôme ; que Josèphe paraphrase pour mieux dire, le texte sacré ; que l’Église, dans la liturgie, le modifie plus ou inoins en vue de la piété ou de la clarté ; et que, par conséquent, il ne fallait pas se fier à ces critériums. Il eût aussi distingué avec soin la version de saint Jérôme, telle qu’elle est dans les bibles, des citations scripturaires qu’on trouve dans ses commentaires. Quel chaos résultant de cet amoncellement de textes pris de divers côtés ! Bacon pouvait s’écrier : Tôt sunt correclores seu magis corruptores ! ou bien encore : Eorum correctio est pessima corruptio et destructio texlus Dei ! Op. tert., c. xxv.

Pierre d’Ailly, qui dans sa jeunesse avait réfuté quelques idées d’un disciple de Bacon sur la Vulgate, Epislola ad novos Hebrœos, adopta les vues du docteur admirable lorsqu’il connut son Opus minus, dans son Apologelicus liierunonymianse versinnis. Voir L. Salembier, Une page inédite de l’histoire de la Vulgate, Amiens, 1890. Cf. t.i, col.612.

Projet d’une nouvelle correction.

C’est ainsi

que, faute de science, de méthode et de critique, les théologiens du XIIIe siècle, viri œstimati valde magni et maximi, augmentèrent inconsciemment les altérations et s’arrogèrent vis-à-vis de la Bible une liberté qu’on ne s’est jamais permise pour aucun livre humain et dont le saint-siège seul peut prendre la responsabilité. J. H. Bridges, op. cit., t. I, p. 221 ; Op. min., p. 342, 318. Pour remédier au mal, Bacon, sous l’impulsion de son génie pratique et de son sens catholique, s’adresse au gardien infaillible du dépôt des saintes-Écritures ; il supplie le pape d’user de sa souveraine autorité : « Je crie vers Dieu et vers vous contre cette dépravation du texte sacré, car vous seul pouvez y remédier avec l’aide de Dieu. » Op. tert., c. xxv. Il ne lui dissimule pas les immenses difficultés du projet, Op. min., p. 333 ; il ne lui cache pas non plus qu’on peut les vaincre : le chef de l’Eglise manquerait-il de trouver des hommes capables ? il s’offre à les lui indiquer, s’il le désire.

Entre autres savants dignes de collaborer à cette correction nouvelle, Bacon signale maintes fois, sans le nommer, un vieillard très versé dans l’étude de la Bible et qui depuis le temps des saints n’avait pas eu son égal. « H y a trente ans, bientôt quarante ans, dit-il, qu’il travaille cette partie ; il sait à fond les moyens et la méthode pour donner en toute certitude une vraie correction ; tous sont des ignorants à côté de lui eu cette matière. » Op. tert., loc. cit. ; English hist. rev.,