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CHYPRE (ÉGLISE DE]


Chàteauroux d’instruire le procès. L’ancien légat de Chypre était le plus à même de connaître et d’apprécier la valeur réelle des pièces du débat. Les commissaires de l’archevêque latin exposèrent leurs griefs. Ils citaient à l’appui de leurs récriminations le décret de Célestin III et la convention signée par le cardinal Pelage, touchant l’unité de direction suprême dans l’Église de Chypre. L’appel de Germain était contraire aux canons de l’Église et l’exercice de son autorité de métropolite un abus de pouvoir. Son élection était entachée d’un défaut radical, parce que les évêques qui l’avaient consacré se trouvaient alors sous le coup de l’excommunication. Le procès traînait en longueur. Les évêques grecs se plaignirent de cette lenteur volontaire, d’autant plus que la pauvreté de leurs églises ne leur permettait pas de faire face aux dépenses considérables que comportait leur séjour à Rome. Dès lors, ils supplièrent le pape de trancher lui-même le différend et de régler leur situation. Alexandre IV y consentit de bon gré et, le 3 juillet 1260, il promulgua, à Anagni, la fameuse bulle de la constitution de l’Église cypriote. Raynaldi, an. 1260, n. 36-39, t. iii, p. 66-67 ; Hackelt, p. 113-114. Il y statuait que les Grecs n’auraient plus dans toute l’ileque quatre évèchés, comprenant la même étendue et les mêmes limites que les évêchés latins. Les évêques grecs cependant seraient placés sous la juridiction suprême de l’archevêque latin. Pour mettre un terme aux inconvénients auxquels donnait lieu la cohabitation d’évêques grecs et latins dans la même ville, Alexandre IV fixait, pour les évêques grecs, des domiciles différents. Celui de Nicosie devait résider dans la vallée de Soli, à l’ouest de l’île ; celui de Pwphos à Arsinoé, aujourd’hui Arzosdans le Kilani ; celui de Limassol à Lefkara, au sommet du mont Mâchera ; celui de Famagouste à Riso-Carpassi, dans le promontoire oriental. Plus tard seulement les évêques grecs rentrèrent dans leurs villes, à l’exception de celui de Limassol, qui restai Lefkara. Le clergé grec de chaque diocèse conservait le droit de nommer ses évêques. La nomination, d’après la bulle, devait être approuvée par l’évêque latin du même diocèse et la consécration fut déférée à ses collègues réunis sous la présidence de l’archevêque latin, qui l’investissait du droit d’inspection et de gouvernement sur ses monastères, églises, clergé et fidèles. L’évêque grec devait jurer fidélité et obéissance à l’Église romaine. La déposition ou translation des évêques de leur diocèse appartenait.exclusivement au souverain pontife. Dans les procès ecclésiastiques entre Grecs, l’évêque grec était seul appelé à juger sans aucune intervention de l’évêque latin. Si l’un des plaideurs était Latin, l’instruction du procès appartenait de droit à l’évêque latin, sauf appel à l’archevêque de Nicosie et au Saint-Siège. Une fois par an, l’évêque grec, suivi de son clergé et de ses higoumènes, élait tenu de prendre part au synode convoqué par l’évêque latin. En tournée pastorale, l’évêque latin devait recevoir des Grecs les mêmes marques de déférence et les mêmes honneurs que les évêques latins étaient tenus de rendre à leur archevêque en semblable occurrence. On détermina les redevances pécuniaires auxquelles étaient tenus les évêques grecs à l’endroit de l’archevêque latin, lorsque celui-ci faisait la visite générale de l’île. On décida enfin que lesdimes, dans toute l’étendue de l’île, appartiendraient aux Latins, et que personne n’avait le droit de protester contre cette mesure, dispositions particulières furent prises à l’égard de Germain, qui jouissait d’une excellente réputation à la cour de Home. Le souverain pontife le confirma jusqu’à la mort dans sa charge de métropolitain. Il le nomma archevêque de Soli, le laissant libre d’opter entre celle ville ou Nicosie, où les Grecs avaient l’église de Saint-Barnabe. Germain prêta serment comme évêque de Soli. Ce serment ne le privait pas des prérogatives inhérentes à sa dignité ; il gardait le droit d’installer les

évêques de son rite, une fois que l’ordinaire latin s’était prononcé sur la validité de leur élection. Il lui appartenait d’inspecter les monastères et les églises des Grecs et d’exercer sa juridiction de métropolitain. Mansi, t. xxiir, col. 1037-1046 ; Raynaldi, an. 1260, n. 40-50, t. iii, p. 6668 ; Hackett, p. 122-123.

2° Depuis la constitution cypriote jusqu’à la fin de la domination latine. — Hugues de Fagiano n’acquiesça pas aux décisions de la cour romaine réglant l’organisation de l’Église de Chypre. Les égards témoignés à Germain lui parurent une atteinte portée à ses prérogatives et à la suprématie de la hiérarchie latine. Il démissionna de nouveau et se retira en Toscane, où il mourut en odeur de sainteté. Cependant, la constitution cypriote, loin de relever le prestige de l’Église grecque, n’avait fait que l’abaisser considérablement. « La nouvelle constitution empira l’état de l’Église grecque et lui ôla tout espoir de rester sur le pied de l’égalité avec l’Église latine. » Mas-Latrie, 1. 1, p. 383. Elle l’assujettit complètement, dit Philippes, p. 58, au clergé latin étranger. Les Grecs furent très mécontents, et commencèrent à tourner leurs regards vers Constantinople, retombée aux mains de leurs anciens maîtres. Les Paléologues songeaient à reconquérir l’île, et excitaient les indigènes à s’insurger contre les usurpateurs étrangers. Mais les Cypriotes ne répondirent pas à ces instigations. Les rois de Chypre, pour écarter tout prétexte de révolte, cherchaient à ménager les Grecs et s’abstenaient de faire appliquer rigoureusement les lois sanctionnées par Rome. Leur tolérance souleva parfois [le mécontentement des prélats latins, qui accusèrent le gouvernement de connivence coupable avec le schisme. Dans une de ses lettres à Hugues d’Antioche, Urbain IV se plaint de son peu de zèle à seconder efficacement les évêques latins. « Les Grecs n’observent pas les règles sanctionnées par la constitution d’Innocent IV. Ils méprisent ceux de leurs prêtres qui reconnaissent la suprématie romaine et la sainteté de l’Église catholique : ils s’éloignent de leurs églises et leur refusant les offrandes et les cens, et les privent de la sorte de tout moyen de subsistance. Ces prêtres malheureux restent à la charge de l’archevêque latin de Nicosie. » Mas-Latrie, t. I, p. 393. L’archevêque de Nicosie se rendit même auprès du pape à Orvieto pour lui exposer la condition de son Église, en hutte à la fois à l’hostilité haineuse des Grecs et à l’indifférence du pouvoir civil. La hiérarchie latine restait désarmée en face des Grecs, parce que ses édits et ses sentences n’étaient pas exécutés. Urbain IV insistait de nouveau auprès du roi de Chypre, se plaignant que l’archevêque ne fût plus rien dans sa métropole. Il n’était plus qu’un simple prêtre. Mas-Latrie, t. I, p. 394 ; t. iii, p. 655 ; Raynaldi, an. 1264, n. 66, t. iii, p. 153-154.

Forts de l’appui du gouvernement, les Grecs de Chypre défendirent avec plus d’ardeur les privilèges de leur Église. En 1313, à Nicosie, le légat du pape, Pierre de Pleine-Chassaigne, archevêque de Rodez, faillit être écharpé par la populace. Raynaldi, an. 1309, n. 33-34, t. iv, p. 479-480. Au mois d’octobre 1326, Jean XXII exhortait, mais en vain, Haimond, patriarche de Jérusalem, à extirper l’hérésie de L’Ile. Raynaldi, an. 1326, n. 28, t. v, p. 330-331. En 1359-1360, le carme français saint Pierre Thomas, légal du Saint-Siège en Orient pour y traiter l’union des Eglises avec Jean Paléologue, Raynaldi, an. 1359, n. 16-17, t. vii, p. 4446, se rendait à Chypre et convoquait les évêques grecs à l’église de Sainte-Sophie de Nicosie. Il fit fermer les portes de l’église et voulut les convertir, de gré ou de force, les chroniqueurs se contredisent sur ce point, à la foi catholique. Le peuple apprit, selon l’expression du chroniqueur grec Mâcheras, que le légal cherchai ! à métamorphoser les Grecs en Latins : il y eut une émeute. La foule entoura l’église, et mit le feu à la porte d’entrée.