Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/937

Cette page n’a pas encore été corrigée
3403
3404
VOLTAIRE. PRINCIPALES ŒUVRES


6° Les Lettres anglaises ou Lettres philosophiques. — 1. Publication. — L’ami de Voltaire, Thiériot, les publia d’abord, sans la 25e, en anglais, à Londres, sous ce titre : Letters concerning the english nation bu M. de Voltaire, in-8°, 1733. En 1734, parurent 5 éditions en français dont ces 3 principales : 1. Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets par M. de V***, A Basle, in-8°. C’est le texte en français de l'édition anglaise. 2. Lettres philosophiques par M. de V***, Amsterdam (Paris), comprenant la 25e, imprimée clandestinement, si l’on en croit Voltaire. 3. Lettres philosophiques par M. de V***, Amsterdam (Rouen), in- 12, comprenant également la 25e. C’est l'édition avouée par Voltaire et qu’il retouchera dans les suivantes. L'édition citée ici est l'édition critique donnée par G. Lanson : Voltaire. Lettres philosophiques, 2 vol. in-16, Paris, 1909.

2. Sujets.

Ces Lettres sont consacrées : les 7 premières aux sectes religieuses en Angleterre : 4 aux quakers, la 5e aux anglicans, la 6e aux presbytériens, la 7e aux ariens ou sociniens ; la 8e et la 9e à l’organisation politique, la 10e au commerce, la 11e à l’insertion de la petite vérole ; les 6 suivantes aux représentants de la pensée et de la science anglaises : au chancelier Bacon, la 12e ; à M. Locke, la 13e ; à Newton, les 14e, 15e, 16e et 17e. Les 7 suivantes concernent les lettres et les gens de lettres : la tragédie, la 18e ; la comédie, la 19° ; les seigneurs qui cultivent les lettres, la 20e ; le comte de Rochester et M. Walter, la 21e ; M. Pope et quelques autres poètes fameux, la 22e ; la considération que l’on doit avoir aux gens de lettres, la 23e ; les Académies, la 24e. La 25e est ce que Voltaire lui-même appelle son Anti-Pascal. Lettres du 14 juillet 1733 à Thiériot (xxxiii, 361).

3. Valeur et idées principales.

D’après l’Avertissement, ces Lettres n'étaient nullement destinées à être publiées ; l’auteur y livrait simplement ses impressions à un ami. En réalité ce sont des lettres à thèse. Voltaire a tout fait pour connaître l’Angleterre ; il en a appris la langue, vu tous les milieux, il y a étudié les livres et les hommes ; mais dans le tableau que Voltaire fait de l’Angleterre, il y a de fausses estimations, des lacunes : il veut éveiller en France son désir d’une organisation nationale conforme « à la raison ». Ce dessein explique la 25e Lettre, critique des Pensées au nom de la raison.

Voici l’Angleterre religieuse. Elle vit en paix, non que l'État y impose les mêmes croyances, mais parce qu’elle a la liberté. « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; il y en a trente et elles vivent en paix et heureuses », parce que libres. T. i, p. 70. Telle sera la conclusion des six premiers chapitres.

Aucune de ces religions cependant ne relève l’homme. On ne les enseigne que pour de vils motifs ; on ne les pratique pas sans se diminuer. Les quakers, que Voltaire connaît bien, ont vraiment une religion raisonnable : ils ont rejeté les rites, même les sacrements, d’ailleurs « d’invention humaine », p. 5, les prêtres, « ces hommes vêtus de noir », qu’il faut payer « pour assister les pauvres et enterrer les morts », p. 24 ; néanmoins i le quaker ne saurait être qu’un imposteur ou un idiot » ; un imposteur parce qu’il use de l'Écriture, où elle le favorise, p. 5 ; un idiot, par ses manières, p. 2, par son langage, p. 5, par son costume, p. 6. La raison ne saurait également qu’approuver la doctrine morale des quakers : leur charité envers les hommes, p. 6, qui fait qu’ils défendent la guerre, p. 7 ; leur respect pour les lois, p. 7 ; mais, ici encore, ils sont ridicules avec leur dédain de la politesse mondaine, leur crainte du serment, qui les empêche de servir l'État, leur hostilité à l'égard du luxe et du

plaisir, et surtout leurs tendances mystiques qui confinent à la folie (Lettre il). La naissance de leur religion, que Voltaire assimile visiblement, sans le dire, à la naissance du christianisme même, est l'œuvre d’un jeune homme sans culture, « saintement fou, p. 32, qui se livra à des tremblements et crut avoir le Saint-Esprit. On lui supposa le don des miracles pour la mort subite d’un juge intempérant, qui venait d’envoyer les quakers en prison. P. 35.

L'Église anglicane est en Angleterre ce qu’est l'Église catholique en France, une Église d'État. Derrière elle, Voltaire visera donc l'Église de France. Celle-là, dit-il, a gardé beaucoup de choses de celle-ci : des rites, t surtout celui de recevoir les dîmes », p. 61 ; l’ambition : ses chefs ont aussi « la pieuse ambition d'être les maîtres », ibid. ; l’intolérance, ici réduite par les lois, p. 62. Son clergé est néanmoins supérieur au clergé catholique par ses mœurs. Élevés « loin de la corruption de la capitale », p. 63, arrivant aux hautes situations âgés et pour leurs services et non pas jeunes et pour leur naissance, ses membres ne comptent pas parmi eux « cet être indéfinissable qui n’est ni ecclésiastique ni séculier, l’abbé » ; mariés, ils ne sont pas « de ces successeurs des Apôtres qui font publiquement l’amour ; …ils n’ont guère d’autre défaut que de s’enivrer… et ils remercient Dieu d'être protestants ». P. 64.

Voltaire en use avec les presbytériens comme avec les anglicans. Il les fait hypocrites et jaloux, protestant contre les richesses et les honneurs qui leur sont inaccessibles ; pédants, affectant la gravité, p. 73 ; odieux, parce qu’ils sont les créateurs du dimanche anglais, où ils défendent à la fois de travailler et de se divertir. Ibid.

On rencontre aussi dans le monde intellectuel des sociniens, ou ariens, ou antitrinitaires — Voltaire ne distingue pas — dont était Newton et que patronnait Clarke. Cf. ici, t. iii, col. 2-7. Voltaire ne parle pas des free-thinkers ou libres-penseurs anglais, dont est Bolingbrocke et qui lui sont très sympathiques.

Si le régime politique anglais, Lettre viii, ne représente pas l’idéal politique de Voltaire, du moins, il le juge supérieur au régime français du bon plaisir royal. Pour arriver à ce régime, le peuple anglais a dû s’affranchir des papes, qui « avec des brefs, des bulles et des moines, faisaient trembler les rois et tiraient à eux tout l’argent qu’ils pouvaient ». P. 102. L’Angleterre était alors « une province du pape ». P. 103.

Peut-être les Lettres les plus importantes sont-elles la xiie, consacrée à Bacon, la xiiie sur Locke, la xive sur Descartes et Newton : Bacon, Locke, Newton, les fondateurs d’une nouvelle conception de la connaissance du monde, basée sur l’expérience. Voltaire voit en effet dans Bacon le père de la philosophie expérimentale ; il loue l’auteur de l’Essai sur l’entendement d’avoir opposé l’empirisme aux idées innées ou à la vision en Dieu et au roman de l'âme substitué l’histoire, p. 168, acceptant d’ignorer ce que nous ne pouvons savoir, disant : « Nous ne serons jamais peut-être capables de connaître si un être matériel pense ou non », p. 170, ce que Voltaire traduit : « La raison humaine ne saurait démontrer qu’il soit impossible à Dieu d’ajouter la pensée à la matière. » Lettre à La Condamine, 22 juin 1734 (xxxiii, 436). Et « la sage et modeste philosophie de Locke, loin d'être contraire à la religion, lui servirait de preuve, si la religion en avait besoin, car quelle philosophie plus religieuse que celle qui, sachant avouer sa faiblesse, nous dit qu’il faut recourir à Dieu, dès qu’on examine les premiers principes ». P. 174. Newton a eu sur Descartes l’avantage » de vivre en pays libre et dans un temps où les impertinences