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CARÊME


lundi de carême à ce que nous appelons le mercredi des cendres. Le Sacramentaire gélasien, qui date au plus tard du commencement du viiie siècle, est le plus ancien témoin de cette réforme. L’oraison qu’il donne le mercredi de la quinquagésime contient ces mots caractéristiques : Inchoala jejunia, quscsumus, Domine, benigno favore prosequere, etc. P. L., t. lxxiv, col. 1065.

Ce fut aussi dans le cours du VIIe siècle, semble-t-il, que les Orientaux ajoutèrent une semaine supplémentaire à leur jeûne quadragésimal. D’après un cantique grec cité par le P. Goar, Euc/wloyw » , p. 207 ; cf. Thomassin, Traité des jeûnes de l’Eglise, part. IIe, c. vi, p. 281, cette institution remonterait à l’empereur Héraclius († 641). A partir du huitième dimanche avant Pâques, qui est leur dimanche de carnaval, àrcôxpea), les Grecs ne mangent plus de viande, bien qu’ils ne soient pas en carême proprement dit. Le dimanche suivant s’appelle le dimanche du fromage, Tupoçâ-fo-j, parce que l’abstinence exclut dès lors les laitages. Cf. Ratramne de Corbie, Contra Grœcorum opposila, t. IV, c. iv, P. L., t. cxxi, col. 321 ; Énée de Paris, Liber adversus Grœcos, il5, ibid., col. 741. Pour plus de détails sur l’usage des Grecs, du viie au ixe siècle, Funk, op. cit., p. 271-275.

L’innovation de l’Église de Rome s’étendit avec le temps à toute la latinité. Les relations fréquentes des Carolingiens [avec les papes favorisèrent l’importation de l’usage romain en Gaule. Ce ne furent pas seulement le chant et la liturgie que Pépin et Charlemagne introduisirent dans leurs États. Avec la liturgie, le cycle des fêtes de l’année devait nécessairement entrer dans l’usage gallican. Une lettre en date de 798, qu’Alcuin adresse à Charlemagne, note expressément que les Grecs jeûnent huit semaines et les Latins sept. Epist., lxxx, P. L., t. c, col. 260. Le jeûne observé par les Latins dans la première de ces sept semaines ne comprenait cerlainement pas six jours, mais seulement quatre. Nous en avons pour garant Amalaire, de Metz, qui marque au mercredi entre la quinquagésime et la quadragésime le commencement du carême et qui fait justement observer que le jeûne du mercredi au samedi de cette semaine est une institution postérieure à saint Grégoire le Grand : Sanctus Gregorius tantummodo triginta sex dies abslinentise nobis insinuât quadragesimalis temporis ; forsan quia nondum erant additi quatuor dies a supra dicta feria quarta usque ad dominicam quadragesintse. De ecclesiasticis of/iciis, t. I, c. vii, P. L., t. cv, col. 1002, 1003. Cette institution avait pénétré en Allemagne dès la fin du vuie siècle. Le canon du concile provincial tenu à Salzbourg, en 799-800, dit : « Le mercredi avant le commencement du carême, que les Romains appellent capul jejunii, la litanie et la messe commenceront après la neuvième heure. » llefele, Conziliengeschichte, 2e édit., t. iii, p. 732.

Selon Ratramne de Corbie, la réforme avait pénétré à peu près partout des le milieu du IXe siècle : Sant quidam qui non quadraginta dies ante Pasclia jejunando compleant. Contra Grxcorum opposita, t. IV, c. iv, loc. cit. Cf. Funk, op. cit., p. 269-270. L’Église de Milan toutefois ne l’adopta pas : elle entendit rester fidèle à la pratique de saint Ambroise ; aujourd’hui encore elle commence le carême non le mercredi des cendres, mais le dimanche suivant. Cf. les Statuts de saint Charles Borromée, Acta Ecclesix Mediolanensis, p. 12, 382 ; Hardouin, Concilia, t. x, col. 6.V>.

En prolongeant la durée du carême on n’en aggrava pas pour cela la rigueur. Il semble même qu’un certain adoucissement des observances primitives se soit introduit dans nombre d’Églises occidentales pendant cette troisième période. Si l’on maintint l’obligation de tenir le jeûne jusqu’au soir, cf. Théodulphe d’Orléans, Capitula mi presbyleros, 39. 10, P. L., t. cv, col. 204, on accorda la permission d’user, aux repas, du certains ali ments qui avaient été jusque-là généralement défendus. Le viii, par exemple, n’est plus absolument interdit. Théodulphe d’Orléans recommande seulement de ne pas en abuser : Qui vino abstinere potest, magnse virtutisest. .. vinum non ad ebrietatem sed ad refectionem corporis sumat, 40, loc. cit.

A l’origine, les œufs et les laitages étaient incompatibles avec l’abstinence quadragésimale. L’usage des œufs que Socrate signale était vraisemblablement exceptionnel. Mais à partir du vu et du viiie siècle, les œufs, le lait, le fromage, le poisson, figurent aux repas de carême en maints endroits, sans qu’on y trouve à redire. Bède nous raconte qu’un saint évêque de son pays, Cedda (VIIe siècle), qui ne manquait pas de prolonger pendant le carême son jeûne de chaque jour (sauf le dimanche) jusqu’au soir, faisait « un repas quotidien qui se composait d’un peu de pain et d’un œuf de poule avec un peu de lait mêlé d’eau » . H. E., f. III, c. xxiii, P. L., t. xcv, col. 154. Théodulphe d’Orléans estime que celui qui peut s’abstenir d’œufs, de fromage, de poisson et de vin « fait preuve d’unegrande vertu. Quant à ceux qui ont une santé délicate ou qui travaillent, qu’ils en usent » en toute conscience. Capitula ad presbyteros, 40, loc. cit. Cette déclaration est du viiie siècle. Au IXe, Énée, évêque de Paris, nous apprend qu’en Germanie la coutume est de manger du lait, du beurre, du fromage et des œufs pendant tout le carême, et que ceux qui ne le font pas s’abstiennent par pure dévotion personnelle, « par volonté spontanée. » Liber contra Grsecos, 175, loc. cit., col. 742. Cet usage se répandit tellement dans l’Église latine, qu’il devint l’objet d’un grief soulevé contre elle par les Grecs. Photius montre avec insistance le contraste qu’un tel relâchement forme avec la rigueur du jeûne oriental. Et les défenseurs de l’Église romaine, Énée, évêque de Paris, et Ratramne, abbé de Corbie, tout en repoussant les attaques du patriarche de Constantinople, sont forcés de reconnaître sur ce point le bien fondé de sa critique. Il résulte toutefois de leur commune déclaration que le régime de la sévérité se maintenait toujours dans la grande majorité des Églises du rit latin, aussi bien que dans l’Église grecque.

IV. Quatrième période (moyen âge), période des adoucissements. — C’est aussi du ixe siècle que nous faisons partir cette période. Les fausses décrétales qui devaient tant inlluencer le moyen âge datent, en effet, des environs de 850. On sait que leur lieu d’origine est le Mans ou Reims. Elles n’en impressionnèrent pas moins toute l’Église latine.

Durée du jeûne quadragésimal.

Nous mentionnerons d’abord une pratique qui s’introduisit en certaines Églises d’Occident comme en marge de la loi générale, par suite d’une constitution apocryphe attribuée au pape Miltiade (ou Melchiade, 311-314). La notice que lui consacre le Liber pontificalis renferme cette phrase : Hic constituit nulla ratione dominico et quinta feria je junium quis de /idelibus agere. Duchesne, t. i, p. 168. Un interpolateur de la notice du pape Grégoire II (715731) donna corps à la légende en déclarant que ce dernier pontife avait institué le jeûne du jeudi pendant le temps quadragésimal : Hic quadragésimal) tempore ut quint as ferias jejunium, etc. Liber pontif., 1. 1, p. 4-02. L’empereur Charlemagne croyait à l’authenticité du Conslitutum de Miltiade, comme on le voit par sa lettre à Alcuin. Epist., i.xxxi, P. L., t. c, col. 263 sq. El il note que, dans les pays où on l’appliquait, le carême durait neuf semaines, avec exemption du jeûne non seulement pour le jeudi mais encore pour le dimanche et le samedi ; ce qui donnait un total de trente-six jours de jeûne, comme dans les Églises où l’on suivait le système de Constantinople ou celui d’Alexandrie-Home. Ratramne, dans sa réponse aux Cives, fait la même observation. Contra opposila Greecorum, 1. IV. c. iii, P. L., t. cxxi, col. 316. L’auteur de fau es décrétales ne