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VOLTAIRE. IDÉES CONSTRUCTIVES

cardinal » avec ses « cent mille écus de rente », ibid., si ce n’est « ces abbés qui ont quatre cent mille livres de rente », Dictionnaire, art. Abbé, ou les moines, « ces troupeaux de fainéants tondus, blancs, gris, noirs… », Instructions pour le prince royal, ii, loc. cit., p. 441. Mais « rien n’est plus utile qu’un curé qui tient registre des naissances, qui procure des assistances aux pauvres, console les malades, ensevelit les morts, met la paix dans les familles et qui n’est qu’un maître de morale », Dîner…, loc. cit. ; cf. L’A. B. C, loc. cit., p. 365. Le souverain a tout pouvoir pour réduire le clergé aux membres utiles, et même pour délier des vœux de religion, ces vœux n’étant que « conditionnels » et subordonnés « au vœu inaltérable et imprescriptible qui unit l’homme en société avec la patrie et avec le souverain ». Dictionnaire, loc. cit., sect. iii. Des assemblées ecclésiastiques. Le souverain devrait également imposer le mariage aux prêtres, qui seraient alors meilleurs citoyens et donneraient à l’État des enfants élevés avec honnêteté, et aussi, leur interdire de prêcher autre chose que la morale,

« prêcher la controverse étant sonner le tocsin de la

discorde ». Dîner…, loc. cit. « Ministres de l’autel, ils ont droit à vivre de l’autel et à être entretenus par la société, tout comme les magistrats et les soldats. C’est donc à la loi civile à faire la pension proportionnelle du corps ecclésiastique. » Dictionnaire, loc. cit., ii, Des possessions…, en veillant « à mettre les curés à l’abri du besoin, afin qu’ils n’aient d’autre soin que celui de remplir leurs devoirs ». Dîner…, ibid. Cf. Dictionnaire, art. Catéchisme du curé, le portrait du curé de campagne selon Voltaire. Voltaire dépasse ainsi le gallicanisme politique. Il en est déjà à la Constitution civile du clergé.

La société sécularisée doit reposer non plus sur le droit divin et les principes évangéliques mais sur le droit naturel qui établit d’abord le droit de l’homme à la liberté. — Il y a un droit naturel. « Voltaire entend ce mot dans le sens où son siècle l’entend depuis Grotius, De jure belli et pacis, 1625, Spinoza, Tractatus theologico-politicus, 1670, l’Éthique, 1677, Pufendorff, De jure naturæ et gentium, 1672, De officio hominis et civis juxta legem naturalem, 1673, Cumberland, De legibus naturæ, 1672, Locke, Deux traités de gouvernement, 1689, … c’est-à-dire comme un droit fondé sur l’ordre immanent de la nature et auquel ne sauraient être opposés ni le droit divin positif, expression d’une volonté personnelle de Dieu, ni le droit humain. » Traité sur la tolérance, c. vi, Si la tolérance est de droit naturel ou de droit humain (xxv, 39-40). De cet ordre découle ce fait « qu’à chaque être humain sont attachées certaines facultés inhérentes à sa définition et avec elles le devoir — donc le droit — de les exercer suivant leur essence ». P. Hazard, loc. cit., t. ii, p. 50. L’homme a ainsi un droit absolu à diverses libertés :

1. La liberté de la personne et de la propriété, à laquelle s’oppose l’esclavage, « cette dégradation de l’espèce humaine », Dictionnaire, art. Esclaves, sect. i, « esclavage de la personne, esclavage de biens, esclavage de la personne et des biens » que subissaient encore en France, « sous le nom de mortaillables, de mainmortables, de serfs de glèbe, des sujets du roi ». Cf. ses Écrits pour les habitants du Mont-Jura et du pays de Gex et pour l’entière abolition de la servitude en France (xxvii, passim) et Dictionnaire, loc. cit., sect. iv. De là encore, le crime « des meurtres juridiques que la tyrannie, le fanatisme — il vise l’Inquisition — l’erreur et la faiblesse ont commis avec le glaive de la justice ». Dictionnaire, art. Arrêts notables. De là aussi la nécessité de réviser le code des délits et des peines, de supprimer la question et la torture, d’adoucir l’exécution des arrêts… Cf. Commentaire sur le livre (de Beccaria) des délits et des peines (xxv, 539) ; Prix de lu justice et de l’humanité (xxx, 532) ; Dictionnaire, art. Torture et art. Crime ; Instructions pour le prince royal, iv, loc. cit., p. 445 ; L’A. B. C., 15e Entretien, De la meilleure législation, loc. cit., p. 385 sq.

2. La liberté de la pensée et de la presse, ou comme il dit, d’imprimer. — « Point de liberté chez les hommes sans celle d’exprimer sa pensée. » L’A. B. C., 9e Entretien, Des esprits serfs, loc. cit., p. 360. Depuis la Lettre philosophique XX, Sur les seigneurs qui cultivent les lettres, édit. cit., t. ii, p. 119, où il loue l’Angleterre de ce que « chacun peut y faire imprimer ce qu’il pense sur les affaires publiques », jusqu’à la fin, il ne cessera d’appeler cette liberté. Il a trop souffert d’en être privé, pour qu’il en soit autrement. Il invoque en sa faveur le droit naturel : « il est de droit naturel de se servir de sa plume comme de sa langue, à ses périls et risques », Dictionnaire, art. Liberté d’imprimer ; l’intérêt des nations : cette liberté, où elle existe, « met toute la nation dans la nécessité de s’instruire », Lettre philosophique, loc. cit., p. 120, et dans le progrès. Dictionnaire, art. Liberté d’imprimer. Un livre n’a jamais fait de mal. « Ce n’est pas l’Alcoran qui a fait le succès de Mahomet, c’est Mahomet qui a fait le succès de l’Alcoran… Rome n’a point été vaincue par les livres ; elle l’a été pour avoir révolté l’Europe par ses rapines, ses exigences et ses excès. » Dictionnaire, loc. cit.

3. La liberté de conscience, la tolérance. — Il la réclame parce qu’elle lui fournit une arme contre l’Infâme, mais aussi pour elle-même. Il entend par là — s’inspirant de Locke, Epistola de tolerantia, 1689 — qu’il est loisible à chacun d’avoir ou de ne pas avoir telle ou telle croyance, sans être puni de ne pas la professer ou contraint de le faire, par le magistrat — tolérance civile — ou même sans avoir à redouter les censures d’une Église. La liberté de conscience est, à ses yeux, un droit naturel, comme la liberté de penser dont elle est un aspect, auquel ne sauraient être opposés le droit humain « lequel ne peut être fondé, on l’a vii, que sur le droit de nature », Traité de la tolérance, c. vii (xxv, 40), et encore moins le droit divin chrétien. L’esprit de charité, dit-il avec Locke, étant une marque caractéristique du Christ, Traité cité, c. xiv, Si l’intolérance a été enseignée par Jésus-Christ, loc. cit., « de toutes les religions, la chrétienne est celle qui doit inspirer le plus de tolérance », Dictionnaire, art. Tolérance, sect. iii, à Genève, Sermon prêché à Basle par Josius Rosetti, 1768 (xxvi, 582), comme à Rome. La tolérance est d’ailleurs une conséquence de la fraternité humaine : avant tout autre chose, nous sommes hommes, Traité de la tolérance, c. xxiii, Prière à Dieu, et nul d’entre nous n’a le monopole de la vérité :

« nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs ».

Dictionnaire, ibid. La tolérance maintient ainsi la paix des empires et aide à leur prospérité. Combien la France a perdu à révoquer l’édit de Nantes ! Traité sur la tolérance, Post-scriptum, et combien elle gagnerait à revenir sur cette révocation ! Ibid., c. v, Comment la tolérance peut être admise. En Angleterre, « où chacun peut aller au ciel par le chemin qui lui plaît », Lettres philosophiques, v, Sur la religion anglicane, édit. cit., t. i, p. 61, « trente sectes vivent en paix, heureuses », ibid., p. 77 ; et de là,

« s’est formée la grandeur de l’État », ibid., x, Sur le commerce, p. 120. Cf. Instructions pour le prince royal, ii, loc. cit., p. 142. Le souverain devra donc
« ne persécuter jamais personne pour ses sentiments

sur la religion », ibid., iii, loc. cit., p. 443, « n’employer jamais la contrainte pour amener les peuples à la religion », Dictionnaire, art. Droit canonique,