Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.2.djvu/493

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHARTREUX

2296

France de la visite de la commission, ne put cependant pas préserver l’ordre de plusieurs dispositions, prises par le roi, mais contraires aux saints canons. Il adressa une supplique à Louis XV", le priant de confirmer de son autorité les statuts approuvés, en 1688, par Innocent XI. Le roi, « de l’avis de son conseil, » confirma et autorisa l’observance des statuts, mais avec ces restrictions : 1° Qu’il ne serait infligé aucune peine aux religieux qui auraient des causes légitimes de se pourvoir dans les tribunaux ordinaires ; 2° que les moniales ne pourraient faire profession qu’à dix-huit ans accomplis ; 3° que les statuts ne seraient envoyés dans les autres maisons qu’avec une copie des lettres patentes et l’arrêt du parlement ; 4° qu’on ne notifierait les statuts aux religieux qu’avec ledit arrêt.

Vers la même époque, un esprit schismatique se répandit parmi toutes les nations catholiques. Chacune voulait avoir son Église propre, ses ordres religieux particuliers, gouvernés par des supérieurs du même pays, absolument indépendants de toute autorité étrangère. Après bien des tracasseries et des débats, les deux provinces d’Espagne furent érigées en congrégation autonome par Pie VI (1784). La cour de Naples publia, le 1 er septembre 1788, un décret qui réunissait en un seul corps les chartreuses napolitaines, leur défendant toute dépendance et toute communication avec le général et le chapitre de l’ordre. Ce décret n’avait aucune approbation du saint-siège, parce qu’à cette époque, les relations diplomatiques entre Rome et Naples étaient interrompues. Il n’y a aucune preuve que, dans la suite, le pape l’ait explicitement confirmé. La serénissime république de Venise et l’empereur Joseph II supprimèrent les chartreuses de leurs États. Ailleurs, on s’adressa au pape et, sous le prétexte d’avoir des fonds pour établir des collèges et propager l’instruction publique, on obtint la fermeture des maisons cartusiennes et l’aliénation de leurs biens. En Toscane, le grand-duc supprima, en 1783, la chartreuse de Maggiani, et en 1788, celle de Pontiniani. Les autres chartreuses de ce petit État furent soumises aux lois vexatoires dites léopoldines. Au début de la Révolution, le chapitre général n’avait plus d’autorité que sur les 68 maisons de France, qui comptaient 1144 religieux, sur les deux chartreuses du Portugal, sur celles de la Savoie et du Piémont, ainsi que celles des divers cantons de la Suisse et des États pontificaux. Les décrets de l’Assemblée nationale détruisirent les monastères de France, et les armées françaises parcourant l’Europe achevèrent la ruine presque totale de l’ordre. Au jour de la dispersion, on comptait à la Grande-Chartreuse (et dans ses succursales de Currière et Chalais) 31 Pères.

Pendant la tourmente révolutionnaire beaucoup de chartreux furent emprisonnés pour la foi, plusieurs montèrent à l’échafaud, ainsi que la Mère prieure des moniales de Gosnay, Françoise-Marie Briois, décapitée à Arras le 27 juin 1794 ; beaucoup d’autres périrent de souffrances et de misère dans les prisons ou sur les pontons ; quelques autres furent déportés. Dans la Grande vie es saints de Collin de Plancy et de L’abbé Daras, on a inséré, les noms de 29 chartreux au martyrologe de la Révolution française. Mais il y a erreur au sujet de dom Pierre Capelle, chartreux de Vauctaire, condamné a morl par le tribunal de Périgueux. Ce religieux " ne fut pas exécuté, et rentra à la Crandc-Chartreuse, où il était sacristain en 1822. M. l’abbé Lefebvre a reproduit cette erreur. Sa liste des chartreux martyrs et confesseurs de la foi à cette époque contient 90 noms parmi lesquels figurent deux frères et la vin. Mère Briois.

Durant les premières années du XIXe siècle, Napoléon et les rois créés par lui supprimèrent presque toutes les maisons de l’ordre. La Restauration favorisa les chartreux. Louis XVIII, sans restituer à l’ordre la propriété

du monastère de Chartreuse, permit néanmoins au R. P. vicaire général d’y demeurer avec sa communauté (27 avril 1816). La rentrée des solitaires eut lieu le 8 juillet aux acclamations des populations voisines. Dans la foule enthousiaste, il y avait un enfant de Saint-Pierre d’Entremont, nommé Châtel, qui, 87 ans après, le 29 avril 1903, assista à l’expulsion des religieux de la Grande-Chartreuse. A la fin de l’année 1816, la nouvelle communauté de Chartreuse comptait seize religieux de chœur, dont plusieurs avaient confessé leur foi devant les tribunaux, dans les prisons et sur les pontons. Bientôt, la Grande-Chartreuse, ayant trouvé des ressources inespérées, put admettre gratuitement des postulants et, après les avoir formés, les envoya successivement dans les chartreuses qu’elle rachetait à mesure que s’accroissait le nombre des sujets. Elle fournit aux maisons nouvelles les supérieurs, en même temps que l’argent nécessaire pour leur constitution régulière. Il en résulta l’unité d’esprit qui règne dans les maisons de diverses nations. Les concordats conclus entre le saint-siège et les princes italiens permirent le rétablissement de deux maisons dans le royaume des Dcux-Siciles avec la subordination au chapitre général de Chartreuse, ainsi que de deux autres en Toscane. Pie VII rétablit la chartreuse de Trisulti, et lui confia l’administration de celle de Rome. Sous Léon XII, Trisulti fut aussi chargé de l’ancienne abbaye de Fossanova, où mourut saint Thomas d’Aquin, et pendant quelques années il y eut une petite communauté. Après 1830, Charles-Albert rappela les chartreux à Collegno, toléra l’établissement de quelques religieux dans l’ancien couvent bénédictin de Saint-Julien d’Albaro, près de Gènes (1841-1842), et autorisa le rachat de la chartreuse du Reposoir, dans la Savoie (1844), par la Grande-Chartreuse. En 1843, l’empereur d’Autriche confia à l’ordre la célèbre chartreuse de Pavie. Tandis que l’ordre progressait en France et en Italie, la Révolution triomphante supprimait les maisons du Portugal (1835) qui avaient toujours été soumises au R. P. général. En la même année le gouvernement espagnol dispersait la congrégation cartusienne et s’emparait de ses biens. Les maisons qui existaient encore en Suisse furent aussi supprimées (1847). En 1854, le Piémont ferma la chartreuse de Collegno (Turin) et celle du Reposoir, en Savoie. Les succès de la maison de Savoie en Italie aboutirent à la loi de suppression de tous les couvents du nouveau royaume (1866), loi qui, en 1873, fut étendue aux maisons religieuses des États pontificaux. Le Kulturkampf allemand ferma, en 1873, la chartreuse de llaïn, près de Dùsseldorf, dans la Prusse rhénane. Cette maison n’avait que quatre années d’existence. Cependant, la Grande-Chartreuse se dilatait en France et envoyait des colonies à Mougères, ancien couvent de dominicains, près de Caux (Hérault), en 1825. Dix ans plus tard, elle rachetait les chartreuses de Rosserville, près de Nancy, et de Valbonne, dans le Gard. En 1843, on put entreprendre la restauration de la chartreuse de Monlrieux (Var) ; puis on acquit Portes (Ain), en 1855, et Vauctaire, en 1858. Les moniales chartreuses possédaient à cette époque les maisons de Beauregard (Isère) et de la Bastide Saint-Pierre (Tarn-et-Garonne). Sous le généralat de dom Charles-Marie Saisson (1863-1877), l’ordre racheta les anciennes maisons du Reposoir (Haute-Savoie), de Sélignac (Ain), de Notre-Dame-des-Prés (Pas-de-Calais el de Glandier (Corrèze). Les moniales eurent une autre maison à Notre-l)ame-du-(’iard, dans la Somme, et l’on commença à établir des monastères à l’étranger. Ainsi, aux frais de la Grande-Chartreuse, on racheta la’alsainte (Suisse) et Montealegre (Espagne) et on lit l’acquisition de Parkminster (Angleterre) et de Bain (Allemagne). Le généra] dom Anselme-Marie Bruniaux eut la joie de recevoir la chartreuse de Miraflorès, près de Burgos, offerte à l’ordre par l’archevêque de cette ville