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CANONISATION DANS L’ÉGLISE RUSSE


du défunt. L’état de conservation plus ou moins parfaite de ces restes est interprété comme un signe favorable, qui justifie la poursuite de l’enquête sur les miracles, souvent même autorise à la clore et à procéder sans plus tarder à la canonisation. En d’autres cas, l’enquête sera provisoirement close par une translation plus ou moins solennelle des restes du défunt, et la canonisation n’aura lieu que lorsque de nouveaux prodiges seront venus confirmer les précédents et transformer en certitude la présomption de sainteté. D’autres fois, c’est la découverte même, intentionnelle ou fortuite, de restes offrant quelque apparence de conservation, ou exhalant quelque odeur de parfum, qui provoque l’enquête et détermine l’inscription au calendrier. Il n’est guère possible, sur ce point, de formuler de règle précise et de déterminer des procédés de canonisation constants et uniformes. Jusqu’à la fin du xvii 5 siècle, cette partie de l’activité canonique et disciplinaire de la hiérarchie ecclésiastique russe semble échapper à toute règle fixe. Quant aux canonisations postérieures à l’institution du saint-synode, elles se font d’après des principes plus précis et des procédés plus uniformes.

Voici quelques faits a l’appui des remarques précédentes. Au dire des chroniqueurs Nestor et Jacob, ce sont les prodiges accomplis auprès du tombeau des princes Boris et Glèbe, à Vychegrad, qui attirent sur leurs restes l’attention de laroslav et du métropolite Juan. L’église de Saint-Basile où ils reposaient ayant été détruite par un incendie, on les déposa provisoirement dans un petit oratoire construit tout exprès. Cette translation avait permis de conslater leur merveilleux état de conservation. De nouveaux miracles se produisirent bientôt, qui déterminèrent le métropolite à procéder à une seconde et plus solennelle translation de leurs restes dans la nouvelle église dédiée à leur souvenir, translation qui marqua l’instilulion de leur fête, au 24 juillet. Goloubinski, op. cit., p. 46. Au contraire, le culte de saint Théodore Petchersky, le second fondateur des célèbres laures de Kiev, s’établit presque immédiatement après sa mort (1076). La translation de ses reliques dans l’église du monastère, commencée par lui et terminée seulement en 1089, ne se fait qu’en l’année 1091. Cette translation donne lieu à une grande solennité et popularise le culte du serviteur do Dieu. Enfin, en 1108, Théoctiste, higoumène de Petchersky, obtint par l’entremise du prince Sviatopolk, l’inscription de son nom dans le synodik, pour être mentionné au canon de la messe. Chronique dite de Nestor, traduite par Louis Loger, Paris, 1884, p. 176, 223. L’institution d’une fote en l’honneur de saint Vladimir, le baptiseur de la lhtssie (972-1051), paraît au contraire avoir été indépendante de toute constatation de miracles attribués à son intercession et de toute relation avec le culte de ses reliques. Cette fête n’est établie que postérieurement, à la suite de la victoire remportée en 1240, au jour anniversaire de sa mort, par le prince Alexandre Nevski, sur les Suédois. Ni l’histoire, ni la légende n’attribuaient à ses restes de ces prodiges qui illustrent le tombeau des serviteurs de Dieu. Un écrivain inconnu du xii J siècle, auteur d’une chronique relative à ce prince, en fait naïvement la remarque, et reproche presque à ses compatriotes de n’avoir pas encore su obtenir de Dieu le don et la gloire des miracles pour les restes d’un prince qui a converti et baptisé la Bussie. Goloubinski, op. cit., p. 63. D’ailleurs, au moment où Novgorod canonise Vladimir Monomaque, Kiev a déjà élé prise et ravagée par les Talars et l’église de la Dlme, où se trouvent ses restes, est ensevelie sous les décombres. Il semble donc bien qu’en cette circonstance ce soit uniquement le rôle joué par Vladimir dans l’histoire de la conversion do la Bussie et ses titres de baptiseur et tlapostolos qui lui aient valu l’honneur de monter sur les autels.

Les conciles de 1547 et de 1549 prennent pour base principale des canonisations effectuées par eux le miracle, autant du moins qu’on le peut conjecturer par les maigres renseignements que l’on possède sur la procédure qui y fut suivie. Les nouveaux saints n’y sont désignés que sous le nom de thaumaturges, et, pour préparer les canonisations de 1519, les Pères du concile de 1547 ordonnent aux évoques de mener des enquêtes sur les prodiges et les miracles attribués à l’intercession des serviteurs de Dieu, dans les limites de leurs éparchies. Goloubinski, op. cit., p. 94-96. En 1589, il est question d’étendre à toute la Bussie le culte de saint Joseph de Volokolam, fondateur du monastère de l’Assomption. Un synode, présidé par le métropolite Job (1589), subordonne l’extension de ce culte à la constatation de nouveaux miracles. L’enquête faite à cette occasion ne donne pas de résultat satisfaisant, et la fote n’est universalisée que deux ans plus tard, en 1591. Klioulchevski, op. cit., p. 312.

En 1690, les moines d’un monastère de Solovetz demandent à Athanase, évoque de Kholmogor, l’autorisation d’établir, dans l’intérieur du monastère, une fête en l’honneur de Germain, l’un de ses fondateurs. L’évêque ne s’y oppose pas, mais il rappelle qu’il faut d’abord le consentement du tsar et celui du patriarche, ainsi qu’une enquête sérieuse sur la vie, les vertus et les miracles du personnage. Goloubinski, op. cit., p. 428-429.

2° En dehors du titre de thaumaturge, l’Église russe donne aussi à quelques-uns des saints qu’elle honore le titre de hiéromartyrs. Le nombre de ces derniers est, il est vrai, assez restreint ; l’existence de ce titre n’en soulève pas moins la question de savoir si l’Eglise russe considère le martyre comme une preuve solide de sainteté et une base suffisante de canonisation. Goloubinski, op. cit., p. 269, prétend qu’elle se sépare sur co point de l’Église latine, et que le martyre sans le miracle ne suffit pas chez elle à autoriser l’inscription au catalogue des saints. Il apporte en preuve ce fait que, vers 1592, le métropolite de Kazan, Hermogène, s’adrossant au patriarche Job pour le prier d’autoriser le culte de trois personnages martyrisés par les Tatars, demande simplement pour eux los honneurs que l’on rend aux défunts morts en odeur de sainteté, et non le culte réservé aux saints. Il en conclut que si l’évêque borne sa requête à une simple commémoraison, sans fête proprement dite, c’est que le titre de martyr allégué était insuffisant à légitimer cotte dernière, et que, dans la circonstance, on n’avait pas pu l’appuyer du titre de thaumaturge.

Il faut remarquer d’ailleurs que ce litre de martyr a été attribué dans l’Église russe à des saints dont le genre de mort ne justifie guère cette appellation. Les saints Boris et Glèbe, qui, les premiers, le portèrent, pour être tombés sous les coups de leur parent Sviatopolk, furent de simples victimes d’une politique ambitieuse et cruelle. Ce litre fut accordé aussi à saint Léonce, évêque de Bostov, dont la mort (1077) fut très paisible, mais dont la vie avait été consacrée tout entière à un long et pénible apostolat au milieu de ses diocésains. Marlinov, Annus ecclesiasticus grsecoslavicus, Bruxelles, 1863, p. 138. L’Eglise russe n’en possède pas moins de vrais martyrs ; mais l’existence du culte qui leur est rendu ne suffit pas à résoudre la question soulevée plus haut, car l’on ignore l’origine première et les motifs véritables du culte dont ils sont actuellement l’objet. Il en est ainsi pour les saints varègues, Théodore et Jean, martyrisés, vers 9813, par leurs compatriotes païens, Martinov, op. cit., p. 176, et pour los Irois martyrs lithuaniens, Jean, Antoine et Euslathe, mis à mort sur les ordres du prince païen Olgordo, en 1342, el canonisés probablement en 1347 par le métropolitain de Kiev, Alexis. Martinov, op. cit., p. 109 ; Goloubinski, op. cit., p. 6d