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VOLTAIRE ET LE CHRISTIANISME


du fatalisme : « notre volonté est nécessairement déterminée par le jugement de notre entendement ; ce jugement… par la nature de nos idées, nos idées ellesmêmes ne dépendent pas de nous. » Considérant le sentiment » que rien ne peut affaiblir », car Dieu lui-même l’a mis dans notre cœur, de notre liberté, le fait que « nous avons la faculté de suspendre nos désirs et d’examiner ce qui nous semble le meilleur afin de pouvoir choisir… et le pouvoir d’agir ensuite conformément à ce choix », Voltaire, tout en refusant à l’homme la liberté d’indifférence, lui reconnaît, cette réserve faite, le libre arbitre. À cette occasion, il réfute l’objection de la prescience divine, « le plus terrible argument qu’on ait jamais apporté contre notre liberté ». La prescience de Dieu, dit-il, n’est pas la cause des choses, « mais elle est elle-même fondée sur leur existence ». La connaissance des choses par Dieu n’a aucune influence sur elles et la prescience divine n’est qu’une connaissance. Nos difficultés ici proviennent de notre ignorance. « Je ne puis concevoir l’accord de la prescience et de la liberté ; mais dois-je pour cela rejeter la liberté? » Enfin Dieu a-t-il pu créer des êtres libres ? S’il l’a pu, peut-il sans contradiction, les empêcher d'être libres ?

Or, déjà, en t749, il écrivait à Frédéric II, adversaire de la liberté : « J’ai bien peur que vous n’ayez tristement raison. » D’après le Dictionnaire, art. Francarbitre et Chaîne ou génération des événements ; le Philosophe, xiii, Suis-je libre ? ; Il faut prendre un parti, xiii, De la liberté de l’homme et du destin, la liberté n’est plus que le pouvoir d’agir : « Quand je peux faire ce que je veux, je suis libre. » Mais ma volonté est nécessitée par les motifs ; et ces motifs avec leur propre force nécessitante ne dépendent point de nous. « Tout événement présent est né du passé et est père du futur. La chaîne éternelle ne peut être ni rompue ni mêlée. La crainte d'ôter à l’homme je ne sais quelle fausse liberté, de dépouiller la vertu de son mérite et le crime de son horreur a quelquefois effrayé les âmes timides, mais … éclairées, elles sont bientôt venues à cette grande vérité que tout s’enchaîne, que tout est nécessaire. » // faut prendre un parti, loc. cit. L’homme est ainsi un fragment de l’ordre universel. Cf. Dialogue entre un brachmane et un jésuite. Sur la nécessité et l’enchaînement des choses (xxiv, 53).

4. La philosophie de l’histoire.

Étant donné cette conception de Dieu et de l’homme, il ne saurait plus être question d’un dessein particulier de la Providence réalisé par l’humanité. L’historien n’a d’autre tâche que de retrouver la chaîne ou génération des événements. Comme le principe de cet enchaînement lui échappe — comment se placerait-il au point de vue d’un Dieu dont il ne connaît pas la nature ? — l’histoire ne peut être pour lui qu’un enchaînement de hasards, c’est-à-dire de faits déterminant d’autres faits mais non prévisibles d’avance et par raison. Ces faits déterminants sont ces faits multiples, quasi impondérables parfois, qui provoquent la formation lente et l’usure des institutions, et, survenant en un milieu favorable, de petits événements et surtout de grands hommes, dont certains sont des causes historiques privilégiées. Théorie des quatre grands siècles.

Quelle impression d’ensemble laisse l’histoire du monde ? Étant donné que « l’intérêt, l’orgueil et toutes les passions » sont « dans le cœur des hommes », Essai, c. cxcvii, Résumé, l’histoire, à part certaines époques privilégiées, celles des grands hommes, c’està-dire, des hommes qui ont été vraiment utiles à l’humanité, « est une suite presque continue de crimes et de désastres ». Ibid. Où va l’humanité? S’achemine-t-elle vers le progrès ? Trois choses le

i font espérer : l’amour de l’ordre qui fait que l’humanité respecte la loi, Essai, loc. cit., le progrès de la raison qui éclaire chaque jour davantage les chefs et les sujets, et assurera la tolérance, et enfin l’action I des grands hommes. Le despote éclairé sera l’instrument de ce progrès, dans la mesure où il est possible.

La loi morale.

Les sociétés observent des lois

morales qui diffèrent d’après leur religions, leurs lois, leurs coutumes. Il n’en faut pas conclure cependant j avec Locke qu’il n’y a pas une morale, mais uniquement des morales variables. Le philosophe, xxv, Contre Locke. S' « il n’y a point de notions innées, … Dieu nous a donné à tous une raison… qui nous apprend à tous… qu’il y a un Dieu et qu’il faut être juste. » Ibid. Les hommes peuvent se tromper dans la pratique, mais chacun d’eux a l’irrécusable certitude de relever d’une loi morale universelle qui lui dicte sa conduite. « La morale uniforme en tous temps, en tous lieux, à des siècles sans fin, nous parle au nom de Dieu ». La loi naturelle, I Te partie. Indépendamment de toute religion, de toutes les lois, il y a donc le bien et le mal.

Comment se déterminent-ils ? Ce ne peut-être du point de vue de Dieu. « Point de bien ni de mal pour Dieu, ni en physique, ni en morale. » Dictionnaire, art. Bien et mal. « Il n’y a point de bien en soi et indépendamment de l’homme », pas plus que « du froid et du chaud ». Traité de métaphysique, c. ix, De la vertu et du vice. C’est donc d’après la nature humaine, « nullement viciée par un soi-disant péché originel et nullement tragique », que se déterminent le bien et le mal. Or, l’homme, quoi qu’en ait dit Rousseau, est essentiellement un être social. Traité de métaphysique, c. viii, De l’homme considéré comme être social. « Le bien et le mal moral est donc ce qui est utile ou nuisible à la société. » Traité, c. ix, De la vertu et du vice. Le bien social peut varier de pays à pays, d'époque à époque, dans le détail et dans les lois qui le fixent, le principe n’en est pas moins universel, parce que inscrit dans la nature de l’homme social. Partout, la vertu c’est la justice vivifiée par la bienveillance, autrement dit, l’habitude de respecter, avec les lois, les droits des autres, en recherchant ce qui peut leur plaire. Ibid., cf. Septième discours sur l’homme. Sur la vertu. À la base de cette morale, il y a donc la conscience sociale. La morale ainsi comprise appelle avant tout la tolérance et constitue le vrai lien social et politique.

Voltaire, à la suite de Bayle, sépare donc la morale de toute religion positive. Dieu n’a sur la morale que cette influence d’avoir fixé les caractères fondamentaux de la nature humaine d’où elle découle, et l’homme n’est tenu à l’endroit de Dieu qu'à l’obligation d’adorer en lui l’architecte de l’univers et de respecter les lois de la nature humaine. Morale, théisme, religion se confondent donc.

Conclusion : le déisme de Voltaire. Des quatre classes de déistes que distinguait Clarke, Voltaire rentre dans celle « qui admet Dieu, la Providence (générale), le caractère obligatoire de la loi morale, mais qui refuse d’admettre l’immortalité de l'âme et la vie future ».

/II. voltaire ET LE christianisme. — 1° La religion et les religions. Toutes les religions positives sont des superstitions. — Il y a dans l'œuvre de Voltaire une Histoire des religions, conforme au savoir de son temps évidemment, mais destinée à dénigrer, à travers toutes, le christianisme. Leurs dogmes à toutes dépassant les croyances de la religion naturelle, ses exigences, celles de la raison morale, elles sont « des superstitions », et « la superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage ». Traité de la tolérance, c. xx,