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CHYPRE (ÉGLISE DE)

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Les tulles des évêques.

Dès ses origines, la hiérarchie latine de Chypre se trouva en désaccord avec la maison royale de Lusignan et la noblesse cypriote. Les causes de cet antagonisme étaient à la fois religieuses et civiles. Tout d’abord, les rois de Chypre tenaient pour des raisons politiques à ne point mécontenter leurs sujets grecs et à ne point froisser leurs sentiments religieux. Les évêques latins, obéissant aux conseils d’un zèle parfois imprudent, ne voulaient pas acquiescer aux mesures de prudence des rois de Chypre et leur reprochaient le mépris systématique des intérêts les plus graves de l’Église. Depuis les premiers jours de la domination latine jusqu’au xive siècle, la lutte entre Grecs et Latins n’eut presque pas de trêve, et la puissance laïque prit la défense des intérêts religieux de la population indigène, comme pour lui faire oublier sa sujétion politique. Histoire des archevêques, p. 208.

La hiérarchie latine n’avait pas à se défendre seulement contre les Grecs. Il lui fallut résister longtemps aux empiétements des légats du Saint-Siège et des patriarches de Jérusalem. Cette résistance explique les nombreux documents où les papes confirment les privilèges de l’archevêque de Nicosie, et défendent aux légats de prononcer contre celui-ci la sentence d’excommunication, sans qu’il en soit informé au préalable. Ainsi l’archevêque Eustorge porta plainte contre le cardinal Eudes de Chàteauroux qui s’était permisse blâmer sévèrement son administration. Documents nouveaux, p. 345.

Le patriarche de Jérusalem intervint souvent dans les affaires de l’Église cypriote. Il était appelé à réprimer les abus, à couronner les rois, à visiter les églises de Chypre. Le patriarche Guillaume II en 1267 accomplit ces deux dernières fonctions. P. L., t. CCI, col. 1050 ; Popov, Latinskaia Jerusalimskaia Patriarkliiia, Saint-Pétersbourg, 1903, t. il, p. 59-60. Quelques-uns poussèrent loin leurs prétentions. Raoul de Grandville (1291), exploitant la faiblesse ou la grande bonté d’âme de Jean d’Ancône, archevêque de Nicosie, exerça dans l’île des droits exorbitants, qui exigèrent à la fin l’intervention de Nicolas IV. Le pape lui reproche de moissonner dans le champ d’autrui, de mépriser la juridiction de l’archevêque, d’accomplir Les fonctions^ épiscopales dans le diocèse de ce dernier, de le dépouiller de ses prérogatives et de ses biens, et de lui extorquer de fortes sommes d’argent. Documents nouveaux, p. 319-351. Il l’engage à respecter les droits du siège de Nicosie. Dans ces luttes les archevêques se réclamaient de l’autocéphalie de leur Église, qu’ils avaient héritée des Grecs. En 1481, l’archevêque Victor Marcello écrivait à Sixte IV : Nec invenitur unqxam quod patriarchatus Eierosolymitani jurisdictio Cypri archiepiscopuni subditum habuit. Documents nouveaux, p. 506. Les patriarches de Jérusalem, lorsqu’ils évacuèrent définitivement la Terre-Sainte, et devinrent des simples titulaires, résidaient parfois à Chypre dans une maison contiguë au couvent de Saint-Dominique de Nicosie, à l’intérieur de la citadelle. Lusignan, Corona terza, p. 157. Leur ingérence diminua au fur et à mesure que le patriarcat latin de Jérusalem devint un titre simplement honorifique. Plusieurs de ces patriarches furent appelés au siège de Nicosie : le légal Pierre de Pleine-Chassaigne, qui gouverna le diocèse durant l’absence de Jean del Conte (1309-i : il." » i, Popov, t. ii, p. 64, le cardinal Élie de Nabinaux, p. 65, le cardinal Hugues de Lusignan, , , 66

Une autre source de conflits qui durèrent jusqu’il la fin de la domination latine, fut la question des revenus Bl il’s biens de l’Église. Le roi liiu de Lusignan avait distribué des Qefs, des biens ci (les franchises à tous ceux qui se rendaient dans l’ile avec l’intention de s’y établir. Il se forma ainsi un noyau de noblesse, qui gardait l’esprit et les principes de la féodalité françai i

d’où elle était sortie. Histoire de Chypre, t. i, p. 45. La hiérarchie latine, après la suppression des évêchés grecs et leur réduction à quatre, hérita des biens des évêchés supprimés et des monastères grecs. A ces ressources déjà considérables par elles-mêmes, s’ajoutaient les dîmes que les chevaliers de Chypre s’étaient obligés à payer. Mais les évêques latins n’étaient point satisfaits et ils réclamaient dans leur totalité les biens possédés par la noblesse, et ayant autrefois appartenu à l’Eglise grecque, même avant la création d’une hiérarchie latine. « Cette prétention, dit Mas-Latrie, était exagérée et inadmissible. » Histoire de Chypre, t. i, p. 205. Par la convention de Limassol de 1220, la noblesse s’obligea à payer régulièrement la dîme, mais ces promesses ne furent pas tenues, et il s’ensuivit des tiraillements fréquents entre les clercs et les laïques dans l’ile de Chypre. A plusieurs reprises les papes furent obligés de rappeler aux Lusignans et aux chevaliers cypriotes leurs engagemenls. Honorius III écrivit en 1224 et 1225 à la reine et à la noblesse, les engageant à ne point violer les conventions de 1220 et de 1222. Par une lettre du 4 août 1228, Grégoire IX se plaignit que les chevaliers, occasionem frivolam mendicantes, n’observaient pas les articles signés par eux : il revint à la charge dans une lettre adressée à Gérold, patriarche de Jérusalem, déclarant de nouveau que les raisons apportées contre les revendications de la hiérarchie latine sont frivoles ; en 1232, à la suite d’un arbitrage conclu par les archevêques de Césarée et de Nazareth des évêques de Chypre et dans le conflit de la noblesse cypriote, il répète que les chevaliers teneantur irrefragabiliter observare les conventions précédentes ; en 1237, le même pape Grégoire IX se plaint aussi à la reine et au roi de Chypre de leur négligence à payer exactement les dîmes, sans tenir compte des excommunications lancées à plusieurs reprises contre les coupables. Pressutti, Rcgesta Honorii papæ 111, n. 4998, t. ii, p. 219 ; n. 5361, p. 315 ; Potthast, n. 8250 ; Histoire de Chypre, t. iii, p. 631, 633-636, 641-642. Cependant ces exhortations du saint-siège restaient toujours sans effet, et les plaintes des évêques n’amenaient pas à résipiscence les récalcitrants. A la mort de Grégoire IX, l’archevêque Euslorge s’adressa à Innocent IV pour obtenir que justice fût faite. Il conjurait le souverain pontife d’écrire directement au roi, parce que les chevaliers ne reculaient pas devant les menaces d’excommunication. Histoire des archevêques, p. 225. Hugues de Fagiano agit avec plus de vigueur, mais toujours inutilement. Alexandre IV l’engagea à procéder même par voie d’excommunication contre ceux qui ne voulaient pas se soumettre au payement de la dîme, et il écrivit à la reine de Chypre, l’exhortant à respecler les droits de l’Église. Histoire des archevêques, p. 235. Les plaintes des évêques latins devinrent plus pressantes, lorsque, après la prise de Saint-Jean d’Acre par les Arabes (1291), le roi Henri II établit un impôt extraordinaire sur tous les habitants du royaume afin de pourvoir à la défense de l’île. Jean d’Aucune, malgré si.n caractère pacifique, qui parfois touchait à la faiblesse, se crut en devoir de prolester contre une mesure qui frappait les ecclésiastiques plus lourdement que les laïques, Histoire des archevêques, p. 249, et plus tard Boniface VIII ajoutait ses protestations à celles île l’archevêque de Nicosie. Raynaldi, an. 1299, n. 37, t. iv, p. 277. Jean del Conte, dans sa constitution du 17 juin 1321, menace d’excommunication les usurpateurs des biens de l’Église. Clément VI, sur les instances de Philippe [" de Chambarlhac, recommande au roi de Chypre (16 juillet 1345) d’obliger les chevaliers à paver exactement les dîmes, Histoire de Chypre, t. iii, p. 738-732. Dans la suite, la rigueur des évêques cypriotes se ralentit sur ce point, et la cause doit en être attribuée aux fréquentes vacances du