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1783

CARMES (ORDRE DES)

1784

1562, un petit couvent dans sa ville natale. Elle et ses compagnes y pratiquaient la plus grande perfection religieuse, surtout en matière de pauvreté et de mortification. Le général, Jean-Baptiste Rossi (Rubeo), ayant fait la connaissance de la sainte à l’occasion d’une visite canonique, l’encouragea et lui prescrivit de faire autant de fondations qu’elle pourrait, et même d’ériger aussi des couvents de religieux. L’œuvre de sainte Thérèse obtint un éclatant succès. Le nombre des religieux devint tel que le général craignit de voir se produire, grâce à cette réforme, une nouvelle division dans l’ordre. En même temps les intrigues des carmes espagnols préparèrent contre la fondatrice une furieuse tempête ; elle ne tarda pas à se déchaîner ; mais la courageuse sainte surmonta toutes les difficultés. A l’époque de sa mort (1582), la réforme thérésienne comptait dix-sept couvents de religieuses et quinze de religieux. Ceux-ci étaient constitués en province particulière ayant juridiction sur les couvents des sœurs. En 1592, les carmes déchaussés se séparèrent définitivement des carmes de l’ancienne observance. Sainte Thérèse avait eu à cœur l’œuvre des missions autant que la vie contemplative ; aussi, de son vivant et sur les instances du P. Gratien, les carmes avaient-ils entrepris l’évangélisation du Congo. Après sa mort, le P. Nicolas Doria, homme austère et énergique, mais d’un esprit étroit et anguleux, voir Grégoire de Saint-Joseph, Le P. Gralien et ses juges, Rome, 1904, abandonna toute entreprise en dehors de la péninsule ibérique, à l’exception de la Nouvelle-Espagne, le Mexique. Par contre, il favorisa l’institution des déserts. Les déserts en France étaient situés à Viron près de Blaye (1641), à Garde-Chatel près de Louviers (1656), et à Tarasteix près de Tarbes (1859) ; en Belgique à Marlagne près de Namur (1619) et à Netben près de Louvain (1687). Les plus fameux, au point de vue de leur situation pittoresque, étaient ceux de Bussaco près de Coïmbre (1628) et de Massalubrense près de Sorrento (1680). Malgré ses desseins de restreindre la réforme dans les bornes de l’Espagne, le P. Doria lui-même fut amené en 1584, sous le provincialat du P. Gratien, à contribuer à la fondation du couvent de Gênes, sa ville natale. Un autre couvent ayant été établi à Rome, Cli nient VIII sépara de la congrégation espagnole les carmes déchaussés résidant en Italie et les forma en congrégation particulière (1600). Elle prit le nom de Saint-Élie et reçut la faculté de se répandre dans le monde entier, l’Espagne exceptée. C’est alors que les carmes passèrent en Belgique, en Fiance, en Pologne, en Allemagne et en Autriche. Ils se lancèrent aussi dans les missions, évangélisèrent la Perse, les Indes, l’Arménie, la Turquie, s’établirent même à Péking et poussèrent jusque dans l’Amérique du Nord. Dans la pléiade de zélés missionnaires carmes déchaussés, il faut relever le nom du vénérable Père Joseph, comte de Sébastianis, évoque d’Hiérapolis, plus tard de Bisignano et de Ciltadi-Castello en Italie, mort en odeur de sainteté en 1689. Les carmes eurent également des stations dans les pays protestants, tels que la Hollande et l’Angleterre. Les carmes déchaussés, notamment les vénérables Pères Pierre de la Mère de Dieu, Thomas de Jésus, et surtout Dominique de Jésus-Marie eurent une part principale dans l’institution et l’organisation de la S. C. de la Propagande. Voir la constitution d’institution par Grégoire XV, 1622, de Martinis, Juris pontifiai de I’ropaganda fide, part. I, t. i, p. 1. Le Père Bernard de Saint-Joseph (1597-1663), évêque de Babylone, fonda le séminaire des missions étrangères à Paris. Les carmes déchaussés d’Espagne et de Portugal (congrégation nationale depuis 1773’. ayant été sécularisés quasi entièrement en IXS6, Pie IX, par décret de 1X75, réunit les deux congrégations en une seule. Il n’existe plus à présent que l’ordre des carmes déchaussés et celui des carmes chaussés, sans aucune subdivision.

Les carmélites fondées par sainte Thérèse se répandirent avec une rapidité prodigieuse dans tous les pays chrétiens et même au delà. Elles étaient établies en Italie avant que les supérieurs espagnols eussent circonscrit l’ordre naissant. En 1604, M me Acarie (la bienheureuse Marie de l’Incarnation) sollicita leur établissement en France, et obtint un ordre du saint-siège pour forcer le général des carmes à passer par-dessus la décision du chapitre. M. de Bérulle, qui négocia l’affaire, fit valoir l’autorité de l’ambassadeur français, sans oser montrer le bref pontifical, à cause de plusieurs clauses contraires à ses vues. Le bref, en effet, soumettait les futures carmélites françaises à la juridiction des chartreux, en attendant que les carmes déchaussés eux-mêmes fussent établis en France ; or, le P. de Bérulle espérait se servir des carmélites comme souche de l’ordre de Jésus et de Marie dont il avait conçu le projet. Ayant réussi dans ses desseins, de Bérulle mit en œuvre tout son pouvoir pour tenir à l’écart les carmes déchaussés, afin de mouler à sa guise l’esprit des carmélites. Quelques couvents seulement restèrent ou se rangèrent sous la juridiction de l’ordre. Les carmélites françaises ont toujours été un des plus beaux ornements de l’Eglise de France ; une des gloires de l’ordre est M me Louise de France, fille de Louis XV, morte à Saint-Denis en 1787.

VIL Études chez les carmes chaussés. — Au moment où les carmes firent leur apparition dans les universités du moyen âge, les grandes écoles théologiques, dominicaine et franciscaine, étaient déjà formées. C’est pourquoi les nouveaux venus n’ont guère exercé d’influence propre sur le mouvement scolastique. De tout temps ils se sont rangés de préférence du côté du thomisme ; même, depuis le xviie siècle, ils suivirent saint Thomas par principe, avec exclusion formelle de toute autre tendance contraire. Jean Baie, carme anglais, plus tard évêque anglican († 1553), nous a laissé des catala gués (publiés seulement en partie) des ouvrages de tous les auteurs carmes connus de lui. Ce qui nous frappe tout d’abord dans ces listes, c’est l’extrême fécondité de l’ordre en matière théologique. La plus grande partie des traités énumérés sont des travaux académiques, des commentaires sur la sainte Ecriture, sur Aristote et le Maître des Sentences, bref, des cours d’université. Citons d’abord Gérard de Bologne, général de l’ordre (12961318) ; il a laissé un commentaire sur les Sentences ; tout en suivant saint Thomas de près, il se réserve une certaine indépendance dans la question des universaux, penchant plutôt du côté de Duns Scot. Son successeur dans le généralat, Gui de Perpignan (1318-1320), plus tard évêque de Majorque et d’Elne († 1342), est surtout connu pour son traité : Summa de hæresibus. Jean Baconthorpe, appelé plus communément Bacon [doctor resolutus), était de son temps le docteur de Paris le plus renommé ; il était célèbre à cause de la subtilité de son esprit. Il a laissé un nombre incroyable de livres, dont plusieurs n’ont jamais été imprimés et sont maintenant perdus. Baconthorpe fut plus d’une fois provincial de son ordre en Angleterre. En 1337, il fut appelé’à Home (Avignon’.') pour donner son avis dans certaines questions touchant le sacrement du mariage. Il mourut à Londres en 1346. Son système réalistique est tiré principalement des écrits d’Averroès. Le chapitre général de 1416 ayant constaté « que les docteurs de l’ordre (entre autres sans doute Baconthorpe) sont tombés en oubli, parce que les lecteurs négligent de les citer dans leurs cours » , commande à ceux-ci sous peine sévère : Quod deittceps nostros rememorentur doctor es, allegando cos in suis actibus. l’n autre chapitre, de 1510, entreprit, aux frais de l’ordre, une nouvelle édition des ouvres de Baconthorpe et des Commentaria in h bras IV Sententiarunt, de Michel de Bologne iy I i 16), alin que les lecteurs pussent s’en servir dans leurs cours.