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CANONISATION DANS L’EGLISE ROMAINE


l’Église les proclame trop facilement. Ignorent-ils donc que l’Église a toujours été extrêmement circonspecte en ces matières, et qu’elle n’a accordé que très difficilement au contraire les honneurs de la canonisation ?


Au XIIIe siècle, le pape Innocent III exprimait déjà cette pensée en termes très formels. Quoique pour entrer au ciel, dit-il, il suffise de la persévérance finale, suivant la parole du Verbe divin lui-même : Qui perseveraverit usquc in finem, hic salvus erit, Matth., x, 22 ; cependant, pour qu’un homme soit réputé saint par l’Église militante, il faut deux choses rares : l’éclat extraordinaire des vertus pendant la vie, et la gloire des miracles après la mort. Ces deux conditions sont indispensables. D’abord, l’éclat des vertus, car souvent le démon se transforme en ange de lumière. Certains hommes, en effet, ne pratiquent la vertu que par orgueil et pour recueillir les louanges des créatures. D’autres opèrent des miracles ; mais leur vie est répréhensible, comme l’était celle des magiciens au temps de Pharaon ; comme le sera celle de l’Antéchrist, dont les prodiges seront de nature à induire en erreur même les élus, si c’était possible, ita ut in errorem inducantur, si fieri potest, eliani electi. Matth., xxiv, 24. Avant d’élever un serviteur de Dieu sur les autels, il faut donc constater en lui l’éclat des vertus uni à la gloire des miracles, afin que sa sainteté soit confirmée par le Seigneur. Ces miracles, accomplis après leur trépas, montrent que ces amis de Dieu sont plus puissants, et qu’ils vivent d’une vie bien plus heureuse que ceux qui sont encore ici-bas. Cf. Fontanini, Codex constitutionum qttas summi pontificcs ediderunt in solemni canonizatione sanctorum, a Joanne XV ad Benedictum XIII, sive ab anno 993 ad annum 1729, in-fol., Rome, 1729, Innocenta III bulla pro canonizatione S. Homoboni, n. 28. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. clxxviii, a. 2.

Examen des vertus.

Ce que l’Église exige de ceux auxquels elle réserve les honneurs de la canonisation, ce n’est pas seulement la possession d’une vertu, mais de toutes sans exception. En eux doivent resplendir d’abord les vertus théologales qui ont Dieu pour objet immédiat, S. Thomas, Sum. theol, Ia-IIæ, q. lxii, a. 1 ; et ensuite toutes les autres vertus intellectuelles et morales, qui perfectionnent l’homme dans son intelligence et dans ses mœurs. Q. lvii, lviii. Ces vertus, ils auront dû les pratiquer non d’une manière quelconque, mais jusqu’à l’héroïsme. Cf. S. Antonin, Sum. theol., III a, tit. xii, c. viii, § 1, Venise, 1582, t. iii, p. 175. Le doute sur lequel la S. C. des Rites aura à se prononcer, après une enquête des plus minutieuses et un long procès poursuivi dans toute la rigueur du droit, au milieu des obstacles et devant les difficultés toujours renaissantes du promoteur de la foi, sera formulé en ces termes : An constel de virtutibus theologicis, fide, spe cl caritale, ac de cardinalibus, prudenlia, justilia, fortitudine, temperanlia et annexis, in gradu heroico, in casu, et ad effectum de quo agiturf Sur cette question si vaste et si complexe, la lumière devra être complète. On n’admettra pas de demi-réponse sur n’importe quel point particulier. Un simple nuage, une seule incertilude suffiront à rendre inutile tout le reste, et à arrêter indéfiniment la marche du procès.

Par héroïcité des vertus on entend un degré de perfection tel qu’il dépasse de beaucoup la manière ordidont les autres hommes, même justes, pratiquent h’rtus : l’rœmitlenduni est virtutem heroicam esse illam qux sive ub excellentiam « péris, sive ob circumstanliam intervenientem quæ opus diffi.c%111m.um reddat, erumpit in aclum superantem communcm modum operandi homimum, etiam virtuose operanliitm. Cf. Hennit XIV, De servor. Dei béatifie, et beator. canonizat. , 1. III, c. xXi, n. 10, 11, t. v, p. 220, 227 sq. ; Scacchi, De cultu et vencratione sanctorum, in ordine

h. f. DE THEOL. CATIIOL.

ad beatifîcationem et canonizationcm, 1. I, sect. ii, c. iv, in-4°, Rome, 1639, p. 144.

La preuve de ces vertus héroïques doit être faite non d’une manière générale pour toutes prises ensemble, mais d’une façon spéciale pour chacune d’elles considérée en particulier. Ce qu’un tel examen demande de temps et de peine est incroyable, surtout étant données les difficultés de tout genre que ne cesse d’accumuler le promoteur de la foi. La vie du serviteur de Dieu est passée au crible de la plus impitoyable critique ; et il faut que non seulement on n’y trouve rien de répréhensible, mais qu’on y rencontre l’héroïsme à chaque pas. Tant que le doute sur les vertus n’est pas absolument élucidé, il est impossible de s’engager plus avant dans cette interminable procédure, car il n’est jamais permis de suspendre l’examen des vertus pour passer à celui des miracles, fussent-ils très nombreux. Si les preuves convaincantes en faveur des vertus manquent, ou n’ont pu être retrouvées, soit parce que des écrits importants ont été égarés, soit parce que les témoins ont disparu, on conclut simplement qu’il ne conste pas des vertus pratiquées dans un degré héroïque, non constare de virtutibus, et le procès est arrêté. Cf. Benoit XIV, De servor. Dei beatif. et beator. canonizat., 1. II, c. liv, n. 10, t. iv, p. 226 sq.

Examen des miracles.

Il est encore plus sévère, si c’est possible, que celui des vertus. Pour bien discerner ce qui est miraculeux de ce qui ne dépasse pas les forces de la nature, la S. C. des Rites convoque non seulement les théologiens etlescanonistes, maisaussi les médecins, chirurgiens et tous les hommes de science qui, par leurs connaissances spéciales, sont à même d’apporter un élément sérieux à la solution de ces questions difficiles. Tous les moyens sont mis en œuvre pour démasquer le mensonge et pour écarter l’erreur. La précipitation intéressée ou le zèle enthousiaste de ceux qui ont entrepris le procès et en poussent la marche, vient se briser contre l’extrême lenteur et les exigences de ce tribunal qui n’est jamais pressé, et ne s’émeut pas de ce qu’une cause est exposée à rester devant lui pendante durant des siècles. En considérant la multitude d’actes juridiques qu’il impose, la série indéfinie de difficultés qu’il amoncelle à chaque instant, l’abondance et l’évidence des preuves qu’il réclame, on serait porté à l’accuser plutôt de défiance exagérée que de crédulité pieuse. Aucun tribunal humain n’agit avec cette exactitude poussée jusqu’au scrupule, et avec celle sévérité, qui paraîtrait injustifiée, en toute autre matière. Les choses en arrivent à ce point que, de l’avis de tous ceux qui ont été mêlés à une affaire de ce genre, le succès d’un procès de canonisation peut être regardé comme un miracle plus grand que tous ceux qui sont requis pour attester la sainteté d’un serviteur de Dieu : Usitata consuetudo curise romanx in canonizat ionum causis, adeo dif/icilem esse facit canonizationum oblinendarum effectum, ut ejus successus debeat censcri miraculum pœne majus quam sint omnia, ob quse aliquis judicatur mereri, ut in sanctorum catalogum adscribatur. Acta sanctorum, t. i aprilis, p. 217.

On trouvera dans la vaste collection des Acta sanctorum de nombreux exemples montrant combien longs et sévères sont les procès de canonisation. Il nous suffira d’en indiquer ici quelques-uns, Le cardinal, 1. Cajétan, ponent de la cause de canonisation de saint Stanislas, évoque et martyr, voyant que, maigre la valeur et la multitude des preuves fournies, le procès, qui avai) déjà duré fort longtemps, menaçait de s’éterniser, écrivait à L’évêque de Cracovie « : Votre saint a besoin d’opérer encore un miracle, le plus grand de tous : celui de mettre d’accord tous ceux qui ne cessent de chicaner sur les n li racle i. » Acta tanctorum, maii t. il. p. 252-259. I "n autre exemple de ce genre est celui de la canonisation de saint Félix de Cuulalice. Ses miracles sont rapportés

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