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CALVIN

honteux ? M. Abel Lefranc croit pouvoir l’affirmer. La dissertation que M. Lefranc a consacrée à cette fameuse accusation nous paraît décisive. En tant qu’accusation précise, elle ne repose que sur l’affirmation justement suspecte du médecin Bolsec dans sa Vie de Calvin. Nous croyons qu’elle doit être absolument rejetée. Au surplus, on ne s’expliquerait pas l’autorité morale qu’a eue Calvin si des dires aussi infamants avaient eu quelque fondement.

Les revirements politiques qui marquèrent l’année 1534, et les démarches autorisées par François Ier auprès de Bucer et de Mélanchthon, permirent-ils à Calvin de se rendre à Paris dans l’été ou au commencement de l’automne de 1534 ? C’est probable, en tout cas il ne fit qu’y passer.

À Poitiers, où nous le rencontrons ensuite, Calvin, sous le pseudonyme de Charles d’Espeville, paraît avoir fait une propagande assez active, notamment à l’abbaye de Trois-Moutiers ; plusieurs des nouveaux adeptes de Calvin furent envoyés, comme missionnaires, dans le Poitou, l’Angoumois, la Saintonge, la Guienne et le Languedoc. À Orléans, Calvin écrivit la première préface de sa Psychopannychia (1534), ouvrage exclusivement théologique, en latin, et qui ne devait paraître qu’en 1542. La fameuse affaire des placards affichés contre la messe, dans la nuit du 18 octobre, détermina la colère du roi contre les novateurs, alluma les bûchers et entraîna la fuite des réformés les plus en vue. Calvin ne se sentit plus en sûreté en France ; accompagné de du Tillet, il prit le chemin de l’exil.

L’asile le plus naturel, surtout pour qui voulait écrire, c’était une ville des bords du Rhin. Calvin se rendit à Bâle, en passant par la Lorraine et en s’arrêtant à Strasbourg. Dans cette dernière ville, il étudia l’organisation de l’Église réformée et s’entretint avec Bucer qui vraisemblablement le mit au courant des projets d’union agités avec François Ier. Peut-être fût-ce ce projet mieux connu qui détermina Calvin à hâter la publication de son livre. Caché sous le nom de Martianus Lucanius, fuyant le monde, il composa et acheva l’œuvre qu’il avait commencée, l’Institution chrétienne, qu’il écrivit d’abord en latin ; le 23 août 1535, l’Épitre dédicatoire à François Ier était terminée et faisait de ce jeune homme de 26 ans, son auteur, le chef de la Réforme française.

L’Institution chrétienne a été, on peut le dire, l’œuvre de toute la vie de Calvin ; il n’a pas cessé de la retravailler. La 1re édition, celle de mars 1536, ne comptait que six chapitres, et celle de 1559, rédaction définitive et dernière, en compte quatre-vingts, divisés en quatre livres. La 1re édition française fut faite sur l’édition latine de 1539 et publiée en 1541 à Strasbourg ; la dernière que Calvin ait revue est celle de 1560. On en trouvera l’analyse à l’article Calvinisme. L’Épitre dédicatoire nous révèle l’intention de l’auteur ; il veut réfuter les reproches adressés à ses coreligionnaires, montrer qu’ils sont les vrais interprètes et possesseurs de la doctrine de Jésus-Christ, faire appel en leur faveur à la conscience de François Ier et l’inviter à prendre en main la défense de la vérité.

Ce travail achevé, Calvin alla à Ferrare, chez la fille de Louis XII, l’émule plus hardie de Marguerite de Navarre, cette duchesse Renée avec laquelle il devait entretenir désormais une correspondance spirituelle. Malgré l’autorité de Muratori, qui l’affirme sur un simple ouï-dire, il ne semble pas que Calvin ait eu maille à partir avec l’Inquisition, et c’est plutôt par la volonté du duc de Ferrare qu’il dut quitter la cour.

Au printemps de 1536, sans doute à la faveur de l’édit de Lyon, Calvin retourna en France, y prit avec lui son frère Antoine, sa sœur Marie, quelques amis. régla ses affaires, et résolut de s’établir à Strasbourg ou à Bâle. Les dangers de la route de Lorraine, au cours de la guerre entre Charles-Quint et François Ier, le déterminèrent à passer par Genève ; dans les derniers jours de juillet 1536, il entrait dans cette ville sur les destinées de laquelle il allait exercer, sans s’y être attendu, une si prodigieuse influence.

III. Premier séjour de Calvin a Genève, 1536-1538. — Genève ! Calvin ! ces deux noms sont si étroitement liés l’un à l’autre qu’il semble que la cité libre et protestante, dont le rôle a été si considérable en Europe depuis le xvie siècle, soit tout entière l’œuvre de Calvin. Et cependant, Genève était libre avant Calvin ; Genève avait embrassé la Réforme avant Calvin ; ce n’est pas le protestantisme qui a donné la liberté a Genève ; pas plus qu’en nul autre lieu, la Réforme ne s’est établie à Genève pour des causes purement, ni même surtout religieuses ; là comme partout, les circonstances politiques ont tenu une place principale ; le désir de secouer le joug du duc de Savoie, puis celui de son prince-évêque, l’alliance, puis la violente intervention des Bernois, ont amené peu à peu les Genevois à accepter la réforme religieuse que Guillaume Farel leur prêcha clandestinement dès 1532, publiquement en 1534. On ne peut nier d’ailleurs que le désordre et la démoralisation de Genève — y compris son clergé — dans la première partie du xvie siècle, n’aient fait sentir vivement le besoin d’une réforme. Le 29 novembre 1535, les conseils de Genève avaient décrété l’abolition de la messe et, le 21 mai 1536, les citoyens réunis en conseil généra) avaient ratifié ce vote et déclaré vouloir vivre sous la loi évangélique : « Tout était en apparence consommé dans Genève, dit Mignet, dans son célèbre mémoire sur l’Établissement de la Réforme à Genève, lorsque parut sur ce théâtre, où venaient de s’accomplir plusieurs révolutions, un acteur qui devait y en opérer une nouvelle, et s’illustrer lui-même en rendant Genève la capitale d’une grande opinion. Cet acteur fut Calvin. »

Calvin a raconté lui-même, dans sa Préface au commentaire des Psaumes, cette scène solennelle, récemment contestée, mais à tort, qui se passa dans l’hôtellerie de Genève où il s’était arrêté pour une nuit avant de poursuivre rapidement sa course jusqu’à Bâle. « Peu de temps auparavant, dit-il, par les soins de l’excellent Farel et de Pierre Viret, le papisme avait été vaincu ; mais la ville était encore en désordre et en proie à de méchantes et funestes factions. » Farel, averti par du Tillet, accourt trouver Calvin et le supplie de rester à Genève pour l’aider ; statim ad me retinendum obnixe nervos omnes intendit. Et, comme Calvin résiste, Farel appelle sur sa tête la malédiction divine : Ubi se vidit rogando nihil proficere, usque ad exsecrationem descendit ut Deus otio meo malediceret, si me a ferendis subsidiis in tanta necessitate subducerem.

Calvin fut vaincu, régla ses affaires à Bâle, et, vers la fin d’août, commença d’exercer les fonctions de prédicateur et professeur de théologie, en donnant dans la cathédrale de Saint-Pierre des leçons sur l’Écriture.

Il était à peine entré en fonctions que commençaient les luttes qui devaient, à travers diverses vicissitudes, durer plus de vingt ans à Genève, avant que l’autorité de Calvin et son système eussent enfin triomphé de tous les obstacles. La cause de ces luttes, Calvin l’indique en quelques mots : « Nous ne pensons pas que nos fonctions soient renfermées dans des limites si étroites que, une fois le sermon prêché, noire tâche soit finie et que nous n’ayons plus qu’à nous reposer. » Opera, t. v, p. 319. Ce qu’il veut, c’est une réforme complète de Genève, reforme qui atteindra les institutions ecclésiastiques et les institutions politiques, la doctrine religieuse et les mœurs privées ; au fond, ce qu’il tend à établir, c’est un régime théocratique ; il lui faudra longtemps pour le réaliser, mais enfin il le réalisera, ou à peu près, dans les neuf dernières années de sa vie, de 1555 à 1561. Ou s’est souvent élevé, non seu-