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CALVIN

le célèbre Pierre de l’Esloile ? Une maladie le rappela quelque temps à Noyon, où précisément les opinions nouvelles commençaient à agiter les esprits et à compter des partisans. A Orléans, Calvin fit la connaissance du professeur luthérien Melchior Wolmar qu’il devait retrouver peu après à Bourges, où leur amitié se forma. Licencié, Calvin passa d’Orléans à Bourges, où enseignait l’émule de Pierre de l’Estoile, Alciat, de Milan, le réformateur de la science du droit qu’il vivifiait par l’histoire et la philologie. A Bourges, Calvin trouvait un centre luthérien : des professeurs de l’université, entre autres Wolma. (chez qui il rencontrait Théodore de Bèze enfant), et des docteurs en théologie, comme Jean Chaponneau, de l’abbaye de Saint-Ambroise, et le bénédictin Jean Michel. Les grandes scènes qui se passaient alors en Allemagne (diète de Spire de 1529) intéressaient au plus haut point maîtres et étudiants. Wolmar, qui perfectionna Calvin dans l’étude des lettres, paraît avoir été son principal initiateur religieux. Au témoignage de Th. de Bèze, Calvin aurait même déjà exercé une sorte d’apostolat, notamment chez le seigneur de Lignière. Cependant, il ne se croyait pas encore et n’était pas de fait détaché de l’Église catholique. En 1531, au moment où son père meurt excommunié, par suite de ses démêlés avec le chapitre de Noyon, sa correspondance ne trahit aucun trouble de conscience ; il abandonne la jurisprudence ; on songe pour lui à une dignité ecclésiastique ; mais il préfère revenir à Paris prendre part au mouvement humaniste, suivre les cours de Danès et de Vatable, et publier lui-même, en 1532, un commentaire du De clementia de Sénèque, qui ne dépasse guère la portée d’un bon exercice de rhétorique.

Autant qu’on en peut juger, c’est de 1531 à 1533 que se place ce que les historiens protestants appellent la conversion de Calvin, conversion à ses propres idées, dit spirituellement M. Brunetière. Elle ne se fit pas sans combat, ni déchirement intérieur, s’il faut en croire la fameuse lettre de Calvin à Sadolet (1er  septembre 1539). Opera, t. v, p. 385. Malgré cette lettre, qui est un manifeste destiné au public, les motifs du changement de Calvin sont encore mal connus ; il semble, toujours d’après le même document, que les considérations d’ordre intellectuel aient été les premières à agir sur lui. Il s’élève avec force contre la scolastique, puis il prend à partie toute la tradition ; tout l’enseignement et toute la discipline de l’Église lui semblent corrompus ; Dieu lui parle et lui donne une mission qu’il compare lui-même à celle des prophètes en face du sacerdoce régulier d’Israël ; il est chargé de ramener l’Église à sa pureté primitive. Ce n’est pas le spectacle des mœurs du clergé qui l’a poussé à abandonner l’Église catholique ; sans doute il en parle avec une certaine véhémence, mais incidemment et sans paraître y attacher une importance très grande ; le respect de l’Église l’a même arrêté un certain temps : Una præsertim res animum ab illis meum avertebat : Ecclesiæ reverentia. Il n’a cédé que quand il a été convaincu que l’idée de la véritable Église lui avait été révélée et il a tout sacrifié à l’appel de Jésus-Christ. Voilà ce qu’il affirme dans sa lettre à Sadolet ; mais, dans la Préface au commentaire des Psaumes, il dit que sa conversion fut subite.

Bans le courant de 1532, pour une cause que l’on ne peut préciser, Calvin se décida à aller de nouveau à Orléans et y fut procureur de la « nation picarde ». Cette période de sa vie est obscure. Au mois d’août 1533, nous le trouvons à Noyon, en septembre, à Paris, chez son compatriote Étienne de La Forge, riche marchand, qui recevait alors les réformés et devait en 1535 monter sur le bûcher ; à la fin d’octobre, de nouveau à Paris, au collège Fortet.

A ce moment, les novateurs, enhardis par la protection de Marguerite de Valois et par la politique que suivait François Ier depuis deux ans, croyaient pouvoir affirmer leur doctrine en plein Paris. Ce fut Calvin qui, par l’intermédiaire du recteur Cop, s’en chargea. Il écrivit le discours que, le jour de la Toussaint de 1533, Cop prononça (d’ailleurs après l’avoir modifié) dans l’église des Mathurins, en présence du corps universitaire. Vers la fin, après diverses attaques, se trouvait le passage décisif : « Hérétiques, séducteurs, imposteurs maudits, c’est ainsi que le monde et les méchants ont l’habitude d’appeler ceux qui purement et sincèrement s’efforcent d’insinuer l’Évangile dans l’âme des fidèles, etc. » Corpus reformatorum, Correspondance de Calvin, n. 19 bis.

Quoique le discours fût somme toute modéré, le scandale fut immense. Cop s’enfuit et se réfugia à Bâle. Calvin de son côté n’attendit pas la venue des gens de justice. Il prit, sous un déguisement, le chemin de Noyon, disant, au témoignage de Desmay, à un chanoine qu’il rencontra : « Puisque je suis engagé, je poursuivray tout outre. Toutefois, si j’avois à recommencer, je ne m’y engagerois jamais. »

Cet événement marque la fin de la jeunesse de Calvin ; il était dans sa 25e année ; admirablement muni de tout ce qui pouvait faire de lui un chef d’école redoutable ; il savait le latin, le grec et passablement l’hébreu ; il avait beaucoup lu ; il était versé dans le droit et la théologie et ces deux études avaient développé en lui la puissance dialectique ; sa parole était vigoureuse ; il avait grande confiance en son esprit et était persuadé que nul ne pouvait avoir raison contre lui. Sa jeunesse avait été celle d’un étudiant laborieux, intelligent, énergique, mais sans passion, sans héroïsme, sans flamme ; il n’avait le tempérament ni d’un apôtre, ni surtout d’un martyr ; quant à ses mœurs, elles paraissent avoir été régulières ; l’acte honteux qu’on lui a reproché appartiendrait aux mois qui ont suivi son départ de Paris. Après cette fuite, allait commencer pour Calvin une période de pérégrinations qui est une des moins claires de son existence.

II. Vie, voyages et œuvres de Calvin de 1533 à 1536. — Il est très difficile — et il n’est pas nécessaire ici — de chercher à établir tout à fait exactement l’ordre chronologique des voyages de Calvin durant ces trois années. Théodore de Bèze nous assure qu’il revint à Paris quelque temps après en être sorti et qu’il fut même reçu très honorablement par Marguerite de Valois. Puis il céda aux invitations réitérées de son ami Louis du Tillet, curé de Claix et chanoine d’Angoulême, et se mit en route pour la Saintonge. C’est là qu’il commença à s’occuper de la Psychopannychia contre l’erreur de ceux qui pensent que les âmes dorment de la mort au jugement dernier, et aussi des travaux préparatoires du plus important de ses ouvrages : l’Institution chrétienne : « Voilà, dit l’historien catholique contemporain de Calvin, Florimond de Ræmond, de qui M. Doumergue admet le témoignage (l. VII, c. ix), voilà la forge où ce nouveau Vulcain a préparé sur l’enclume les foudres qu’il a lancées dès lors de toutes parts. » Encouragé et protégé par du Tillet qui entendait, quant à lui, rester dans l’Église, Calvin faisait en outre une propagande discrète et prudente. D’Angoulême (en avril 1534), il alla à Nérac, où la reine Marguerite se trouvait avec Lefèvre d’Étaples, qui, dit Théodore de Bèze, salua en lui le futur restaurateur du royaume de Dieu en France.

En mars 1534, Calvin se rendit à Noyon, où l’on avait commencé à lutter sérieusement contre l’hérésie, et résigna ses bénéfices. Il provoqua dans la cathédrale, la veille de la Trinité, une manifestation tumultueuse qui lui valut d’être incarcéré dans la prison du chapitre. Élargi le 3 juin, il fut réincarcéré le 5, et pendant un temps qui ne nous est pas connu ; on suit qu’il était encore à Noyon en septembre.

Cet emprisonnement serait-il l’origine de la tradition relative à la condamnation de Calvin pour un crime