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BACON


lettre datée d’Haïti et adressée au roi d’Espagne il affirme, en effet, qu’il avait lu et médité V Imago mundi de Pierre d’Ailly, où elles sont littéralement transcrites. Cf. Htmiboldt, Examen critique, t. i, p. 61-70, 96-108 ; R. de Lorgues, Chr. Colomb ;). H. Bridges, The « Opus majus » , t. i, p. 290.

Le chapitre où Bacon essaie de déterminer le diamètre et la distance des corps célestes, J. H. Bridges, op. cit., t. i, p. 224-236, prouve à l’évidence qu’il ne possédait pas moins l’astronomie que la géographie. De longues observations lui avaient appris la nécessité de se mettre en garde contre les illusions d’optique relatives au volume, à la position et à l’éloignement des astres. Op. ma, ]., part. II » Ve, dist. III, c. I ; part. III » V*, dist. II, c. iv ; Op. tert., c. lui ; De multipl. spec., part. II, c. iv. Il sait parfaitement que certains astronomes de l’antiquité ont entrevu la possibilité et môme l’éventualité d’une hypothèse scientifique plus parfaite pour expliquer leur mouvement. De multipl. spec, part. II, c. iv ; J. H. Bridges, op. cit., t. I, p. 191-193. Aussi il se fait l’historien des systèmes avant de se décider. Puis sans hésiter il se prononce contre Ptolémée, qui a été trompé en se fiant aux sens, sensum imitando deeipiebatur. Ce n’est pas sans scrupule qu’il s’arrête à cette solution ; mais enfin mieux vaut sauver l’ordre de la nature et contredire les sens si souvent trompeurs. Cf. E. Charles, op. cit., p. 178.

Bacon recherchait dans les mouvements périodiques du ciel les plus exactes mesures du temps. Les incertitudes de la chronologie biblique ne lui étaient pas inconnues. Il estimait qu’il faut recourir à l’astronomie si l’on veut essayer de les dissiper avec chance de succès. Pas plus que les monuments de l’antiquité profane, le texte sacré ne peut suffire à ce travail : il a des solutions de continuité et les chiffres qu’il donne sont trop souvent contradictoires. Seule l’astronomie exclut toute erreur. Les éclipses, les conjonctions planétaires, comme d’ailleurs toutes les révolutions des corps célestes, n’ont-elles pas lieu à des époques précises et certaines ? Leur périodicité invariable est donc un guide sûr pour classer les événements du passé. Op. maj., part. IV, p. 188, 189 ; Op. tert., c. liv, p. 204-208.

C’est encore à l’astronomie qu’il appartient de dissiper les doutes sur le jour de la Passion et celui de la célébration de la Pàque. Avec les Grecs et saint Augustin, Bacon fixe la mort du Sauveur au 14 nisan, veille de la fête des azymes ; il en conclut que Jésus-Christ anticipa la manducation de l’agneau pascal. L’Optis majus contient la table de comput au moyen de laquelle il essaya de contrôler scientifiquement son interprétation des synoptiques et de saint Jean. Toutefois, il se défend de toute conclusion ferme, cette table, quoique dressée avec le plus grand soin, n’étant pas encore pleinement vérifiée. Op. maj., part. IV, p. 202-210 ; Op. tert., c. lvii, p. 221-226.

Une autre table en caractères hébraïques, aujourd’hui égarée, contenait l’exposition du cycle lunaire juif. Op. tert., p. 215, 220, 221. Tout ce qui a rapport à la supputation du temps chez les juifs comme chez les Arabes, chez les Grecs comme chez les chrétiens, était familier à Bacon. Op. maj., part. IV, p. 194-201 ; Op. tert., c. iv, p. 212-221. On comprend des lors qu’il soit si à l’aise pour montrer les défauts du calendrier ecclésiastique et pousser Clément IV à sa réforme. « Après la corruption du texte sacré, dit-il, il n’y a rien d’aussi intolérable. » <>p. tert., p. 212, 221. En 1267 déjà, l’année tropique ne correspondait plus à l’année civile, dont elle s’écartait de huit jours pleins. Par le fait, tout l’ordre îles fêtes île l’Église était bouleversé, ce désaccord entraînant avec le déplacement de la fête de Pâques celui des autres fèies de l’année. C’est avec la plus grande précision que le savant auteur fait loucher du doiiil chacune des erreurs du calendrier Julien el

manifeste la possibilité d’y remédier. Il termine en s’adressant au pape : « Votre Révérence peut donner ses ordres ; vous trouverez des hommes capables d’opérer toutes les corrections désirées. Il y a dans le calendrier treize erreurs principales, qui se ramifient à leur tour de mille façons. Si donc cette œuvre grandiose s’accomplissait durant votre pontificat, ce serait l’une des plus glorieuses, des plus utiles et des plus magnifiques qui aient jamais été entreprises dans l’Église de Dieu. » Ce langage est celui d’un voyant. N’est-ce pas la rétorme du calendrier, si instamment demandée et si minutieusement préparée par Bacon, Op. maj., part. IV, p. 269285 ; Op. tert., c. lxvii-lxix, p. 272-295, qui illustrera le nom de Grégoire XIII trois siècles plus tard ? Pierre d’Ailly et Nicolas de Cusa au XVe siècle, Paul de Middelburg en 1513 n’ont rien dit que Bacon n’eût exprimé avant eux. Cf. J. H. Bridges, op. cit., t. I, p. 285.

Jetons, à la fin de cet exposé, un coup d’oeil rapide sur la personnalité de Bacon comme savant. Son style, sa méthode, son caractère disent assez sa trempe d’esprit propre. Son style est clair, concis, éntrgique. Lucide et précis jusque dans les questions les plus difficiles, il expose avec ordre et netteté. Il ne procède pas, à la façon des scolastiques, par des syllogismes pour et contre. Sa pensée se développe constamment suivie et uniforme, comme chez les anciens et les modernes. A ne le considérer que sous ce rapport, on ne le placerait pas au XIIIe siècle. D’autre part, qu’il écrive ou qu’il parle, il met son enseignement à la portée de l’intelligence la moins ouverte. Cf. Op. tert., c. v-xii, xvi, xviii. Les étudiants n’éprouveraient pas autant de difficultés, assure-t-il, si les maîtres avaient plus de méthode. Pour le démontrer, il gage d’enseigner en six mois tout ce qu’il a appris en quarante ans. Son disciple préféré, Jean de Paris, est la preuve convaincante que ce n’est point là une pure bravade : en peu de mois, ce jeune homme de vingt ans devint l’objet de l’admiration générale. English hist. rev., loc.cit., p. 505-507 ; Op. maj., part. I, c. x ; part. VI, c. i ; Op. tert., c. xix, xx et p. 89, 111, 135, 139, 225, 230, 270, 316. A cette perfection de méthode il faut joindre une sagacité étonnante. On sait l’art avec lequel il maniait l’induction et la déduction dans l’étude expérimentale de la nature. C’est cette puissance de conception qui lui a permis s d’aborder et de résoudre tant de problèmes que la postérité n’a tranchés que plus tard ou qu’elle n’a même pas examinés du tout » . P. Martin, La Yxdgale latine au xme siècle, Paris, 1888, p. 73. C’est elle aussi qui. jointe à un courage indomptable, lui a fait attaquer de front les préjugés de ses contemporains, stimuler leur ardeur, leur tracer un programme, leur élargir le vaste champ de la science, leur signaler tout à la fois les écueils à éviter.

Synthèse doctrinale.

Dans quel esprit faut-il se

livrer à l’étude ? Quels sont les rapports des sciences entre elles et avec les vérités révélées ?

Il n’est pas un ouvrage de Bacon, qui ne débute par une critique des causes de l’ignorance humaine. Cf. t’.omp. stuilii phil., c. iii, p. 414 ; E. Charles, op. cit., p. 278. La première partie de VOpus majus, l’une des mieux travaillées, est dans son entier consacrée à cet important examen. Pleinement instruit sur ce qui se passait autour de lui, le docte et judicieux écrivain s’appesantit à dessein sur cette question capitale. Selon lui, quatre obstacles principaux s’opposent à l’acquisition de la vérité : 1° le crédit injustifié ou exagéré accordé, connue à l’aveugle, à certaines doctrines, à certains hommes ; 2° la manie de vouloir modeler ses jugements sur ceux d’un public ignorant et incompétent ; 3° le tort de se river, pour ainsi parler, à une opinion par le fait qu’elle est communément adoptée ; ’r surtout enfin la présomption ou l’amour oulré de son propre sentiment, et le désir immodéré de le faire