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CARÊME


plus catégorique encore dans sa décision. Alexandre enseigne que c’est la coutume de l’Église de prendre le repas à none les jours de jeûne, et il ajoute que c’est l’Église qui a fixé cette heure : Ex consuetudine Ecclesise quæ hora tali (nona) consuevit prandere in jejuniis et etiam illam horam ad comedendum depulavit. Summa, IV a, q. ciii, m. n. Pour justifier cette discipline, il allègue une raison de convenance assez curieuse : « Le Christ, dit-il, a été affligé jusqu’à la neuvième heure : c’est à la neuvième heure qu’a cessé son affliction lorsqu’il a rendu l’esprit : il est donc juste que la mortification de ceux qui jeûnent cesse aussi à none.*> Il cherche aussi un point d’appui à sa thèse dans l’histoire et croit trouver chez les Pères et les docteurs la preuve qu’anciennement on rompait le jeûne quadragésimal à none. Nous avons vu que ce n’était là qu’une exception. Ce qui est vrai, c’est que dans les petits jeûnes de l’année, les moines et les fidèles prenaient leur repas à trois heures de l’après-midi. C’est à ce petit jeûne que saint Fructueux faisait allusion quand il disait :

Jejunamus, ait, recuso potum,

nondum nona diem résignât hora,

comme le rapporte Prudence. Peristephanon, vt, 5-55, P. L., t. lx, col. 415. Saint Bernard, nous l’avons vii, disait pareillement : Haclenus usque ad nonam jejunavimus sali. Serm., III, in Quadrag., 1, loc. cit. La thèse d’Alexandre de Halès n’est donc pas bien fondée en principe. Mais le fait qu’il atteste n’en est pas moins exact ; de son temps l’usage de rompre le jeûne quadragésimal à trois heures de l’après-midi était devenu général dans l’Église.

On ne s’arrêta pas là. Dès la fin du xiiie siècle, un célèbre docteur franciscain, Richard de Middleton, enseignait qu’on ne transgresse pas la loi du jeûne quand on prend son repas à l’heure de sexte, c’est-à-dire à midi, parce que, dit-il, cet usage a déjà prévalu en plusieurs endroits, et que l’heure à laquelle on mange n’est pas aussi nécessaire à l’essence du jeûne que l’unité de repas. In IV Sent., t. IV, dist. XV, a. 3, q. vu. Le xive siècle consacra par sa pratique et par son enseignement la doctrine de Richard de Middleton. On peut citer en témoignage le fameux docteur de l’ordre de saint Dominique, Durand de Saint-Pourçain, évêque de Meaux. II ne fait aucune difficulté d’assigner l’heure de midi pour les repas de carême : « Telle est, dit-il, la pratique du pape, des cardinoux et même des religieux. » In IV Sent., t. IV, dist. XV, q. IX, a. 7. Les plus graves auteurs du XVe siècle adoptèrent cet enseignement. C’est celui de saint Antonin, d’Etienne Poncher, évêque de Paris, du cardinal Cajétan, etc. Cf. Baillet, Vies des saints, t. iv, p. 71-72.

Mais avec les scolastiques la logique ne perd jamais ses droits. Le chapitre Soient du décret de Gratien qui reproduit le capitulum 3 ( J de Théodtilphe d’Orléans, P. L., t. cv, col. 2(M, marquai ! qu’on ne pouvait (ire censé avoir jeûné si l’on mangeait avant d’avoir célébré l’office de vêpres : Nullatenus jejunare credouli sunt, si ante manducaverint quam vespertinum celebretur of/icium. Decretum, part. III, dist. I. Durant le carême on célébrait la messe à none, c’est-à-dire à trois heures de l’après-midi, puis on chantait veines, et les aumônes distribuées aux pauvres, on se mettait à table. Cf. Grat ici), ibid. ; Arnalaire, De ecclesiaslicis of/iciis, t. I, c. vii, P. L., t. cv, col. 1003. Pour être en règle avec cette discipline, tout en avançant l’heure du repas, d’abord jusqu’à none, ensuite jusqu’à midi, on trouva tout simple d’avancer de même l’heure de la me l’heure des vêpres. C’est ainsi qu’un en vint à chanter vêpres avant midi.

De tels changements ne furent pas du goût de tout le noiide. " Nous admirons aujourd’hui, disait Baillet au

D1CT. DE TIILOL. CATIIOL.

xviie siècle, la plaisante délicatesse de ces siècles qui se faisaient conscience de manger avant l’office de vêpres et qui ne faisaient pas scrupule de commettre deux désordres en renversant toute l’économie de l’Église dans le dérangement de ses offices et en ruinant l’étendue du jeûne légitime. Mais supposant le besoin qu’on aurait eu d’avancer le repas, nous ne voyons pas quel aurait été l’inconvénient de laisser au moins le service de l’Église à ses heures accoutumées qui sont marquées encore dans leurs hymmes, puisqu’elles ont été prescrites pour honorer les mystères qui s’y sont passés, et pour nous renouveler dans la prière et dans l’attention que nous devons avoir à Dieu, durant toute la journée. » Vies des saints, t. iv, p. 72.

2. La collation.

Avancer le repas quadragésimal d’abord à none, puis à sexte, c’était un affaiblissement de la discipline qui pouvait jusqu’à un certain point se justifier. Mais cette première concession aux exigences de l’estomac en entraîna une seconde. Il était bien difficile de prolonger le jeûne d’un midi à l’autre sans aucun adoucissement. On commença par accorder la permission de prendre vers le soir un peu de liquide pour étancher la soif provoquée par la fatigue. Cette coutume trouve sa plus ancienne attestation dans la Régula Magistri, qui est de la fin du VIIe siècle. Les moines y sont autorisés à boire pendant l’été avant le soir, antequam sera compleant, même quand ils ont mangé à none, à plus forte raison quand ils ont pris leur repas à sexte. L’abbé bénissait leur boisson, et ils devaient faire une petite prière avant de la prendre et après l’avoir prise. C. xxvii, P. L., t. ciii, col. 1133. L’usage de cet adoucissement se répandit bien vite. Le concile d’Aix-la-Chapelle, de 817, déclare nettement qu’il est permis de boire ainsi, même pendant le carême, avant de lire complies. Can. 12, Hardouin, Concilia, t. IV, col. 1229. La boisson qu’autorisait la Régula Magistri était une espèce de piquette ou liquide acidulé, posca. On voit par les Statuta de Pierre le Vénérable que les clunistes usaient de vin au xiie siècle : eo tempore quo post nonam ad potum fratres pergere soient. Statuta congregat. Cluniaccnsis, c. xxvii, P. L., t. clxxxix, col. 1033. Pour les usages semblables d’autres monastères, notamment de Saint-Gall, cf. P. L., t. ciii, col. 1133-1134, note h.

Au xiiie siècle l’usage de boire entre les repas était général. Et saint Thomas déclare que l’Église l’autorise parce que la boisson n’est pas proprement une nourriture, bien qu’elle nourrisse quelque peu, licet aliquo modo nulriat. Sum. theol., IIa-IIæ, q. cxlvii, a. (>, ad 2 unl. Mais s’il est permis de prendre, en dehors du repas, quelque chose qui soit, si peu qui ? ce fût, nutritif, pourquoi le liquide seul serait-il toléré ? C’est ce que se demandèrent les théologiens et peut-être aussi les fidèles. Aussi, des le XIIIe siècle, ceux qui s’accordaient vers le soir un peu de liquide, un coup de viii, y ajoutaient-ils communément des friandises, des fruits confits, des conserves, electuaria, comme parle saint Thomas. Et le docteur angélique justifie cette pratique, comme il avait justifié l’usage du liquide : Electuaria, etiamsi aliquo modo nutriant, non tamen principaliter assumuntur ad nutrimentum sed ad digestionem ciborum ; unde non solvunt jejunium. Saint Thomas ne blâme que l’abus des electuaria, parce qu’une grande quantité, prise en fraude de la loi, constituerait une véritable alimentation, une sorti 1 de repas ; nisi furie aliquis in fraudem electuaria in magna quantitate assumât per modum cibi. Ibid., q. CXLVII, a. (>. ail.i"" 1. Au

xiv siècle, cet usage des conserves, formant un semblant

de repas, mais non un repas véritable, était reçu partout. Gerson, qui en parle dans ses Règles morales, t. iii, p. 25, dit qu’il faut pour cela s’en tenir a la coutume : nestionibus specierum (épices) et similibus coilsuetudo teneatur. A la lia du moyen âge l’alimentation

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