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CAMISARDS

UIO

autant, et quelques-uns à leur tour hasardèrent des prophéties. L’un des plus illustres fut Jurieu. En 1686, il publia, à Rotterdam où il était réfugié, L’accomplissement des prophéties ou la délivrance prochaine de l’Eglise. Il y annonçait « la chute prochaine du papisme », et cela avec une précision qu’on ne pouvait souhaiter plus grande. « Il faut, disait-il, que le papisme commence à tomber dans quatre ou cinq ans, et que la réformation soit rétablie en France. Cela tombera justement sur l’an 1690. » Bossuet combattit Jurieu dans le 1. XIII de l’Histoire des variations, et, Jurieu ayant répliqué, dans l’Avertissement aux protestants sur leur prétendu accomplissement des prophéties, édit. Lâchât, Paris, 1863, t. iii, p. 1-170. Si l’effort principal de Bossuet consistait à démolir l’interprétation que Jurieu donnait de l’Apocalypse, il observait que la théorie protestante ne se conlînait pas dans le domaine spéculatif, et, citant un passage où Jurieu invitait les rois et les peuples de la terre à « renverser de fond en comble Babylone », Bossuet disait : « Qui n’admirerait ces réformés ? Us sont les saints du Seigneur, à qui il n’est pas permis de toucher et toujours prêts à crier à la persécution. Mais, pour eux, il leur est permis de tout ravager parmi les catholiques, et, si on les en croit, ils en ont reçu le commandement d’en haut, » p. 3. L’effet de la prédiction de Jurieu fut considérable parmi les protestants de France. Brueys, Histoire du fanatisme de noslre temps, 2e édit., Montpellier, 1709, t. i, p. x, prétend que le « livre prophétique » de Jurieu « a donné naissance au fanatisme » du Dauphiné, du Vivarais et des Cévennes. Cf. p. 19, 70.

Un certain mystère plane encore sur l’origine des « petits prophètes » du Dauphiné. On a raconté qu’une école où l’on enseignait l’art de prophétiser fut établie, en 1688, sur la montagne de Peyra, près de Dieulelit, dans une verrerie, et dirigée par un vieux calviniste, nommé du Serre, qui travaillait à cette verrerie. Il choisit d’abord quinze jeunes garçons et autant de jeunes filles (ces dernières confiées à sa femme), leur fit entendre que Dieu lui avait donné le Saint-Esprit, avec le pouvoir de le communiquer ; qu’il les avait choisis pour les rendre prophètes et prophétesses, à la condition de se préparer de la manière que Dieu avait prescrite. Il les soumit à un régime qui ne pouvait qu’ébranler le système nerveux et les jeter dans un état voisin de la folie. Il leur apprit à débiter des textes bibliques, surtout des fragments de l’Apocalypse, mêlés d’imprécations contre l’Eglise, le pape et les prêtres. En outre, il les forma c à battre des mains sur la tête, à se jeter parterre à la renverse, à fermer les yeux, à enfler l’estomac et le gosier, à demeurer assoupis en cet état pendant quelques moments, et à déguiser ensuite, en se réveillant en sursaut, tout ce qui leur viendroit à la bouche ». Brueys, op. cit., t. I, p. 96. Lorsque l’initiation était suffisante, le « forge-prophètes », comme s’exprime Brueys, p. 98, assemblail le petit groupe, plaçait au milieu le prétendant, le baisait, lui soufllait dans la bouche, et lui déclarait qu’il avait reçu l’esprit de prophétie, Quand il les jugea prêta à faire œu re utile, il les dispersa « le côté et d’autre, non sans les avoir exhortés à communiquer, à leur tour, le don de prophétie à ceux qu’ils trouveraient dignes. Fléchier, Hécit fidèle de ce qui s’est passé, dans les asseniblées de fanatiques du Vivarais, dans Lettres choisies, Lyon, 1715, t. i, p. 353, assigne aux prophètes la même origine que Brueys. L’un et l’autre protestent qu’ils n’avancent rien qui ne soil fondé sur des actes juridiques ou sur des dépositions de témoins oculaires. Cf. Brueys, p. 81 ; Fléchier, p. 352. Antoine Court, //î.stoire (manuscrite) de » Églises réformées, t. ii, p. 864, Cité par le pasteur E. Arnaud, Histoire des protestant » du Dauphiné aux ih « , xvii°, ai///e siècles, Paris, IS76. t. iii, p. 68-69, dit de l’école de du Serre : < I Ine seule chose manque à ce collège, c’est d’avoir existé. Ce qu’il y a

au moins d’incontestable, c’est que Brueys n’en donne aucune preuve et que toutes mes recherches à ce sujet n’ont abouti qu’à me convaincre que c’est un pur mensonge. » Quoi qu’il en soit, il est certain que le mouvement des « petits prophètes », ainsi appelé parce que la plupart des prophètes, surtout dans les débuts, furent des enfants, commença dans le Dauphiné. Grande fut l’effervescence produite par ces enthousiastes. Ils se répandirent dans le Dauphiné et le Vivarais. De juin 1688 à la fin de février 1689, il y eut « cinq ou six cents religionnaires de l’un et de l’autre sexe, qui se vantoient d’estre prophètes, et inspirez du Saint-Esprit, qui disoient avoir la puissance de le communiquer aux autres, qui trainoient après eux la populace, et commençoient à former en divers lieux des assemblées très nombreuses, qui ajoustoient foy à leurs rêveries ». Brueys, op. cit., t. i, p. 1-2. Un des prophètes qui acquirent le plus de renom, Gabriel Astier, excita, dans le Vivarais, un soulèvement que l’on pourrait considérer comme le prélude de la révolte des camisards, et que Broglie et Basville durent arrêter par les armes. La guerre des camisards ne fut pas l’œuvre exclusive des prophètes ; du moins ils contribuèrent beaucoup à la rendre possible, à la prolonger, et ils lui imprimèrent une marque exceptionnelle de faux mysticisme et de barbarie.

On comprend l’effet produit sur ces frustes imaginations de montagnards par des gens qui leur annonçaient la délivrance toute proche et qui les animaient à la lutte au nom de Dieu qui parlait par leur bouche. Tantôt on leur disait que, pour affranchir les siens, Dieu susciterait en France quarante mille prophètes ou prophétesses ; tantôt qu’un prince puissant allait venir qui écraserait les persécuteurs ; que Dieu armait toutes les nations pour finir la captivité de Babylone ; tantôt on découvrait, dans l’Apocalypse, que « le roy donnera un édit dans une assamblée generalle du cierge de France qui révoquera tout cet qui est contraire à l’Evengille, et ceux qui y contrediron seron mis a mort… Cet pour lors que les moines sortiron hors du royaume et que les protestans, fugilif reviendrons dans leurs maizons, et pour lors la France pure et nete, n’y ayant que la seulle et vraye religions… ». Histoire générale de Languedoc, t. xiv, col. 1682, 1683. On promettait qu’un temple magnifique de marbre blanc tomberait du ciel, au milieu du vallon de Saint-Privat, et remplacerait les édifices du culte démolis après la révocation de l’édit de Nantes. On menaçait d’un dragon de feu, qui tirerait vengeance de la tiédeur des fidèles et de leur inassiduité aux assemblées. Tant que la réforme avait été tolérée en France, les ministres avaient enseigné que le retour à la foi catholique était le péché contre le Saint-Esprit, le péché irrémissible ; on admettait maintenant, à la suite de Jurieu, que ceux qui avaient abjuré le protestantisme pouvaient se relever de leur chute. « Dieu vous a pardonné votre péché>, lisons-nous dans un Avis aux prntrsiinits de France (qu’on leur demandait de copide répandre partout), parce que vous avez réclamé sa miséricorde et que vous avez repris du zèle. Si vous l’abandonnez dans cette nouvelle épreuve, il n’y aura plus de salut pour vous… Encore tant soit peu de temps, et relui qui doit venir viendra. » Histoire tt> : >it ; r<i ;. Languedoc, t. Xiv, col. 1623. Si les enfants et les femmes de préférence prophétisèrent, il est à remarquer que presque tous les organisateurs de l’insurrection cévenole prophétisèrent aussi ; de la leur vint une bonne pari de leur influence. Jean Cavalier notamment unitle pre du prophète à celui du capitaine. Dans ces conditions, uil.int du chef était irrésistible. Lui obéir, c’i Lait obéir a Dieu qui manifestai ! par lui sa volonté, c’était marcher au triomphe. brûler iir la

superstition, et tuer pouvait être une œuvre sainte. L’extrait suivant d’un billet adr< par li révolt dix habitants de Vébron ird, tristement