Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
394
BARDESANE

céda à Hystaspe le réprimanda et, comme il ne voulut pas obéir, l’anathématisa. D’après Théodore Bar Khouni, Bardesane, d’abord païen, se convertit, devint prêtre et voulut devenir évêque. Déçu dans son ambition, il s’attacha à la doctrine de Valentin, qu’il modifia légèrement afin de pouvoir donner son nom à une nouvelle hérésie. Ajoutons que, d’après Masoudi, Bardesane fut évêque d’Édesse.

Nous croyons que Bardesane fut d’abord païen, car le paganisme était la religion dominante, et le premier roi chrétien d’Édesse, qui fut Abgar IX, ne se convertit vraisemblablement qu’après 201. Rubens Duval, Hist. d’Édesse, p. 48, 64-65. Il fut même valentinien, au moins par certains côtés de ses théories philosophiques, puis se convertit au christianisme dont il combattit les adversaires, mais ne parvint jamais à se débarrasser complètement de ses anciennes erreurs. Car : 1o  cette opinion, basée sur le témoignage d’Eusèbe, explique le caractère d’œuvre de transition que présente le Dialogue des lois des pays. Cet ouvrage enlève aux astres la plus grande partie des prérogatives que les païens leur attribuaient et que Bardesane lui-même, comme il nous l’apprend, p. 37, leur avait attribuées, mais il leur en accorde encore trop, et ces concessions devaient plus tard paraître excessives. 2o  Saint Éphrem semble être le premier adversaire des bardesanites, alors tout puissants à Édesse. Il ne nous apprend nulle part que Bardesane ait été anathématisé par un évêque d’Édesse ou qu’il ait voulu devenir évêque et soit tombé dans l’hérésie par ambition déçue. 3o  Saint Éphrem n’accuse pas Bardesane d’être devenu valentinien. 4o  Les récits tardifs de Théodore Bar Khouni, de Michel et des Arabes, ne cadrent aucunement avec le rôle joué par Bardesane à la cour d’Édesse, rôle qui est attesté par Jules l’Africain son contemporain, par Porphyre, qui faisait partie de la génération suivante, et même par saint Épiphane.

Il semble donc que l’on imagina et que l’on chercha à expliquer un retour de Bardesane à l’hérésie de Valentin pour trouver là l’origine de l’hérésie subséquente des bardesanites. Il est à craindre que cette assimilation des bardesanites aux valentiniens une fois admise, on n’ait attribué aux premiers quelques fictions des seconds, par exemple sur le nombre et la génération des mondes et sur la nature du corps du Sauveur. Théodore Bar Khouni, Michel et Théodoret, Epist., cxlv, P. G., t. lxxxiii, col. 1380.

II. Écrits. — I. en général. — Bardesane composa des dialogues et des ouvrages en langue et écriture syriaque ; les nombreux disciples que lui attirait son éloquence les traduisirent du syriaque en grec. Eusèbe, H. E., iv, 20, P. G., t. xx, col. 397, 400 ; S. Jérôme, De viris ill., 33, P. L., t. xxiii, col. 647. D’après saint Épiphane, il était versé dans la connaissance des langues grecque et syriaque, disputa avec Avida l’astronome au sujet du destin, et on lui attribuait beaucoup de traités au sujet de la vraie foi. Théodoret vit ses écrits sur le destin et contre l’hérésie de Marcion, ainsi que beaucoup d’autres. Hær. fab., i, 22, P. G., t. lxxxiii, col. 372. En somme, on trouve mentionnés : 1o  Des dialogues contre Marcion et sur divers sujets. 2o  Un très célèbre dialogue Sur le destin adressé à Antonin. Cet ouvrage est distinct du Dialogue des lois des pays dont nous parlerons plus loin ; il est adressé à l’empereur Caracalla (211-217) ou plutôt à Héliogabal (218-222), car ces deux empereurs sont désignés dans Eusèbe par le seul nom d’Antonin. H. E., vi, 21, P. G., t. xx, col. 573. D’ailleurs, le premier vint en Mésopotamie et fut tué entre Carrhes et Édesse ; le second avait été élevé à Émèse dans le temple du Soleil et devait s’intéresser à un ouvrage syrien sur le destin, c’est-à-dire sur l’influence du soleil et des planètes. Le nom commun Antonin, mis en tête du dialogue, prêta à ambiguïté et parut désigner Antonin le pieux ou Antonin Verus, aussi longtemps qu’on ne connut pas les dates exactes de la naissance et de la mort de Bardesane. 3o  Cent cinquante psaumes ou plutôt hymnes, à l’imitation du roi David. S. Éphrem, Opera syriaca, t. II, p. 553. Tous les habitants d’Édesse les chantèrent. Bardesane créa ainsi la poésie syriaque, il utilisa surtout le mètre pentasyllabique. Hahn, Bardesanes gnosticus, p. 32-37. Les ouvrages mentionnés jusqu’ici sont complètement perdus, hors quelques vers cités par saint Éphrem. Adv. hær., serm. lv, Opera, t. ii, p. 557, 558. 4o  Un ouvrage sur l’Inde d’après des renseignements que lui fournirent des ambassadeurs hindous envoyés à Héliogabal, dont quelques fragments, cités par Porphyre dans les traités Περὶ Στυγός ; (conservé par Stobée) et Περὶ ἀποχῆς ἐμψύχων, IV, 17, 18, ont été reproduits par Langlois, Fragmenta historicorum græcorum, Paris, 1870, t. v b, p. 68-72. 5o  Une histoire d’Arménie, à laquelle Moïse de Khoren, comme nous l’avons déjà dit, fit des emprunts. Hist. Arm., t. ii, c. lix, lxvi. Langlois a traduit ces chapitres, loc. cit., p. 63-67, ainsi que deux passages de Zénob de Glag et d’Ouktanés d’Édesse, historiens arméniens, qui attribuent à Bardesane une histoire d’Arménie et la rédaction d’un colloque entre Tiridate et Hratché. 6o  Des ouvrages d’astrologie auxquels saint Éphrem fait allusion et dont Georges, évêque des Arabes, a reproduit un fragment. Cf. Ryssel, Georgs des Araberbischofs Gedichte und Briefe, Leipzig, 1891, p. 48. Enfin, 6o  le Dialogue des lois des pays que nous allons étudier.

II. le dialogue des lois des pays. — 1o  Citations de ce dialogue. — Ce petit ouvrage rédigé, sans doute en syriaque, par Philippe, disciple de Bardesane, est le plus ancien monument de la littérature syriaque, en dehors des traductions de la Bible. Eusèbe, Præp. ev., vi, 10, P. G., t. xxi, col. 464-476, cite de longs extraits de la traduction grecque de ce « dialogue de Bardesane avec ses disciples ». Il le distingue donc du dialogue sur le destin adressé à Antonin dont il a parlé dans son Histoire ecclésiastique. Diodore, évêque de Tarse, le réfuta, car il reproche avec raison à Bardesane de s’être arrêté à mi-chemin dans son argumentation contre le destin des planètes. Saint Épiphane l’a lii,car il mentionne l’un des principaux interlocuteurs, l’astronome Avida (Ἀϐειδά) ; il a surtout remarqué, comme Eusèbe et Diodore, l’argumentation contre le destin ; enfin le dernier compilateur des Recognitions, Césaire, frère de Grégoire de Nazianze, et Georges Hamartolos lui font des emprunts, sans doute par l’intermédiaire d’Eusèbe.

2o  Éditions. — Le texte syriaque du Dialogue des lois des pays, dont on ne connaissait que des extraits d’une traduction grecque, a été découvert par Cureton en 1815, dans le ms. du British Museum, add. 14658, du vie-viie siècle. Le même savant en a donné une édition, aujourd’hui épuisée, avec une traduction anglaise. Spicilegium syriacum, Londres, 1855. Nous l’avons réédité, Bardesane l’astrologue, le livre des lois des pays, Paris, 1899, et avons fait tirer à part l’introduction avec la traduction française. Nous avons ajouté les traductions du fragment astrologique et eschatologique cité par Georges, évêque des Arabes, et d’un texte inédit de Moïse Bar Cépha qui reflète assez exactement, croyons-nous, les idées cosmogoniques de Bardesane. Il existe encore une traduction française de ce dialogue publiée par Langlois, op. cit., p. 74-95, et une excellente traduction allemande due à Merx, Bardesanes von Edessa, Halle, 1863.

3o  Analyse. — Le Dialogue des lois des pays n’est pas haché en courtes phrases comme certains dialogues de Socrate ; ici le maître n’a pas pour méthode d’arracher la vérité lambeau par lambeau à l’esprit de ses auditeurs, il provoque les questions et y répond : « Si donc, mon fils, tu as des idées sur la question que tu poses, développe-les-nous ; si elles nous plaisent, nous serons