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CARMES (ORDRE DES)


xvsiècle, quoiqu’ils eussent repris le manteau primitif dès 1287. Leur titre officiel était : fratres eremitee sanctse Mariée de monte Carmelo, et, depuis leur émigration en Europe : fralres ordinis beatissimee Virginia Mariée de monte Carmelo ; cette appellation fut mémo indulgenciée en 1379.

Les carmes de Terre-Sainte ne se répandirent que lentement. Outre l’établissement du Carmel et la colonie du mont Néro, nous renconlrons un couvent à Saint-Jean-d’Acre, Sandwich, c. viii, qui subsista jusqu’en 1291, la chapelle de Sarephta, dont nous avons déjà parlé, un couvent à Tyr, détruit en 1289, un autre appelé Beaulieu, au pied du Liban, à trois lieues de Tripoli et qui tomba avec le précédent ; il y eut aussi un hospice à Jérusalem ; il n’exista que peu de temps et fut abandonné en 1244 ; nous trouvons enfin deux colonies de carmes, l’une au désert de la Quarantaine, près de la fontaine de saint Elisée, l’autre à douze lieues à l’est du Carmel ; elles devaient être assez peuplées ; les Sarrasins les dévastèrent toutes deux vers 1240.

Les incursions des Sarrasins et l’impuissance des armées chrétiennes rendaient la position des carmes de plus en plus précaire ; la sainte montagne fut abandonnée pendant quelque temps, mais les ermites y retournèrent plus tard. Ils songèrent cependant à se réfugier en Europe. En 1238, un premier essaim de carmes se dirigea vers Chypre ; d’autres se fixèrent à Messine, d’autres encore aux Aygalades près de Marseille et à Valenciennes. En 1241, des chevaliers anglais de la suite de Richard de Cornouaille amenèrent quelques carmes en Angleterre, et en 1254, saint Louis se fit accompagner à son retour en France par six carmes français. Un nouveau monastère fut construit au Carmel en 1263> Bullarium, t. i, p. 28, mais après la chute de Saint-Jean d’Acre, en 1291, les Sarrasins y mirent le feu et massacrèrent les ermites. Les moines moururent en chantant le Salve Regina. On tenta vainement, au xve siècle, de repeupler le Carmel ; Cfe fut seulement en 1631 que les carmes (déchaussés) réussirent à y reprendre pied.

III. Antiquité de l’ordre. — Quoique[nous ne puissions pas entrer dans tous les détails de cette cause célèbre, il est cependant indispensable d’en dire un mot. La fameuse querelle au sujet de l’antiquité de l’ordre des carmes, commencée au xuie siècle, prit au XVIIe des proportions vraiment inouïes. D’après la sainte Ecriture, les prophètes Élie et Elisée furent successivement à la tète des « fils des prophètes » , dont le genre de vie présageait obscurément les formes futures de la vie monastique. Saint Jérôme, Cassien, et d’autres Pères n’hésitèrent pas à considérer ces deux prophètes comme les fondateurs et les modèles du monachisme. Or, tous deux avaient eu des rapports avec le Carmel. L’on montre encore sur la montagne la fontaine et la grotte d’Elie, l’endroit où il se rencontra avec les prophètes de Baal, l’école des « fils des prophètes » et d’autres souvenirs du saint. Quant à saint Elisée, il y avait habité. Des inscriptions grecques témoignent que des le iv c siècle, le Carmel était visité par des pèlerins chrétiens, et, longlemps, des ruines prouvèrent qu’un édifice y avait autrefois existé. Voir col. 1777. Rien de plus légitime par Conséquent, que la dévotion des carmes envers saint Élie et saint Elisée ; réunis sur le Carmel et cela sur l’ordre de saint Elie lui-même, ils avaient un litre spécial à se considérer comme les successeurs, disons môme comme les enfants spirituels des deux grands prophètes. Si les carmes se fussent contentés de cette filiation, nul n’y aurait trouvé à redire ; ils voulurent aller plus loin. Ils revendiquèrent une succession ininterrompue entre eux et les prophètes ; bs esséniens et les thérapeutes, dont parlent Pline, Josèphe, Philon et Ku-Sèbe, furent considérés comme des cannes de l’ancienne alliance ; on chercha aussi à établir des relations entre

le Carmel et les anachorètes de Syrie et de la Thébaide sous la loi nouvelle. V. Harnischmacher, De essenorum apud judeeoa aocietate, Bonn, 1866 ; Lauer, Die Eaaæer und ihr Verhâltniss zur Synagoge und Kirche, Vienne, 1869 ; Lucius, Der Eaænismus in aeinem Verhàltniaa zum Judenthum, Strasbourg, 1881. On a même voulu voir dans le De vita contemplativa de Philon un traité chrétien. F. C. Conybeare, dans son édition grecquearménienne de cet ouvrage, Oxford, 1895, a renversé une fois pour toutes cette hypothèse insoutenable. Les premiers germes de ces prétentions se trouvent dans le livre De inatituiione primorum monachorum, attribué à Jean XLIV, évêque de Jérusalem, mais composé, selon toute probabilité, au xiiie siècle, Riboti, op. cit., t. I, c. vu ; cf. Daniel de la Vierge-Marie, Spéculum, t. i, p. 9-71, et dans l’épître de saint Cyrille, prieur du Carmel, œuvre de la même époque, lbid., t. VIII, p. 72 sq. Ces deux ouvrages furent édités pour la première fois en 1370, par Riboti, carme espagnol. Plus on va, plus les assertions des historiens deviennent hasardées. Nicolas Simonis, Bostius, Paléonydore au XVe siècle, Baptiste Mantouan au xvie siècle, Casanate, Lezana et Philippe de la Sainte-Trinité au xviie se surpassèrent les uns les autres en hypothèses hardies, non sans subir quelques contradictions, jusqu’à ce que l’orage éclata lors des publications des bollandistes. L’apparition, en 1668, du 1 1 Ie volume de mars des Acta sanctorum mit le feu aux poudres. Le P. Papebroch y prétendait que saint Berthold (29 mars) avait été le premier supérieur de l’ordre et saint Cyrille (6 mars) le troisième. Les carmes relevèrent le gant. François de Bonne-Espérance, Hiatorico-theologicum armamentarium, Anvers, 1669. Mais Papebroch, au 1er d’avril (1675), dans la vie de saint Albert de Jérusalem, répondit victorieusement à leurs attaques. La lutte s’envenima et les adversaires publièrent les uns contre les autres une foule d’écrits ; il faut dire que certains carmes ne restèrent pas toujours dans les bornes de la modération, par exemple Sébastien de Saint-Paul, Ealiibilio errorum quoa P. D. Papebrochius commisit, etc., Cologne, 1693. Voir la bibliographie. La querelle fut enfin portée au tribunal du souverain pontife. Le saint-siège, pour le bien de la paix, par un décret du 20 novembre 1698, imposa silence aux deux partis. La thèse du P. Papebroch, qui, en somme, était la vraie, est acceptée de nos jours, sinon unanimement, du moins généralement.

La fête de saint Elisée fut établie dans l’ordre des carmes en 1399 ; celle de saint Elie, quoique ce saint ait eu une chapelle au mont Carmel au xii c siècle, ne remonte pas au delà de 1551 ; mais en quelques provinces on célébrait, dès la fin du xv c siècle, la fête de son enlèvement. Le chapitre général de 1564 institua un grand nombre de fêtes en l’honneur d’anciens anachorètes, tels que Hilarion, Spyridion, Sérapion, Euphrasie et Euphrosyne ; encore de nos jours saint Cyrille d’Alexandrie figure au calendrier de l’ordre sous la désignation : ordinis nostm. Ce sont là des exagérations qu’une critique plus saine eût fait éviter.

IV. Les carmes en Europe.

Sortis de la Palestine, les carmes s’établirent en Europe ; ils s’y répandirent assez rapidement sans atteindre cependant la dilTusion des dominicains et encore moins celle des franciscains. Grégoire IX les rangea au nombre des ordres mendiants (1229). Le premier chapitre général tenu en dehors de la Terre-Sainte, après avoir élu saint Simon Stock prieur général (voir SCAPULAIRE), demanda au pape quelques corrections à la règle (1247). Depuis lors, les ermites du Carmel sont des cénobites possédant des couvents dans les grandes villes, tels que Londres, York, Bruxelles, Bordeaux, Cènes, etc. Ils s’établirent également dans les villes d’université’, Cambridge (1249), Oxford (1253), Paris (1259) et Bologne (1260). Chaque province avait certains couvents où les jeunes rcli-