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VOLTAIRE. METAPHYSIQUE


d'être inconstant, elle lui manque de respect ; si elle lui demande une chose injuste, elle l’outrage. Dictionnaire, art. Prières.

Le miracle en général paraît en lui-même, à Voltaire, impossible et impliquant contradiction. N’est-il pas « la violation des lois mathématiques, divines, immuables, éternelles » ? Dictionnaire, art. Miracles. A tous égards, le miracle apparaît contraire à la sagesse divine. Alors que le cours régulier des choses proclame la gloire de Dieu, le miracle, à supposer qu’il fût possible, serait, de la part de l'Être suprême, l’aveu que « cette immense machine du monde », qu’il a faite aussi bonne qu’il a pu, a besoin d'être retouchée. Ibid. D’un autre côté, Dieu ne fait rien sans raison et quelle serait la raison du miracle ? Le bien de l’humanité? Mais qu’est l’humanité par rapport « aux êtres qui remplissent l’immensité » ? Autant dire que « en faveur de trois ou quatre centaines de fourmis sur un petit amas de fange », Dieu intervertira le jeu de ces ressorts immenses qui font mouvoir tout l’univers. À plus forte raison, s’il ne s’agit que de quelques-uns. « Dieu n’a aucun besoin de ce changement pour favoriser ses créatures : il a tout prévu. » Invoqué en faveur d’une religion, le miracle va contre son but : « Si je voyais un miracle, a dit un philosophe, je me ferais manichéen », ibid., ou il ne prouve rien : « Quelle religion n’a pas ses miracles ? » Dialogue entre un caloyer et un homme de bien ; cf. Sentiments de Jean Mestier, c. iii, Conformité des anciens et des nouveaux miracles. Dès lors, pour affirmer un miracle, il faut être ou la victime d’une illusion, par ignorance ou par fanatisme, comme ces témoins des miracles des convulsionnaires, « qui les avaient vus, parce qu’ils étaient venus dans l’espérance de les voir », Siècle de Louis XIV, édit. cit., p. 714, ou, et c’est, on le verra, la solution préférée de Voltaire, des imposteurs. « Une chose improbable en elle-même ne peut devenir probable par des histoires ». Questions sur les miracles. Lettre IIe, p. 375. En conséquence, pour servir de preuve, un miracle doit avoir été « bien constaté », scientifiquement dirions-nous, être certifié par d’authentiques et incontestables témoignages. La supercherie chez les thaumaturges, l’ignorance et la crédulité chez les témoins n’expliquent-elles pas la croyance aux miracles du passé? Dictionnaire, loc. cit., N’a-t-on pas vu de nos jours un magistrat remettre au roi « une liste de cinq à six cents miracles i en faveur des convulsionnaires ? » Dieu et les hommes, c. xxxvi, Fraudes innombrables des chrétiens. Il faudrait par exemple que le miracle, annoncé à l’avance, fût fait devant les académies des sciences et de médecine, dans les conditions requises d’une observation sereine. Dictionnaire, ibid. En somme, il faudrait prendre le contre-pied « de ce que l’on fait à Rome quand on canonise un saint » : cent années après au moins, on réclame les témoignages touchant les miracles du saint. De quels témoins se contente-t-on alors, de quels miracles ? Dieu et les hommes, loc. cit.

2° L'âme. — 1. Y a-t-il dans l’homme un principe spirituel et immortel ? — Dans V E pitre a (irrnonville, 1719, Voltaire espère que Dieu conserve pour lui le plus pur de notre être et n’anéantit point ce qu’il daigne éclairer » ; il a sans doute, encore, la notion traditionnelle de l’Urne. Mais dès qu’il connaît « les doutes de Locke sur l'âme spirituelle, Dictionnaire, art. Ame, scet. II, il se réfugie dans l’agnosticisme cf. XIII' Lettre philosophique, el il s’y maintiendra. Partant de ces deux faits que les animaux produisent des opérations analogues ; i celles de l'âme et qu’ainsi, entre eux et l’homme, il semble n’y avoir pas une différence radicale de nature mais une dif férence de degré ; « que la pensée n’est pas l’essence de mon entendement », puisque je ne pense pas toujours ; en face aussi de la tradition antique que l'âme est corporelle et de certains accidents physiologiques ; se refusant à imaginer « dans notre corps un petit dieu nommé âme libre », il définira l'âme « un terme vague, indéterminé, qui exprime un principe inconnu d’effets connus ». Dictionnaire, loc. cit. Jusqu’au bout, sans jamais faire profession d’un matérialisme absolu, il se demandera si l'âme n’est pas simplement une faculté attribuée par le Créateur à notre être, comme ses autres facultés. Cf. Le philosophe, c. xxix, De Locke ; Le principe d’action, xi. Examen du principe d’action appelé âme ; L’A. B. C, 2e entretien, De l'âme ; De l'âme par Soranus, Ml A (xxix, 329) ; Lettre III de Memmius, xiv, Courte revue des systèmes sur l'âme ; Traité de métaphysique, c. V, Si l’homme a une âme et ce que ce peut être.

De quelle nature est le principe de notre pensée ? Nous ne pouvons donc le savoir. Est-il immortel ? Ici encore, nous ignorons. « Que le grand Être veuille… nous continuer les mêmes dons après notre mort, qu’il puisse attacher la faculté de penser à quelque partie de nous-mêmes qui subsistera encore, ce n’est pas impossible. » Lettre citée de Memmius, xvii, De l’immortalité. Quelle vaisemblance cependant que « les hommes aient encore des idées quand ils n’auront plus de sens » ? Traité, c. vi, Si ce qu’on appelle âme est immortel. « Pour que je fusse véritablement immortel, il faudrait que je conservasse mes organes, mes membres, mes facultés. » Les tombeaux enlèvent cette espérance. Lettre de Memmius, ibid. Vraiment, pour croire les âmes immortelles, « il faudrait les voir ». Traité, loa. cit. « Je n’assure point, conclut-il, ibid., que j’aie des démonstrations contre la spiritualité et l’immortalité de l'âme, mais toutes les vraisemblances sont contre elles ».

2. Que devient alors la croyance aux récompenses et aux peines éternelles et par conséquent au Dieu rémunérateur et vengeur ? — Comment soutenir après cela qu’il y a dans une autre vie des récompenses et des châtiments ? (à vrai dire. Voltaire ne l’a jamais cru. Cf. Dictionnaire, art. Enfer ; A. B. C., 17e entretien [xxxvii, 396]) et même, « puisque la terre est couverte de scélérats heureux et d’innocents opprimés », Homélie citée, que Dieu est rémunérateur et vengeur ? Dieu est indifférent aux actions des hommes ; Voltaire l’enferme dans le gouvernement du monde suivant les lois nécessaires de sa nature et des choses. Il soutient néanmoins les deux dogmes pour leur utilité sociale. — Il dit bien que » l’on chantait publiquement sur le théâtre de Rome : Post morlem nihil… et que ces sentiments ne rendaient les hommes ni meilleurs ni pires », Dictionnaire, art. Ame, sect. ix ; néanmoins il proclame habituellement cette croyance « la plus utile au genre humain ». Jenni, c. xi. « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer », É pitre des Trois… Imposteurs (x, 403). Il semble que cette doctrine soit « un cri de la nature ». Homélie citée.

Mais alors comment Dieu pourait-il être juste ? et qu’est un Dieu qui ne peut être juste ? Voltaire se tire de la difficulté en invoquant encore une fois notre ignorance. « Je me tiens dans un respectueux silence sur les châtiments dont il punit les criminels et sur les récompenses des justes. » Dialogues d' Êvhémère. iv. Si un Dieu qui agit ne vaut pas mieux que les dieux d'Épicure. | Je ne vous dis pas …comment Dieu vous punira, car personne n’en peut rien savoir : je vous dis qu’il le peut. » Jenni, c. x.

3. L’homme est il libre ? — Même évolution dans les Idées de Voltaire sur la liberté de l’homme que sur la liberté de Dieu. Dans la correspondance avec le prince royal de Prusse, il examine cette objection