1743
CARÊME
1744
Le pape Innocent III répondit qu’il n’y avait pas lieu de sévir contre eux : in tali arliculo illos non credimus puniendos ; mais il recommanda de prier Dieu avec eux afin qu’il ne leur imputât pas cette conduite, parce que c’est le devoir des âmes pures de craindre d’avoir failli lors même qu’il n’y a pas de péché : ubi culpa minime reperitur. Décrétai., t. III, c. Concilium, De jejunio, tit. xlvi, tant était profonde en ces temps la crainte de violer la loi de l’abstinence.
3° Causes qui exemptent du jeûne.
Le jeûne s’imposa toujours, en principe, à toute personne baptisée qui était en état de l’observer. A l’origine ni les ouvriers, ni les vieillards, ni les enfants ne paraissent en avoir été exemptés. L’auteur des fausses décrétales, à la suite du VIII e concile de Tolède (653), indique les causes qui dispensent du jeûne et de l’abstinence de viande : illi <juos aut mtas incurvât, aut languor exténuât, aut nécessitas arctat, can. 9, P.L., t. cxxx, col. 513, c’est-à-dire, comme il s’exprime encore, la maladie, fragilitalis evidens languor, la vieillesse, setalis impossibilitas, la nécessité, inevitabilis nécessitas. Durant tout le moyen âge ces prescriptions furent prises à la lettre. Le cardinal Humbert, dans sa fameuse conférence avec les Grecs (vers 1050), leur déclara qu’en Occident l’on jeûnait si exactement en carême qu’on n’en dispensait personne à moins d’une grave maladie, Bibliolheca Patrum, t. iv b, p. 245, et qu’on y faisait même jeûner quelquefois les enfants de dix ans : adeo ut interdum decennes pueros nobiscum faciamus jejunare.
La règle du concile de Tolède en ce qui concerne « l’âge » et la « nécessité » était un peu vague ; les scolastiques entreprirent de la préciser.
Quant à l’âge, dit Alexandre de Halès, Sumnia, IV a, q. xxviii, m. vi, a. 2, les sentiments sont partagés ; les uns fixent l’obligation du jeûne seulement à vingt et un ans accomplis, parce que la croissance se fait jusqu’à cet âge ; d’autres l’imposent à vingt ans, parce que c’est l’âge de la milice ; d’autres descendent jusqu’à quinze ans, parce qu’il faut éteindre par le jeûne la ilamme de l’impureté qui commence alors à s’allumer. Alexandre de Halès adopte lui-même l’âge de dix-huit ans, parce que c’est l’âge fixé par l’Église pour entrer en religion : Tempus jejunio aptum est octodecïm annorum. Hoc est enim tempus ordinalum ab Ecclesia ad intrandum religionem cjuod prxveniri non potest seeundum ecclesiasticam inslilulionem. Et ideo hoc est tempus ad pxiiitenliatn pcragendam, et ad jejtinandum. Saint Thomas, qui reprit la question un peu après, la trancha différemment. Il lui sembla qu’on ne pouvait astreindre les jeunes gens au jeûne a"ant qu’ils eussent achevé leur croissance, c’est-à-dire, selon lui, avant vingt et un ans : Quamdiu sunt in statu augmenti, quod est, ut in pluribus, usque ad finem terlii septennii, non tenentur ad ccclesiaslica jejunia observanda. Sum. t/ieol., II » II*, q. cxlvii, a. 4. Il leur conseille seulement de s’exercer pendant leur adolescence au jeûne selon leurs forces. La théorie de saint Thomas fut suivie par les scolastiques et fait encore loi aujourd’hui.
On a remarqué que les théologiens du moyen âge, qui avaient cherché à établir un minimum d’âge pour l’obligation du jeûne n’avaient pas essayé d’indiquer un maximum après lequel on en fùl exempté. C’est que la vieillesse, par elle-même, n’était pas à leurs yeux une cause d’exemption. Pour qu’elle dispensât du jeûne, il fallait qu’elle fùl devenue une espèce de maladie de « langueur » , comme l’avait dit le concile de Tolède.
Que signifiait proprement la « nécessité » don) avait parlé le même concile : t/ium nécessitas arctat ? Les scolastiques l’entendirent de l’affaiblissement corporel f 1 1 1 < pouvaient causer soit la pauvreté, soit les voyages, soit le travail.
Quant aux pauvres, Alexandre de Halès, loc. cit., et saint Thomas, loc. cit., ad i" 1 ", sont d’accord pour
exempter du jeûne ceux qui mendient de porte en porte et qui n’ont rien d’assuré, mais ils n’en exemptent pas ceux qui demeurent chez eux et ont ordinairement de quoi se nourrir.
La question des ouvriers préoccupa particulièrement Alexandre de Halès. Nous n’indiquerons pas tous les cas de conscience qu’il pose, loc. cit. ; citons seulement quelques-unes de ses décisions. Il déclare nettement : 1° que les ouvriers doivent jeûner en travaillant, s’ils le peuvent sans un affaiblissement notable de leurs forces, qui les rende ensuite impropres au travail ; 2° qu’ils ne doivent pas travailler s’ils ont de quoi vivre et s’ils ne peuvent jeûner en travaillant ; 3° qu’on ne peut louer des ouvriers dont on présume qu’ils ne pourront pas jeûner, à moins qu’on ne soit dans la nécessité de les louer faute d’en trouver d’autres. Saint Thomas paraît un peu plus large ; il est d’avis que les ouvriers sont dispensés du jeune, si leur travail est nécessaire et incompatible avec le jeûne ; ils ne devraient renoncer à leur travail que s’il pouvait être commodément différé ou retardé : Si o péris labor commode differri possit aut diminui. Loc. cit., ad 3um. Mais il ne donne cette décision qu’avec une certaine réserve ; pour plus de sûreté il recommande de s’adresser aux supérieurs afin d’obtenir une dispense, à moins qu’on ne soit dans un pays où la coutume est établie, car le silence des pasteurs forme alors une sorte de consentement tacite.
Les mêmes principes s’appliquent aux voyageurs. Les voyages pénibles n’exemptent du jeûne qu’autant qu’ils sont nécessaires ; si on peut y surseoir sans trop d’inconvénient, il faut le faire, car alors le jeûne demeure obligatoire. Cf. Alexandre de Halès et saint Thomas, loc. cit.
Cette discipline était appelée à régir toute la fin du moyen âge. Il semble toutefois que le pape Eugène IV y ait apporté quelque adoucissement vers 1440 en faveur des ouvriers et des habitants de la campagne.’On rapporte qu’il aurait fait cette déclaration : Artifices laboriosas artes exeveitantes, et ruslici, sive divites sunt, sive pauperes, non t$nentur jejunare sub præcepto peccali mortalis. Sa décision est rapportée par nombre de théologiens, notamment par saint Liguori, T/teolugia moralis, t. IV, tr. VI, c. iii, dist. II, n. 1042.
V. Cinquième période. Les temps modernes, régime des adoucissements et des dispenses. — A partir des environs de l’an 1500, la loi du jeûne reçut des adoucissements considérables. Et ce qui caractérise la nouvelle période, ce sont les dispenses, que nous avons déjà vues employées vers la fin de l’époque précédente, mais qui deviennent beaucoup plus nombreuses. Ces dispenses s’appliquent à tout, à la nature des mets qui composent le repas quadragésimal, aussi bien qu’à la règle de l’unité absolue du repas.
I. MULTIPLICITÉ des KEPAS.
Bien qu’en principe l’unité du repas soit maintenue, en réalité la collation a lini par devenir un petit repas du soir. La Règle des Théatins, part. II a, c. iii, confirmée par Clément VII, lui donne expressément ce nom : Serotina cœnula. Outre ces deux repas, l’usage a également prévalu de prendre le matin, pendant le carême, une légère réfection, dont la matière est principalement liquide. Examinons l’une après l’autre ces trois formes de l’alimentation quadragésimale.
1° Le repas principal.
1. Heure du repas.
Aux environs de l’an 1500, l’heure de midi est devenue l’heure régulière du repas du carême. Etienne Poncher, évéque de Paris, le donne à entendre dans ses ordonnances synodales. Synod. Parisiens., ln-4°, Paris, 1514, p. 243 : Sic semel ni die refectionem corporis capiatis, et si tempus congruum habueritis, ut suiu-iu* Thomas et alii doctores nos instoruwnt, rirai meridiem capiatis. s.-iint Charles Borromée, évoque de Milan, s’exprime à peu près de même. Acla Ecclesiæ Medwlan., in-fol.,