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CALVIN

commis contre Dieu ou contre le prochain pour les dénoncer à l’autorité ; les peines prononcées par le Consistoire étaient la réprimande, des amendes, dont une partie servait à payer les membres du Consistoire, la censure, en certains cas le renvoi devant le Conseil qui pouvait condamner à un emprisonnement d’une courte durée. Les membres du Consistoire étaient obligés par serment de dénoncer les faits venus à leur connaissance, de sorte qu’ils cumulaient souvent le rôle de délateurs et celui de juges.

Ce n’était pas du reste une sinécure que d’être membre de ce tribunal : en une seule année, plus de deux cents affaires intentées pour blasphèmes, calomnies, paroles libertines, attentats aux mœurs, outrages à Calvin, offenses aux ministres, propos contre les exilés français, furent portées devant le Conseil à l’instigation du Consistoire. On juge aisément ce qu’avec de tels procédés purent devenir dans une petite ville — et Genève alors n’était qu’une petite ville de vingt mille âmes — la liberté et la sécurité de la vie privée.

La publication des ordonnances de 1541 et la formation du Consistoire furent bientôt suivies d’un code de lois, formé en partie des anciens usages de la cité et d’un grand nombre d’édits nouveaux, pour la rédaction desquels Calvin trouva un précieux concours dans Colladon, jurisconsulte du Berry, venu à Genève pour embrasser la Réforme, qui se montra l’impitoyable interprète des pensées de Calvin. C’est de cette législation de 1543 qu’un des historiens réformés les plus franchement admirateurs de la personne et de l’œuvre de Calvin. Paul Henry, ne craint pas de dire que « ces lois n’ont pas été écrites seulement avec du sang comme les lois de Dracon, mais avec un fer rouge ». La peine de mort y est prononcée contre l’idolâtre, contre le blasphémateur, contre le fils qui frappe ou maudit son père, contre l’adultère, contre l’hérétique. La torture occupe une grande place dans la procédure.

C’est cette législation que tant d’auteurs protestants, et entre autres Bungener dans sa Vie de Calvin, p. 253, appellent « l’instrument de la régénération de Genève ». Encore une fois n’y contredisons pas — tout en ajoutant qu’elle a eu pour résultat, et c’était fatal, un singulier développement de l’hypocrisie — mais alors pourquoi les mêmes écrivains s’indignent-ils quand des États catholiques usèrent de moyens analogues pour découvrir et réprimer l’hérésie protestante ? En fin de compte, le régime de Calvin n’est qu’un régime inquisitorial permanent et perfectionné.

Il s’agissait maintenant de faire fonctionner l’instrument, comme dit encore M. Bungener, ce qui exigeait beaucoup de courage et de persévérance. Calvin ne manqua ni de l’un ni de l’autre.

Les premiers temps qui suivirent son retour furent relativement paisibles ; mais le parti des libertins, comme les appelait le réformateur, ne devait pas tarder à se réveiller et à s’agiter, fort du mécontentement qu’excitait chez les vieux Genevois l’inquisition du Consistoire :

« Si je voulais, dit Calvin, dans son autobiographie, raconter tous les combats que j’ai soutenus, le récit en serait

bien long. Mais quelle douce consolation pour moi de voir que David m’a montré le chemin ! C’est mon guide et mon modèle. Les Philistins avaient fait à ce saint roi une guerre cruelle ; mais la méchanceté de ses ennemi domestiques avait plus cruellement déchiré son cœur. Et moi aussi, j’ai été assailli de toutes parts, et sans relâche, par des luttes intestines et extérieures. Satan avait couru le projet de renverser cette Église ; je fus obligé de le combattre corps à corps et jusqu’au sang, moi faible, inaguerri et timide. Pendant cinq ans, je fus sur la brèche pour le salut de la discipline et des mœurs. Les méchants étaient forts et puissants, et ils avaient réussi à corrompre et à séduire une partie du peuple. À ces êtres pervers qu’importait la saine doctrine ? Ils n’aspiraient qu’à la domination ; ils ne travaillaient qu’à la conquête d’une liberté factieuse. Les uns leur servaient d’auxiliaires, mus par le besoin et par la faim ; les autres poussés par la honteuse passion d’un intérêt terrestre : tous marchaient en aveugles aux flots de leurs caprices et décidés à se jeter avec nous dans l’abîme, plutôt que de courber la tête sous le joug de la discipline. Je crois que toutes les armes forgées dans le royaume de Satan ont été par eux essayées et mises en usage, projets infâmes qui devaient tourner à la ruine de nos ennemis. »

Pour justifier ses inexorables rigueurs contre les libertins, Calvin les a souvent accusés de toutes sortes d’hérésies. Cela est vrai pour un certain nombre, encore que la plupart n’aient jamais formulé d’une manière bien précise leurs doctrines. Mais beaucoup étaient très sincèrement les adversaires du régime établi par Calvin, de l’influence de plus en plus grande des réfugiés étrangers, de ces étrangers qui, à peine échappés aux recherches et aux poursuites, se faisaient les pourvoyeurs les plus convaincus du Consistoire inquisitorial et les plus ardents soutiens de Calvin contre les vrais Genevois.

La lutte éclata en 1546 à l’occasion d’une femme, Benoîte Ameaux, mandée en consistoire « à cause de plusieurs propos énormes », qui sentaient l’anabaptisme, puis de la grande amende honorable infligée à Pierre Ameaux, qui s’était exprimé en termes un peu vifs sur Calvin. Celui-ci, dans la circonstance, se montra impitoyable et fit plier le Conseil devant ses exigences. Quelques libertins, peu de jours après, ayant troublé un sermon de Calvin, une potence fut dressée sur la place Saint-Gervais. Puis vint le tour de deux des familles les plus anciennes de la bourgeoisie genevoise, humiliées et condamnées dans la personne de François Favre, d’Ami Perrin et de sa femme laquelle fut mise en prison pour avoir donné un bal à l’occasion d’une noce. La même année 1547, le sang coule. Jacques Gruet, ami, paraît-il, d’Étienne Dolet, fut mis à mort comme impie et traître, après avoir été longtemps et cruellement torturé ; l’occasion avait été un billet injurieux contre Calvin trouvé dans la chaire de Saint-Pierre. Deux mois auparavant, le 16 mai 1547, Calvin avait obtenu du Conseil la confirmation et la promulgation définitive des ordonnances ecclésiastiques. En 1549, Raoul Monnet fut condamné à mort pour avoir travesti dans d’ignobles gravures certaines scènes de la Bible. En 1551, le médecin Jérôme Bolsec, après un procès qui fit grand bruit et un long séjour en prison, fut banni pour avoir soutenu que la doctrine de la prédestination, telle que l’enseignait Calvin, était contraire à l’Écriture. Redevenu catholique, Bolsec devait se venger de Calvin par une biographie haineuse et, sur certains points, calomnieuse. En 1553 enfin, Michel Servet fut arrêté, jugé et brûlé. L’importance du personnage et l’originalité de son système, les circonstances qui entourèrent sa condamnation, la question du droit de mettre à mort l’hérétique posée à son occasion devant l’Europe réformée, tout contribua à donner à l’affaire de Servet un singulier retentissement. Voir Servet. On sait quel acharnement Calvin déploya contre Servet ; dés 1546, il avait déclaré que, si Servet venait à Genève, il ne souffrirait pas qu’il en sortit vivant ; il le dénonça et le fit arrêter en France (avril 1553) par l’inquisiteur Mathieu Ory et le cardinal de Tournon ; puis, Servet s’étant échappé et étant venu à Genève, il le fit appréhender ; l’accusateur (qui devait se constituer prisonnier en même temps que l’accusé) fut un secrétaire de Calvin, Nicolas de La Fontaine ; l’avoué de l’accusateur fut son ami intime, le légiste Colladon : Calvin lui-même conduisit tout le procès ; les Églises suisses ayant été consultées, il leur écrivit pour les exciter ; enfin, après avoir obtenu la condamnation et l’exécution de Servet, il essaya de déshonorer sa mort. L’impression fut fâcheuse, sinon sur les théologiens qui approuvèrent Calvin, du moins chez un certain nombre de laïques protestants. C’est