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CASUISTIQUE

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proposition 62 e. Rien do plus juste d’ailleurs, car le droit international doit nécessairement relever de la science morale, qu’il s’agisse de sa partie de droit naturel qui rentre dans la morale sociale, ou qu’il s’agisse des arrangements ou pactes internationaux, relevant de la morale naturelle, comme tout contrat librement consenti. Pourquoi la casuistique scientifique délaisserait-elle cette partie du domaine moral, surtout à notre époque où toutes ces questions sont plus spécialement étudiées, le plus souvent dans des sciences, sinon indépendantes du moins presque entièrement séparées de toute idée religieuse ? Dans la question du patriotisme et du militarisme et dans celle de l’arbitrage pacifique, dans les questions de légitimité de la guerre et des procédés à suivre pour qu’elle respecte mieux les droits de chacun, dans les questions de droit de propriété pour les Etats ou d’obligation des conventions internationales, la casuistique, ayant mission d’appliquer intégralement la théologie, reine de toutes les sciences morales, a-t-elle le droit de s’abstenir entièrement ? A-t-elle le droit d’arrêter ses investigations à ce qui est l’objet le plus habituel des confessions individuelles ? Ne doit-elle point compter, parmi ses stricts devoirs, l’éducation privée et publique du sens moral dans ces matières si complexes, desquelles dépendent principalement les bonnes relations entre les différents États ? Ici encore l’on agira sagement, en reprenant d’anciennes traditions théologiques, depuis trop délaissées, et en élargissant l’horizon de la casuistique au de la des préoccupations immédiates de l’utilité la plus pressante pour le ministère du confessionnal. — 2. La casuistique, tout en étendant ses investigations à tout le domaine moral, doit constamment rester dans son rôle de science d’application, sans jamais usurper celui des sciences théologiques dont elle n’est que la tributaire. Qu’elle soit souverainement utile et même nécessaire pour former à la sage et prudente application des conclusions de la théologie morale, rien de plus vrai. Mais elle ne doit point, surtout dans l’enseignement de la théologie morale, prétendre à la domination à peu près exclusive, au détriment de la vraie science théologique qui se trouverait ainsi évincée, au détriment même de la bonne pratique du ministère, désormais privée de sa meilleure direction. L’expérience a montré que les funestes effets d’un tel exclusivisme ne seraient que trop réels.

4° La casuistique scientifique doit toujours se mettre en garde contre le dangereux préjugé d’une antinomie irréconciliable entre la spéculation de la science morale et son application immédiatement pratique. Qu’une sage application exige, avec la connaissance des conclusions scientifiques, ces qualités que saint Thomas nous indique comme le complément nécessaire de la vertu de prudence, Suni. theol., ll a IIe, q. xlviii, l’expérience le prouve surabondamment. Mais que l’étude scientifique des conclusions de la théologie morale soit inutile pour la pratique ou que la pratique puisse se réaliser indé-I " ml, miment de la théorie, c’est une assertion des plus nées et des plus pernicieuses. S’il était démontré que quelques casuistes se sont laissé influencer par ce préjugé, leur méthode devrait èlre blâmée, sans que la faille puisse retomber sur la casuistique elle-même.

ni. Réponse aux principales objections dirigées

RE LA c.s[ l-in.il I. SCIENTI1 tQl E AUTORISEE OU PER hise n viis l’Eglise. — Hâtons-nous de dire que nous ne voulons justifier ici que cette casuistique légitime qui. suivant les principes rappelés précédemment, peut être considérée comme autorisée nu du moins comme permis.’dans I I glise. Quant aux excès laxistes commis par certains casuistes, nous les réprouvons au~si vigoureusement que peuvent le faire les plus se’critiques, ei nous les réprouvons avec plus de raison, parc nous appuyons.sur une base plus ferme.

i" objection. — Le devoir moral est naturellement dicté par la conscience. Il n’est nullement nécessaire que l’on épilogue si longuement sur l’existence ou l’étendue des obligations morales. Ces inutiles discussions ne servent qu’à obscurcir ce qui était de soi très évident. — Réponse. — Les principes généraux d’où se déduisent nos devoirs pratiques sont habituellement très évidents. Mais leur application, nécessairement dépendante de beaucoup d’éléments particuliers, objectifs et subjectifs, peut être très divergente, suivant la prépondérance que l’on doit, en telle occurrence, accorder à tel principe plutôt qu’à tel autre. D’ailleurs, pour que la conscience puisse toujours promptement et sûrement se diriger elle-même en toute occasion, une longue, patiente et délicate éducation morale est nécessaire, et bien peu d’hommes peuvent avoir cette éducation sans le secours de la casuistique. F. Brunetière, Une apologie de la casuistique, dans la Revue des Deux Momies, 1° janvier 1885, p. 209 sq. Peut-on reprocher à la casuistique, dont c’est d’ailleurs le rôle principal, de s’occuper de l’éducation du jugement moral, quand les sciences morales, le roman, le théâtre, la critique littéraire ou historique et même le journalisme, sans posséder les mêmes droits, mettent une telle insistance à vouloir remplir ce même rôle, avec quelle compétence ou avec quel succès nous n’avons point à l’examiner ici ? Brunetière, loc. cit., p. 2Il sq. Longtemps avant la naissance de la casuistique catholique, la casuistique stoïcienne s’était déjà préoccupée de ces problèmes de conscience, Raymond Thamin, Un problème moral dans l’antiquité ; étude sur lacasuislique stoïcienne, Paris, 1884, ainsi que la casuistique rabbinique. Stapfer, La Palestine au temps de Jésus-Christ, 5e édit, Paris, 1892, c. vii, Le sabbat, p. 334 sq.

2e objection. — Les casuistes se sont souvent trop occupés de certaines matières délicates et y ont même parfois montré une excessive indulgence. — Réponse.

— 1° La nécessité de s’occuper de certaines matières est tout aussi réelle pour le casuiste que pour le jurisconsulte et le médecin appelés par leurs professions à étudier en droit criminel ou en médecine légale les actions les plus dégradantes. Le but du casuiste est même plus noble et plus important, puisqu’il doit diriger le confesseur dans l’accomplissement d’un précepte divin intéressant directement le salut éternel des âmes pécheresses. Peut-on reprocher à des théologiens, écrivant sous l’inlluence de motifs aussi relevés, une liberté professionnelle à laquelle la forme du traité scientifique latin paraît assurer encore plus de droit ? Quant aux non-professionnels qui n’ont aucune grave raison de lire ces ouvrages, ni surtout de les traduire et de les faire circuler dans le grand public, rien ne les autorise à prendre scandale d’une étude purement théologique, commandée uniquement par les exigences du ministère de la confession et s’inspirant toujours d’une grande prudence dans l’interrogatoire pratique imposé aux pénitents. D’ailleurs si quelques manques de discrétion se sont parfois produits, ils n’ont eu pour cause que le peu de jugement ou de lact du confesseur, et il serait injuste de les attribuer aux ouvrages de casuistique. Brunetière, loc. cit., p. 204 sq. ; Lehmkuhl, Die katholischeMoraltheologie unddas Studium derselben, dans Siimmen uns Maria Laach, 1901, p. 17 sq. ; Millier, ht die hatholisehe Morall/ieologic reformbeiliujtig, Fulda, l1102, p. 45 sq. ; Mausbach, Die ultramontan Moral nach Graf Paul von Hœnsbrœch, Berlin, 1902, p. ii sq. ; Meyenberg, Die hat liolisclw Moral als

Angeklagte, stanz, 1901, p. 37 sq. D’ailleurs si l’on prétend que l’art transforme tout ce qu’il touche et en bannit tout danger, ou qu’une thèse morale autorise toujours

la peinture du mal et en écarte toute funeste influence,

comment peut-on blfl r la casuistique scientifique qui

a i n sa laveur de si graves raisons et qui est d’ailleurs