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BARLAAM ET JOSAPHAT


1860, les deux récits furent comparés en détail par F. Liebrecht, Die Quellen des Barlaam und Josaphal, dans Jahrbuch f’ùr romanisclie und englische Literatur, 1860, t. ii, p. 314-33’*, et aussi dans son livre Zur Volkskunde, Heilbronn, 1879, p. 441-460. La découverte fit rapidement son chemin : Bemey la fit connaître dans Gôttingisclie gelchrten Anzeigen, 1860, p. 871 sq. ; Emilio Teza, dans les Sacre rappresentazioni dei secoli xiv, xve xvi d’Ancona, Florence, 1872, t. ii, p. 146-162 ; C. A. Holmboe, dans son livre Enbuddhistic Légende, Christiania, 1870, p. 340-351, et surtout Max Mùller, dans son article, On the migration of Fables, dans Contemporary Review, juillet 1870, ou Chips froni a german workshop, 1875, t. IV, p. 174 sq., ou Essais sur la mythologie comparée, trad. G. Perrot, p. 456 sq. Enfin, M. Emmanuel Cosquin publia dans la Revue des questions historiques, octobre 1880, t. xxviii, p. 579-600, une étude très approfondie, où il démontra nettement l’origine indienne de la légende des prétendus saints Barlaam et Josaphat.

II. Ressemblances avec l’histoire de Bouddha. — Le doute en effet n’est plus possible, l’histoire de ces personnages reproduit trait pour trait celle de Bouddha. Joasaph (c’est la forme primitive du nom de Josaphat) est le fils d’un roi indien, nommé Abenner. A sa naissance, il l’ut pré-dit qu’il se ferait chrétien. Pour écarter cette éventualité, son père le fit élever loin du monde et déroba à la vue de l’enfant le spectacle des misères de cette vie. Malgré ces précautions, diverses circonstances révèlent à Joasaph l’existence de la maladie, de la vieillesse et de la mort. L’ermite Barlaam s’introduit auprès de lui et le convertit au christianisme. Joasaph entraîne dans sa conversion son père, tous les sujets de son royaume et jusqu’au magicien Theudas envoyé pour le séduire ; puis, il renonce au trône et se fait ermite. Voici maintenant le fond analogue de la vie du Bouddha. Les brahmanes ayant prédit, à sa naissance, que l’enfant renoncerait un jour à la couronne et le roi ayant vu en songe son fils devenu ascète errant, l’enierma dans trois palais et fit publier, à son de cloche, l’ordre d’écarter de la vue de son fils tout ce qui pourrait attrister ses regards. Mais Siddhàrta (c’est le premier nom de Bouddha) rencontre successivement un malade, un vieillard décrépit et un cadavre. Plus tard, il fait la connaissance d’un bhikshu, religieux mendiant. Comme Joasaph, Siddhàrta émet, sur ces diverses rencontres, des réflexions qui le persuadent du caractère éphémère de la vie et le poussent à mener une existence plus parfaite. Il renonce au trône, malgré les remontrances de son père et la suprême tentation du démon Pàpiyàn. On le voit, l’identité est complète entre les deux légendes.

Les noms mêmes sont identiques, car Joasaph dérive, par des transtormations successives mais normales, de Bddhisatlva, le nom du Bouddha. En effet, le grec’hûxrjucp est la transcription de l’arabe Yoûasaf et celui-ci, d’après l’auteur arabe du Keiab-al-Fihrist, désigne le Bouddha. La transcription exacte de Bodhisattva en arabe serait Boùdsatf, et en effet, on rencontre chez certains auteurs arabes et persans les formes Boûddsp et Boûddshp. Or, dans le système d’écriture des arabes, la même graphie, selon qu’elle est accompagnée ou non de certains signes, peut se lire B ou Y. On a donc pu lire aussi Yoùdsatf, dont il n’existe pas, il est vrai, de trace, mais qui suppose la forme Yoûdsasn, qui a ététrouvée. De Yoûdsasp est venu Yoâdasf et puis Youâsaf. Voir sur ce point A. Weber, lndische Streifen, t. iii, p. 570, note.

III. La recension grecque.

Les éditions.

La

plus importante des recensions de la légende de Barlaam et de Joasaph est celle qui a été rédigée en grec. J.-B. Docen, Ueber die Aïsopischen Fabcln, dans J.-C. von Aretin, Beitràge zur Geschichte und Literatur, 1807, t. ix, p. 1247, et Valentin Schmidt, Wiener Jarhbûchern,

1824, t. XXVI, p. 25-45, en donnèrent les premiers quelques extraits. Le texte intégral fut publié, d’après trois manuscrits de Paris (n. 903, 904 et 1128), par J.-Fr. Boissonade, Anecdota grseca, Paris, 1832, t. iv, p. 1-365. Cette édition, avec la traduction latine de Billy, fut reproduite dans Migne, P. G., t. xcvi, col. 857-1250. En 1885, Sophronios lit paraître à Athènes une troisième édition du tameux texte. Toutefois, ces travaux ne peuvent encore être considérés comme définitits ; ils n’ont pas suffisamment tenu compte des nombreux manuscrits qui renferment le texte. Voir, à cet égard, Zotenberg, Notice sur le livre de Barlaam et Joasaph, Paris, 1886, p. 3-5 ; E. Kuhn, Barlaam und Joasaph, Munich, 1893, p. 48-49. Ces listes pourraient encore être allongées, car M. Kuhn, qui complète M. Zotenberg, cite seulement quatre manuscrits au Vatican ; en lait, il y en a onze. Cf. Hagiographi Bollandiani et Pius Franchi de’Cavalieri, Catalogus codicum hagiogr. grsec. bibl. Yaticanse, Bruxelles, 1899, p. 305.

Son rédacteur.

Quel est le rédacteur de la légende

grecque de Barlaam et de Joasaph ? « La plupart des manuscrits de date ancienne, dit M. Zotenberg, op. cit., p. 6-7, nous apprennent que l’histoire a été apportée dans la ville sainte par un moine du cou vent de.Saint-Saba, nommé Jean. Dans quelques copies modernes, ce personnage est désigné comme « moine du couvent de Saint-Sinaï ou Saint-Sinaïtes, et dans un petit nombre d’exemplaires du xvie et du xviie siècle, on lit que ce récit, apporté par quelques hommes pieux de l’Inde à Jérusalem, au couvent de Saint-Saba, a été rédigé par saint Jean Damascène » . Deux autres manuscrits, le n. 137 de la Bibliothèque naniane à Venise, et le n. 1771 de la Bibliothèque nationale de Paris, attribuent l’œuvre à Euthyme l’Ibère, qui aurait traduit l’histoire de Barlaam et Joasaph du géorgien en grec.

1. Est-ce Euthyme l’Ibère ? — Malgré son caractère étrange et son peu de probabilité, cette dernière opinion a trouvé des partisans convaincus, comme le baron V. R. Rosen, Zapiski vostoenago otdèlenija imperatorskago russkago archeologiceskago obscestva, 1887, t. il, p. 166174 ; N. Marr, ibid., t. iii, p. 233-260, et Hommel, dans l’appendice de l’ouvrage de Weisslowits, Prinz und Derwich, p. 136-140. M. E. Kuhn, Barlaam und Joasaph, dans Abhandlungen der K. Bayer. Akademie der Wiss., I™ classe, 1893, t. xx, part. I, n’a pas eu de peine à réfuter les arguments très fragiles qui ont été présentés pour donnera saint Euthyme l’Ibère la paternité du texte grec de l’histoire de Barlaam et de Joasaph.

2. Est-ce saint Jean Damascène ? — C’est Jacques de Billy qui a surtout contribué à faire passer saint Jean Damascène pour l’auteur de cette légende. M. Zotenberg, op. cit., p. 13-35, a péremptoirement établi que les cinq preuves produites par Billy ne démontrent nullement sa thèse. En effet, le témoignage de Georges de Trébizonde manque absolument d’autorité ; l’affirmation vague et dépourvue d’arguments, relative au style de saint Jean Damascène qu’on prétend retrouver dans le livre de Barlaam et Joasaph, n’est pas vérifiée en lait. Les citations bibliques qui ont été invoquées démontrent que saint Jean Damascène et l’auteur du roman n’ont pas eu sous les yeux le même exemplaire du texte sacré ; quant aux extraits des Pères de l’Église, ils ne sont pas suffisants pour établir l’identité des deux écrivains. Un dernier argument est tiré de la similitude de certaines doctrines. Il s’agit surtout d’une dissertation sur le libre arbitre. M. Zotenberg montre nettement que les deux auteurs ont fait, indépendamment l’un de l’autre, de larges emprunts au traité de Némésius et que la définition amplifiée de la [JovXrj, reproduite littéralement dans les deux ouvrages, paraît provenir de quelque commentaire d’Aristote. Quant au passage relatif au culte des images, il y a lieu de remarquer que, bien

i avant saint Jean Dainascène, le grand protagoniste de